samedi 27 avril 2024
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Davide Faranda : « Ces sécheresses plus intenses sont provoquées par l’activité humaine »

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Dans une étude publiée le 16 février 2023, des chercheurs du CNRS et de l’université de Bologne se sont penchés sur la sécheresse exceptionnelle qui a frappé l’Europe en 2022. Ils sont parvenus à démontrer que c’est bien l’activité humaine qui est à la source de ces phénomènes. Davide Faranda, climatologue, chercheur CNRS au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement et coauteur de ces travaux, a répondu aux questions de Monaco Hebdo.

Pourquoi avoir décidé de travailler sur la question de l’impact des activités humaines et du changement climatique sur la survenue d’épisodes de sécheresse (1) ?

Avec l’université de Bologne (2), nous avons constaté que la sécheresse de 2022 est la première à frapper toute l’Europe de l’Ouest. Cette extension géographique, et l’intensité de ce phénomène, nous ont motivés pour commencer à travailler sur cette étude. Nous avons cherché à comprendre si cette forte sécheresse était due à la variabilité climatique ou si on pouvait l’attribuer au réchauffement climatique.

Combien de temps a duré cette étude ?

Grâce à nos collègues américains, nous avions les données à disposition. Nous avons commencé nos travaux en octobre 2022, et nous avons publié cette étude mi-février 2023. Cela a donc été assez rapide.

Comment avez-vous travaillé sur ce sujet ?

Nous avons comparé les archives météorologiques des sécheresses antérieures au réchauffement climatique d’origine humaine entre 1836 et 1915, avec les plus récentes, de 1942 à 2021. Nous avons travaillé à partir de l’idée que la zone touchée par la sécheresse de 2022 était aussi une zone qui était concernée par des conditions de hautes pressions anticycloniques. Nous avons donc recherché ces zones de hautes pressions anticycloniques dans le passé lointain et dans le passé récent, et nous les avons comparées.

Davide Faranda Climatologue CNRS
« Plus les émissions de CO2 augmentent, et plus les températures augmentent aussi, et plus les épisodes de sécheresse seront intenses. » Davide Faranda. Climatologue, chercheur CNRS au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. © Photo DR

Qu’avez-vous constaté ?

Dans le passé le plus lointain, on s’est aperçu qu’il y avait aussi des anticyclones, et avec la même fréquence. Mais, même s’ils causaient des sécheresses, ils étaient moins étendus et moins intenses. Les sécheresses qu’ils provoquaient étaient limitées au nord de la France, à l’Angleterre, et au nord de l’Espagne.

Et aujourd’hui ?

Dans la période plus récente, ces mêmes zones de hautes pressions anticycloniques sont plus intenses, plus étendues. Et elles causent des sécheresses sur toute l’Europe de l’Ouest.

Mais cela ne suffit pas pour démontrer que les émissions de gaz à effet de serre sont en cause ?

En effet. Nous sommes parvenus à identifier des liens physiques entre les épisodes de sécheresse et les émissions de gaz à effet de serre. Ces anticyclones sont plus étalés et plus intenses, car il y a une sorte « d’effet montgolfière ». Pour faire voler un ballon, on prend une source de chaleur, le ballon se gonfle, on augmente la pression, et on peut voler. Avec le CO2, c’est la même logique. Le CO2 augmente la température, la température fait monter la pression, et cette hausse de la pression se traduit par un anticyclone qui ne peut pas s’étaler en hauteur, parce que l’atmosphère possède un toit, qui est la troposphère. Donc l’anticyclone s’étale, et il finit par recouvrir toute l’Europe.

C’est donc indiscutablement l’activité humaine qui provoque ces épisodes de sécheresse plus intenses ?

Oui, on peut affirmer que ces sécheresses plus intenses sont bien provoquées par l’activité humaine. L’évidence statistique le prouve, ainsi que le mécanisme physique qui explique cela.

Vous avez pu tirer d’autres conclusions de votre étude ?

On s’est aussi demandé si ces zones de hautes pressions anticycloniques deviennent plus fréquentes. Nous n’avons pas identifié de changements significatifs dans la fréquence. Pour les données situées entre 1836 et 1915, il y avait moins de points de mesure de ces zones de pression, il y a donc plus d’incertitudes.

« C’est à partir de 2017 que les périodes de fortes sécheresses sont devenues presque systématiques sur toute l’Europe de l’Ouest »

A partir de quand la situation s’est-elle aggravée ?

