samedi 27 avril 2024
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Guillaume Sandoz : « Cette découverte pourrait avoir des débouchés en direction des maladies neuromusculaires »

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Commander la contraction musculaire grâce à la lumière, chez des animaux génétiquement modifiés et paralysés : c’est la découverte faite par Guillaume Sandoz directeur de recherche au CNRS, à l’Institut de biologie de Valrose du CNRS de l’Inserm et à l’université Côte d’Azur, associé à des scientifiques grenoblois. Il explique cette avancée à Monaco Hebdo. Interview.

Depuis quand travaillez-vous sur la douleur ?

Je travaille essentiellement sur la bio-électricité, c’est-à-dire l’étude de l’électricité dans les cellules. Nous sommes arrivés au départ sur le thème de la douleur un peu par hasard. En plus de la douleur, notre laboratoire s’est aussi spécialisé dans un autre domaine, qui est celui de l’optopharmacologie et de l’optogénétique, qui associe les techniques de l’optique à celles de la génétique.

De quoi s’agit-il exactement ?

L’optopharmacologie et l’optogénétique sont des sciences qui existent depuis environ vingt ans. Cela consiste à se demander comment contrôler le comportement animal avec de la lumière. Dans le cadre de la photopharmacologie, on utilise des drogues, donc des substances, dont la capacité à réguler le vivant va être fonction de la lumière que l’on va appliquer. Ces molécules permettent de passer du mode « off » au mode « on », lorsqu’on met de la lumière.

« L’optopharmacologie et l’optogénétique sont des sciences qui existent depuis environ vingt ans. Cela consiste à se demander comment contrôler le comportement animal avec de la lumière »

En quoi consiste votre dernière découverte ?

Dans le cadre d’un travail réalisé avec l’équipe scientifique du docteur Michel Vivaudou de Grenoble, nous avons récupéré des gènes issus d’un virus marin. Ces gènes proviennent du séquençage du vivant réalisé grâce à un effort mondial, notamment avec le programme d’expédition Tara Océan (1) : ils ont récupéré des microorganismes dans la mer, et ils les ont séquencés. Cela a permis d’alimenter les bases de données biologiques de nouveaux gènes.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le séquençage réalisé dans le cadre de l’expédition marine Tara Océan ?

Nous avons été intéressés par les gènes qui permettent de sentir et de voir la lumière. Il y a, par exemple, les gènes qui codent pour les protéines rhodopsine. C’est ce que nous avons dans les yeux. C’est cela qui nous permet de voir. Dans les bases de données de gènes, il y avait des gènes de virus marins qui infectent les algues qui ressemblent à la rhodopsine que nous avons dans l’œil, mais qui sont assez différents.

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Qu’avez-vous fait ?

Nous avons pris ces gènes, on les a fait fonctionner dans des cellules qui en sont normalement dépourvues. Et nous avons observé la fonction gagnée par cette cellule avec la lumière. On s’est rendu compte que nous étions capable avec ces gènes viraux de contrôler avec la lumière le niveau de calcium intracellulaire. Or, le calcium est impliqué dans la contraction musculaire.

C’est-à-dire ?

À chaque fois que l’on contracte un muscle, du calcium rentre dans le muscle. On a donc cherché à voir si on parvenait à contrôler, non pas l’activité neuronale, mais contrôler directement l’activité du muscle avec de la lumière, en mettant ce gène dans un animal.

« Dans le cadre d’un travail réalisé avec l’équipe scientifique du docteur Michel Vivaudou de Grenoble, nous avons récupéré des gènes issus d’un virus marin. Ces gènes proviennent du séquençage du vivant réalisé grâce à un effort mondial, notamment avec le programme d’expédition Tara Océan »

Comment avez-vous pu vérifier cela ?

Nous avons pris des larves de têtards de xénopes, et nous leur avons intégré le gène. En plus de son génome normal, tout l’animal a acquis ce gène issus de virus qui infecte des plantes. En faisant cela, nous avons pu contrôler les mouvements de contraction du têtard comme on le souhaite, grâce à la lumière.

