vendredi 19 avril 2024
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Damienne Provitolo : « La Côte d’Azur, dont fait partie Monaco, est exposée aux risques de tsunami »

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Fin juin 2022, l’Organisation de l’ONU pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a indiqué qu’elle allait étendre son programme de protection contre les tsunamis à toutes les zones à risques dans le monde d’ici à 2030, et donc aussi à la Côte d’Azur et à Monaco. Pour mieux comprendre les enjeux, Monaco Hebdo a interrogé Damienne Provitolo, directrice de recherche au CNRS au laboratoire Geoazur et responsable de l’équipe RISQUES (1).

Si 70 % des tsunamis sont provoqués par un séisme, à quoi sont dus les 30 % restants ?

Différents types d’évènements peuvent produire un tsunami. La cause la moins probable, car extrêmement rare, mais néanmoins possible, est l’impact d’un astéroïde ou d’une météorite dans la mer. Les causes de tsunamis plus fréquentes sont des perturbations sous-marines : des tremblements de terre, des effondrements volcaniques, ou des glissements de terrain. En entraînant un déplacement d’eau, ces perturbations peuvent provoquer un tsunami. Soixante-dix pour cent des tsunamis se produisent dans l’océan Pacifique du fait de l’importante activité sismique et volcanique de la ceinture de feu du Pacifique, une zone qui borde les 40 000 kilomètres de pourtour de cet océan. Les tsunamis catastrophiques de 2004 à Sumatra et de 2011 au Japon, fortement médiatisés, ont révélé au grand public l’existence de ce risque.

Quelles sont les autres zones à risques en Méditerranée ?

La mer Méditerranée est le second bassin exposé, avec 15 % des évènements mondiaux répertoriés depuis – 1 600 avant J.C.. Les plus emblématiques sont le séisme de Messine en 1908 qui a provoqué un tsunami le long des côtes italiennes qui bordent ce détroit, et le séisme de 1887 en mer Ligure, qui a entraîné un tsunami sur la Côte d’Azur. Dans la période récente, plusieurs évènements, plus ou moins médiatisés, ont également frappé la Méditerranée : des tsunamis de faible ampleur ont été déclenchés à la suite de tremblements de terre en 2017 et en 2020 en Grèce et en Turquie. Ces évènements n’ont pas eu d’impact sur les côtes françaises. En revanche, le tremblement de terre de Boumerdes, en Algérie, en mai 2003, a provoqué un tsunami de faible intensité sur la Côte d’Azur.

Damienne Provitolo CNRS
« Il n’est pas possible de prévoir quand se produiront les tremblements de terre et les glissements de terrain sous-marins. » Damienne Provitolo. Directrice de recherche au CNRS au laboratoire Geoazur et responsable de l’équipe RISQUES. © Photo DR

Ce tsunami a fait des victimes ?

Ce tsunami d’origine sismique n’a pas fait de victimes, mais il a révélé d’une part la vulnérabilité des ports de ce littoral azuréen, avec des endommagements sur les bateaux, d’autre part des failles dans le dispositif d’évaluation de cet évènement, et la difficulté d’alerter les autorités et les populations. En matière de tsunami consécutif à des glissements de terrain, en octobre 1979, l’effondrement d’une partie de l’extension de l’aéroport de Nice en cours de travaux a créé un tsunami, avec une vague estimée entre 2,5 et 3,5 mètres de haut. Cette « vague » a déferlé sur la plage de la Salis, à Antibes. Heureusement, cet évènement s’est produit en octobre, et non en période estivale, où les plages sont très fréquentées.

« La mer Méditerranée est le second bassin exposé, avec 15 % des évènements mondiaux répertoriés depuis – 1600 avant J.C.. Les plus emblématiques sont le séisme de Messine en 1908 qui a provoqué un tsunami le long des côtes italiennes qui bordent ce détroit, et le séisme de 1887 en mer Ligure, qui a entraîné un tsunami sur la Côte d’Azur »

Monaco et la Côte d’Azur sont donc exposés aux risques de tsunamis ?

La Côte d’Azur, dont fait partie Monaco, est exposée aux risques de tsunami. Dans cette zone géographique, le tsunami peut être déclenché soit par un glissement de terrain sous-marin, soit par un tremblement de terre sous-marin. On a en effet deux failles sous-marines qui menacent les côtes azuréennes : la faille Ligure, très proche du rivage, car elle est à seulement 30 kilomètres au large, et une faille plus éloignée, car située au niveau de la marge maghrébine. Nous avons donc deux failles avec deux contextes de gestion de crise différents.

C’est-à-dire ?