Nous n’avons pas suffisamment de données pour répondre précisément à cette question de l’aggravation du phénomène de sécheresses intenses. Par contre, sur les sécheresses très récentes, c’est à partir de 2017 que les périodes de fortes sécheresses sont devenues presque systématiques sur toute l’Europe de l’Ouest.

Il y a aussi des phénomènes de pluies très fortes, et même d’inondations ?

Si on regarde la moyenne des précipitations sur les dernières années, ce n’est pas forcément différent, ou inférieur, aux années précédentes. Mais la variabilité est beaucoup plus forte. Il ne pleut pas pendant de très longues périodes, et il se met à pleuvoir d’un coup, avec des précipitations fortes et orageuses, que vous avez d’ailleurs malheureusement connu dans les Alpes-Maritimes [à ce sujet, lire nos articles Tempête Alex : Monaco se mobilise pour les sinistrés et Un an après, Tende continue de panser ses plaies, publiés dans Monaco Hebdo n° 1168 et n° 1213 — NDLR]. La quantité d’eau qui tombe est à peu près la même, mais elle est mal répartie dans l’année.

« La variabilité est beaucoup plus forte. Il ne pleut pas pendant de très longues périodes, et il se met à pleuvoir d’un coup, avec des précipitations fortes et orageuses »

Si l’homme n’agit pas sur ses émissions de CO2, les épisodes de sécheresse vont continuer à s’aggraver ?

Effectivement, si on ne diminue pas nos émissions de CO2, les sécheresses vont continuer à se produire, et de façon plus intense encore. Plus les émissions de CO2 augmentent, et plus les températures augmentent aussi, et plus les épisodes de sécheresse seront intenses.

Vous avez fait des projections, pour voir sur quoi pourraient déboucher les différents scénarios possibles ?

Nous n’avons pas encore fait ce travail, mais c’est une étude que nous sommes actuellement en train de mener.

Sécheresse Lac
« Face à ces sécheresses plus intenses, il faut se montrer résilient. Je suis Sicilien. En Italie, dans certaines régions, on parvient à faire fonctionner l’agriculture et la vie locale, malgré ces fortes chaleurs. » Davide Faranda. Climatologue, chercheur CNRS au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. © Photo Emerald Media / Shutterstock

Que faire ?

Il va falloir une véritable coordination européenne pour résoudre ce genre de problème. On ne peut pas régler ce sujet en agissant uniquement à l’échelle régionale ou même de la France. Les différents pays doivent s’entraider et avoir un mécanisme de solidarité, mais aussi de répartition des ressources, qui prend en compte ces épisodes de fortes sécheresses.

Il va aussi falloir repenser complètement notre agriculture ?

Il faut aussi réfléchir à l’agriculture que l’on pourrait faire dans le futur (3), en prenant en compte la variabilité des pluies.

Comment lutter contre ces épisodes de sécheresses intenses ?

Face à ces sécheresses plus intenses, il faut se montrer résilient. Je suis Sicilien. En Italie, dans certaines régions, on parvient à faire fonctionner l’agriculture et la vie locale, malgré ces fortes chaleurs. En Sicile, il y a un peu plus de 5 millions d’habitants. Cela représente donc une population assez importante, installée sur une île où il n’y a pas forcément beaucoup d’eau. Et pourtant, ça fonctionne. Il est donc possible de s’adapter. Il faut prendre l’exemple des zones du sud de l’Europe, comme la Grèce, le sud de l’Italie, ou l’Espagne, qui fonctionnent déjà de cette façon-là. En espérant que ces épisodes de sécheresses et de chaleurs n’atteindront pas des niveaux trop graves, pour lesquels on ne pourra pas s’adapter. Parce que l’adaptation a une fin. Si on a des sécheresses vraiment très longues, sans eau, cela peut déclencher des situations dans lesquelles les cultures meurent, et où il n’y a plus d’eau pour la population.

« L’adaptation a une fin. Si on a des sécheresses vraiment très longues, sans eau, cela peut déclencher des situations dans lesquelles les cultures meurent, et où il n’y a plus d’eau pour la population »

En France, après un nouveau record d’absence de pluie, des restrictions d’eau inédites se profilent, a indiqué le ministre de l’agriculture Marc Fesneau, le 22 février 2023 ?

C’est normal. Il faut bien comprendre que l’eau, ce n’est pas quelque chose d’infini. Il faut absolument parvenir à faire passer ce concept que l’eau est une ressource qu’il faut sauvegarder, parce que c’est un bien commun. L’eau est comme un être vivant, d’ailleurs, l’eau donne la vie. Il n’y a pas d’autres leviers d’action que de passer par cette épargne d’eau pour des usages qui ne sont pas essentiels.

En déplacement au salon de l’agriculture le 25 février 2023, Emmanuel Macron a évoqué un « plan de sobriété sur l’eau » [lire notre encadré, par ailleurs — NDLR] : ces restrictions d’eau, ce n’est pas quelque chose de nouveau ?

En France, il y a eu des restrictions d’eau pendant l’été 2022. En Italie, on se souvient de la sécheresse qui a touché le nord de l’Italie en 2017, et des restrictions qui ont été décidées. En 2003, le sud de l’Italie a subi beaucoup de restrictions d’eau. Donc les restrictions d’eau ne sont pas un phénomène nouveau en Europe.

Est-ce que l’été 2022 a vraiment été historiquement sec, ou il y a déjà eu des étés plus secs ?

Tout dépend de l’échelle que l’on prend en compte. Si on regarde toute l’Europe, alors oui, l’été 2022 a été historiquement sec. Mais dans le sud de l’Italie et dans le sud de l’Espagne, l’été 2022 n’a pas été la pire sécheresse enregistrée. En revanche, si on combine l’ensemble de l’Europe de l’ouest, 2022 est bien la pire sécheresse jamais connue. Pour affirmer cela, il faut avoir des données chiffrées. Or, on dispose de chiffres uniquement sur la période qui va de 1836 à aujourd’hui. On ne peut pas vraiment remonter davantage en arrière.

« Historiquement, il faut se rappeler que les révolutions ont commencé à la suite de fortes sécheresses. Car ces sécheresses ont entraîné des famines, et aussi des épidémies. Cela a provoqué la colère de la population, et parfois des révolutions. Il ne faut donc pas oublier la valeur historique des sécheresses »

En 2022, dans un « focus météo 2022 » publié le 16 février 2023, l’Institut Monégasque de la Statistique et des Études Économiques (IMSEE) a indiqué qu’avec 35,1 °C, Monaco avait battu un record de température l’an dernier : vous n’êtes donc pas étonné ?

Les chiffres publiés par l’IMSEE ne m’étonnent pas. Ces chiffres rentrent dans les projections du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies (GIEC) sur les villes méditerranéennes pour les années 2020-2030. Malheureusement, les données publiées par Monaco sont alignées avec ces prévisions. En Méditerranée, la mer se réchauffe plus vite que l’océan Atlantique et que les autres océans. Donc la mer devient une source de chaleur qui contribue à augmenter la température au-delà du changement climatique moyen global. La mer est aussi devenue une source de chaleur capable de déclencher des orages meurtriers, comme les 17 et 18 août 2022 en Corse. En été, Monaco est concerné par l’anticyclone méditerranéen qui est très sec, très puissant, et qui a fait monter les températures à des niveaux records en 2022.

« En Méditerranée, la mer se réchauffe plus vite que l’océan Atlantique et que les autres océans. Donc la mer devient une source de chaleur qui contribue à augmenter la température au-delà du changement climatique moyen global »

En principauté, la température continue d’augmenter depuis la dernière décennie : comment expliquer cela ?

Dans certaines villes, la montée des températures n’est pas toujours continue : on constate parfois des années plus fraîches, car il existe une variabilité du climat. Les températures ne vont pas augmenter chaque année. Il y aura des étés plus frais. Mais la tendance globale sera à l’augmentation. Ce qui explique que l’on a des villes, comme Monaco, où on observe des records de températures battus, plusieurs années d’affilée.

Comment donner l’ampleur nécessaire aux conclusions de votre étude, car on a l’impression que les messages des scientifiques sur le climat ne sont pas suffisamment entendus, notamment par les politiques et par les décideurs ?

Notre étude portait sur 2022. Or, en 2023, on commence l’année sur une mauvaise pente, avec de gros problèmes de sécheresse, et même avec une amplification de ce que nous avons observé en 2022. Ces événements sont vraiment intenses. Ils provoquent d’énormes dégâts pour l’agriculture. Il faut donc s’adapter assez vite, et proposer une réponse coordonnée au niveau européen. Sinon, on risque d’avoir des difficultés assez importantes.