La rupture de la faille de la marge maghrébine laisserait plus d’une heure, et donc suffisamment de temps aux opérationnels pour alerter et organiser l’évacuation de la population présente sur le rivage. En revanche, des chercheurs du laboratoire Géoazur à Sophia Antipolis et un rapport récent du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) ont montré que sur le littoral azuréen, la proximité de la faille Ligure et des zones de glissements sous-marins induisent des temps d’arrivée courts des tsunamis à la côte, de quelques minutes à une quinzaine de minutes. Dans ce contexte spécifique, la rapidité d’arrivée du tsunami à la côte ne permettrait pas aux opérationnels d’alerter la population et d’organiser son évacuation. De plus, les chercheurs ont pu montrer que la submersion ne serait pas uniforme sur tout le littoral.

« Les causes de tsunamis plus fréquentes sont des perturbations sous-marines : des tremblements de terre, des effondrements volcaniques, ou des glissements de terrain »

A quoi pourraient ressembler les submersions ?

Les modélisations numériques qui envisagent différents scénarios de rupture de faille ou de glissements de terrain, prévoient des submersions marines de quelques dizaines de centimètres à près de 3 ou 4 mètres sur différentes portions du littoral. Bien évidemment, il y a des marges d’incertitude dans les modélisations. Certes, cela n’a rien à voir avec les tsunamis de plusieurs dizaines de mètres de hauteur que l’on a pu observer dans le Pacifique, mais il convient de garder à l’esprit que ces « vagues », le terme étant d’ailleurs impropre, ne déferlent pas comme celles que les surfeurs recherchent sur l’Atlantique et le Pacifique. A l’approche des continents, les tsunamis se transforment en murs d’eau, chargés en sédiments et en débris. Lorsque la vague de tempête s’abat sur le littoral, elle s’écrase et se disperse. Lorsque le tsunami arrive sur le littoral, il avance, et il emporte tout sur son passage.

Tsunami Sumatra
« Les tsunamis catastrophiques de 2004 à Sumatra (notre photo) et de 2011 au Japon, fortement médiatisés, ont révélé au grand public l’existence de ce risque. » Damienne Provitolo. Directrice de recherche au CNRS au laboratoire Geoazur et responsable de l’équipe RISQUES.© 2018 Frans Delian/Shutterstock

Un risque de nouveau tsunami est-il à craindre sur la Côte d’Azur ?

Le terme « risque de nouveau tsunami » sur la Côte d’Azur est inadéquat. Il y a bien un risque de tsunami pouvant être déclenché par un tremblement de terre ou un glissement de terrain sous-marins sur la Côte d’Azur, ce n’est pas nouveau. Et si ce risque se réalise, alors il produira un évènement réel. Selon la gravité des dommages humains et matériels et selon le coût économique, l’évènement sera qualifié d’accident, de catastrophe, ou de catastrophe majeure. Si on reprend l’exemple du tsunami sur la Côte d’Azur déclenché par le tremblement de terre de Boumerdes, en 2003, il n’y a pas eu de catastrophe sur le littoral azuréen, car les dégâts liés à la submersion ont été minimes. En revanche, le tremblement de terre à l’origine de ce tsunami a été une catastrophe majeure, car il a provoqué la mort de milliers de personnes et de nombreuses victimes en Algérie.

Peut-on prévoir quand pourrait se produire un nouveau tsunami et, au vu de la situation géographique de Monaco, quelles seraient les conséquences ?

Il n’est pas possible de prévoir quand se produiront les tremblements de terre et les glissements de terrain sous-marins. Et ce, même si les zones d’aléa sismique et d’aléa gravitaire sont relativement bien connues aujourd’hui. Un tsunami peut donc se produire n’importe quel jour de l’année, et tout aussi bien la journée que la nuit. Dans ce contexte, il convient donc de miser sur l’aménagement du territoire pour intégrer le danger, sur la prévention des risques et la gestion des catastrophes. Cela est d’autant plus important qu’il y a une concentration des hommes, des activités, du tourisme balnéaire, des infrastructures sur les littoraux. Et cette concentration suffit à accroître les vulnérabilités humaines, matérielles, et économiques. C’est une règle mondiale qui concerne donc aussi la Côte d’Azur et Monaco.

Vladimir Ryabinine, secrétaire exécutif de la Commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco, a estimé qu’en Méditerranée, la « probabilité d’une vague d’un mètre, donc catastrophique, dans les trente prochaines années, y est très élevée » : cela est-il crédible ?

La probabilité d’une vague d’un mètre arrivant sur les littoraux méditerranéens en cas de tsunami est crédible. Mais, quoi qu’il en soit, l’événement et sa probabilité demeurent incertains. Il convient d’accepter l’incertitude, et de l’intégrer dans les stratégies de prévention et de gestion des risques et des catastrophes.

« En matière de tsunami consécutif à des glissements de terrain, en octobre 1979, l’effondrement d’une partie de l’extension de l’aéroport de Nice en cours de travaux a créé un tsunami, avec une vague estimée entre 2,5 et 3,5 mètres de haut. Cette « vague » a déferlé sur la plage de la Salis, à Antibes »

Est-il surprenant que, le 21 juin 2022, l’Unesco ait étendu son programme de protection contre les tsunamis à des milliers de villes, dont certaines en Méditerranée ?

Non, cela n’est pas surprenant, bien au contraire. Partout dans le monde, les littoraux attirent de plus en plus de populations et d’activités. Près de 80 % de la population mondiale vit maintenant à moins de 50 kilomètres d’un rivage. Cette concentration des enjeux le long des littoraux est prégnante en Méditerranée. C’est pourquoi, dans ce contexte d’exposition et de vulnérabilité aux risques de tsunami, l’Unesco a étendu son programme de protection contre les tsunamis à des milliers de villes. L’Unesco souhaite ainsi « que 100 % des populations côtières à risque soient prêtes à réagir », à faire face aux tsunamis dont les causes de déclenchement sont multiples.

Que faire, dans un tel contexte ?

Il faut donc se préparer à anticiper des catastrophes multidimensionnelles, c’est-à-dire des catastrophes où plusieurs évènements se combinent et s’enchaînent, comme un tremblement de terre, un glissement de terrain, et un tsunami.

« Monaco est exposé aux risques de tsunami. Dans cette zone géographique, le tsunami peut être déclenché soit par un glissement de terrain sous-marin, soit par un tremblement de terre sous-marin »

Est-il possible de se protéger d’un tsunami ?

Pour prévenir un risque et éviter qu’il ne se transforme en catastrophe, les sociétés humaines disposent de plusieurs stratégies, qu’il convient d’envisager de façon complémentaire. Certaines stratégies portent plutôt sur la réduction de l’aléa, alors que d’autres visent à réduire la vulnérabilité des populations et des territoires. S’il n’est pas possible de supprimer l’aléa tsunami, il est envisageable de réduire son ampleur, en établissant des barrières entre la « vague » de tsunami et l’environnement. Des murs anti-tsunami sont, par exemple, construits au Japon. Ils pourraient être envisagés sur certaines zones méditerranéennes présentant des enjeux critiques. Ces derniers doivent être calibrés en fonction de l’aléa, notamment la hauteur envisagée de la submersion, la résistance face à l’onde de choc, mais aussi des enjeux à protéger.

D’autres options sont envisageables ?

Comme il est malaisé d’atténuer l’aléa tsunami, il devient indispensable de limiter la vulnérabilité des populations, des activités, et des territoires avant, pendant, et après un tsunami. C’est en ce sens que les autorités mondiales, nationales et locales, oeuvrent. Certes, nous ne sommes pas encore pleinement prêts à anticiper ou à faire face à un tsunami, surtout si le temps est compté. Mais des actions sont déjà concrètement mises en place, ce qu’il convient de saluer.

Lesquelles ?

Pour se préparer aux tsunamis en Méditerranée, la Commission Océanographique Intergouvernementale des Nations Unies (COI) coordonne depuis 2005, à l’échelle mondiale, la mise en place de systèmes d’alerte aux tsunamis, pour pouvoir évacuer la population. La France collabore activement à cette action, avec la création du CENtre national d’ALerte aux Tsunamis (CENALT), dont les missions consistent en la surveillance des séismes et tsunamis en Méditerranée occidentale, dans l’Atlantique nord-est, et en l’alerte destinée à la protection civile. Ce système de surveillance et d’alerte peut permettre d’anticiper et d’organiser l’évacuation de la population azuréenne, dans le cas de tsunami généré par une source éloignée des rivages, par exemple provenant de la marge maghrébine.

C’est suffisant ?