Vraiment ?

Historiquement, il faut se rappeler que les révolutions ont commencé à la suite de fortes sécheresses. Car ces sécheresses ont entraîné des famines, et aussi des épidémies. Cela a provoqué la colère de la population, et parfois des révolutions. Il ne faut donc pas oublier la valeur historique des sécheresses. Dans les années 1950 à 1980, on pensait être résilient face à ce phénomène, parce qu’on avait construit des infrastructures pour préserver l’eau, avec des systèmes hydroélectriques, notamment. Mais le changement climatique se pose comme un véritable challenge face à ces infrastructures. Il nous replonge dans des scénarios sombres, avant la révolution industrielle. A cette époque, le climat était un protagoniste important, car l’agriculture occupait un rôle central dans la vie de la société d’alors, mais aussi dans la vie politique. Tout cela devrait motiver la classe politique à agir.

Sur quoi allez-vous travailler en 2023 ?

Dans mon équipe, on travaille sur plusieurs sujets. Je suis en train de travailler sur les orages. L’objectif est de répondre à cette question : est-ce que les très forts orages que l’on a observés pendant l’été 2022 ont été rendus plus intenses à cause du réchauffement climatique ? Nous avons aussi des étudiants qui sont en train de s’intéresser aux cyclones méditerranéens. C’est d’ailleurs une question qui pourrait intéresser Monaco. Enfin, nous sommes aussi en train de regarder les projections pour les années à venir, pour les épisodes de sécheresse et pour les précipitations.

Emmanuel Macron Salon de l'Agriculture
© Photo Philippe Montigny / Shutterstock

Sécheresse : en France, Emmanuel Macron évoque « un plan de sobriété sur l’eau »

À l’occasion de son passage au salon de l’agriculture à Paris, dans la journée du 25 février 2023, le président Emmanuel Macron a abordé la question de la sécheresse qui frappe le territoire français. Il a évoqué « un plan de sobriété sur l’eau », qui se déclinerait sur le modèle de la « sobriété énergétique ». Il a notamment mis en avant trois actions : récupérer plus efficacement l’eau de pluie, réduire les fuites dans les réseaux d’eau, et enfin assurer une meilleure répartition de l’utilisation de l’eau potable selon le profil des différents usagers, par exemple en poursuivant l’effort consenti pour la mise en place de rétentions collinaires. De son côté, le ministre français de la transition écologique, Christophe Béchu, a reçu dans la journée du 27 février 2023 les préfets qui sont en charge des sept grands bassins français. Il a expliqué dans Le Journal du Dimanche (JDD), le 26 février 2023 : « A chaque fois, j’aurai le même message. Anticipez ! Prenez les mesures qui permettent, dès à présent, de faire des économies d’eau. S’il faut dès maintenant prendre des arrêtés de restriction pour s’assurer que la ressource en eau soit préservée pour cet été, prenez-les. N’ayez pas la main qui tremble. » Après la sécheresse de l’été 2022 et un hiver 2022-2023 très sec, des restrictions d’eau pourraient être décidées en France dans le courant du mois de mars. Contacté par Monaco Hebdo afin de recueillir sa position sur ce sujet, le gouvernement monégasque n’avait pas répondu à nos questions avant le bouclage de ce numéro, le 28 février 2023.

1) A ce sujet, lire notre dossier spécial canicule, sécheresse, ainsi que l’interview de Cécile Guyon : « Ces épisodes caniculaires vont devenir de plus en plus la norme », publiés dans Monaco Hebdo n° 1257.

2) Davide Faranda a travaillé sur cette étude en collaboration avec ses collègues, Burak Bulut et Salvatore Pascale, de l’IPSL et de l’université de Bologne.

3) Interrogé par Monaco Hebdo en novembre 2022, le directeur de l’institution des invalides de la Légion étrangère, le lieutenant-colonel Olivier Madonna, qui produit son propre vin depuis 1954, a expliqué : « Face au changement climatique, on s’adapte. Pour le vin blanc, actuellement nous avons du rolle [qui est aussi appelé vermentino en Italie et en Corse — NDLR], et nous pourrions l’abandonner pour le cépage rousseli, qui est plus résistant aux grosses chaleurs et à la canicule. Des études sont faites actuellement, et nous suivons cela d’assez près. » Son interview complète est à lire ici.