Cela doit être perçu comme rassurant, mais cela ne doit pas donner un sentiment de sécurité absolue. En effet, pour des tsunamis soudains, comme ceux déclenchés par la rupture de la faille Ligure ou par un glissement sous-marin, l’alerte ne sera pas déclenchée à temps pour informer les « opérationnels » ou la population présente sur le littoral azuréen. Nous avons montré dans le programme de recherche « comprendre et simuler les comportements humains lors de catastrophes (Com2SiCa) » (1), tout l’intérêt de former les populations aux comportements à adopter : par exemple, auto-évacuer spontanément les rivages, et ce, avec ou sans déclenchement de sirène ou de message d’alerte, lorsque l’on ressent ou que l’on identifie des signes précurseurs, comme une secousse sismique, annonciateurs de l’arrivée éventuelle d’un tsunami. Informer la population de l’existence de ce risque pouvant être très localisé, et donc extrêmement soudain et brutal, est un enjeu qu’il reste à relever. C’est d’ailleurs ce que recommande l’Unesco, avec le programme Tsunamy Ready qui préconise de mettre l’accent sur l’éducation, la sensibilisation, et la préparation des populations aux tsunamis.

D’autres outils de prévention existent ?

D’autres actions sont intégrées dans les outils de prévention et gestion des risques et catastrophes. On peut citer en France, le Sénat, qui a publié en mars 2019 un rapport intitulé « la prévention et l’alerte du risque de tsunami sur les côtes françaises ». Dans le cadre du plan « Séisme 06 » qui couvre la période 2017-2025, la préfecture des Alpes-Maritimes intègre ce risque dans le plan Orsec séisme-tsunami. Elle organise des exercices de gestion de crise simulant l’arrivée d’un tsunami et elle déploie des actions d’information et de sensibilisation auprès de la population. Le service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes se prépare aussi au risque de tsunami d’origine sismique. Il prévoit des parcours pour l’acheminement des secours et peut contribuer à l’évacuation des populations, à la demande d’un maire ou du préfet qui en ont la responsabilité.

Monaco et les grandes villes des Alpes-Maritimes agissent aussi ?

Oui, des initiatives sont également mises en place à un niveau local. On peut en citer un certain nombre, sans volonté d’exhaustivité. La principauté de Monaco se rapproche des laboratoires de recherche pour anticiper ce risque. Elle développe un outil de simulation de submersion pour cartographier les zones inondées et déterminer des lieux de refuge. De son côté, la ville de Cannes a lancé le processus de certification « Tsunami Ready », en installant des panneaux sur le littoral d’Antibes et de Juan-Les-Pins, pour informer la population vers où se diriger en cas d’urgence. Quant à la ville de Nice, elle a intégré dans le dossier d’information communal sur le risque majeur (DICRIM) des informations relatives aux comportements à adopter en cas de tsunami. Autant d’actions et d’expertises à mutualiser, pour continuer à anticiper ce risque, et à améliorer la résilience des territoires et des populations. De façon plus générale, réduire l’exposition et la vulnérabilité des territoires et des populations face à tous les risques qu’ils soient d’origine naturelle, technologique, sanitaire, ou encore sociétale, est une nécessité qui se construit au fil du temps.

« Informer la population de l’existence de ce risque pouvant être très localisé, et donc extrêmement soudain et brutal, est un enjeu qu’il reste à relever. C’est d’ailleurs ce que recommande l’Unesco, avec le programme Tsunamy Ready qui préconise de mettre l’accent sur l’éducation, la sensibilisation, et la préparation des populations aux tsunamis »

Est-il exact que dans les zones où un tsunami a eu lieu, il y en aura nécessairement d’autres ?

Il n’y en aura pas nécessairement d’autres, à l’échelle de votre vie. Mais il peut y en avoir à nouveau, car ce sont des zones où des tremblements de terre, des effondrements volcaniques, ou des glissements de terrain peuvent se reproduire. L’échelle du temps n’est pas la même, selon que l’on se place du point de vue géologique ou humain.

Quel rôle joue le réchauffement climatique sur les tsunamis ?

En l’état des connaissances scientifiques actuelles, il n’y a pas de corrélation entre le changement climatique et les tremblements de terre ou les éruptions volcaniques. La question du changement climatique concerne davantage les tempêtes et les pluies torrentielles, comme la tempête Alex que nous avons vécu en octobre 2020 dans l’arrière-pays azuréen, les vagues de chaleur, ou les sécheresses.

1) L’équipe pluridisciplinaire RISQUES regroupe des chercheurs en géosciences, en sciences humaines et sociales, et en chimie. Objectif : mieux comprendre « le déclenchement de phénomènes catastrophiques et les processus associés », mais aussi « prévoir leurs conséquences ». Le laboratoire GeoAzur a été créé en 1996 à Sophia Antipolis, à partir de la fusion de quatre laboratoires de géosciences. Il réunit aujourd’hui plus d’une centaine de personnes.

2) Le programme de recherche « comprendre et simuler les comportements humains lors de catastrophes (Com2SiCa) » est consultable par ici.