En quoi ces xénopes vous ont été utiles ?

Le xénophobe présente l’avantage d’avoir des cellules très grosses, avec des ovocytes d’environ 1 millimètre. Ces ovocytes sont faciles à manipuler. Nous avons donc pris cet œuf et nous avons mis le gène du virus dedans. Ensuite, après le développement de l’œuf en têtard, nous avons étudié les nouvelles propriétés de la lumière pour contrôler le mouvement du têtard.

Ça marche vraiment ?

Oui. La lumière fait contracter les muscles, et même quand on ajoute du curare dans la solution, la contraction musculaire fonctionne aussi. Pourtant, le curare est une drogue qui était utilisée en Amérique pour paralyser les proies, car il permet de dissocier le système nerveux central des muscles.

Guillaume Sandoz Maladie neuromusculaires
© Photo DR

Cela fonctionne donc même si la communication est coupée entre le système nerveux et les muscles ?

Absolument. Même si la communication est coupée entre le système nerveux et les muscles, notre découverte fonctionne. Cela nous a permis de publier un article à ce sujet dans le journal scientifique Nature Com. En introduisant le gène qui permet d’augmenter le calcium en réponse à la lumière, et en ciblant directement le muscle, le calcium augmente au sein de la cellule, et cela provoque une contraction. Il n’est donc plus nécessaire de passer par le système nerveux central.

« On s’est rendu compte que nous étions capable avec ces gènes viraux de contrôler avec la lumière le niveau de calcium intracellulaire. Or, le calcium est impliqué dans la contraction musculaire »

Cela peut donc fonctionner dans des cas plus extrêmes, encore ?

Si on va plus loin, et même si ça n’est pas dans l’immédiat, on peut penser qu’avec une lésion au niveau du dos, et donc plus de transmission nerveuse vers les jambes, on devrait pouvoir restituer une contraction nerveuse sur les jambes. Je ne dis pas que l’on va restituer une marche. Mais il est quand même positif de pouvoir contrôler l’activité du muscle, pour le garder fonctionnel.

Vraiment ?

Oui. Si on veut récupérer un jour la capacité de marcher, il faut que le muscle ait continué à travailler, sinon il ne fonctionnera plus du tout. On peut aussi imaginer des sortes de robots biologiques qui permettraient, avec la lumière, de contrôler les différents types de muscles comme on le souhaite.

Mais alors, pourquoi il est plus difficile de pouvoir aider celles et ceux qui ne peuvent plus marcher ?

La marche, c’est très compliqué, car ce n’est pas contraction et décontraction d’un seul muscle. Cela met en scène tout un tas de muscles : certains se contractent, d’autres se décontractent en même temps. On pourrait peut-être travailler dessus, mais c’est vraiment complexe.

Vous êtes allé plus loin dans vos tests ?

Quand on est passé à des organismes in vivo, c’est-à-dire à des organismes entiers, on est confronté à des problèmes d’éthique. Il est extrêmement difficile de travailler sur des souris. Alors nous avons décidé de travailler sur des têtards de quatre jours.

Jusqu’où avez-vous pu aller alors ?

Nous avons donc pris un œuf de xénope, et nous avons cette fois-ci attendu qu’il soit fécondé. Ensuite, nous avons introduit le gène que nous avons identifié, et nous avons laissé l’œuf se développer jusqu’à un stade larvaire. Nous avons alors fais des tests avec la lumière, afin de voir comment l’animal répondait à la lumière en se contractant.

« La lumière fait contracter les muscles, et même quand on ajoute du curare dans la solution, la contraction musculaire fonctionne aussi. Pourtant, le curare est une drogue qui était utilisée en Amérique pour paralyser les proies, car il permet de dissocier le système nerveux central des muscles »

Il est possible de parvenir à déclencher des mouvements précis ?

Le grand intérêt, c’est que nous avons pu effectivement déclencher des mouvements très précis. Par exemple, si on utilise un rayon lumineux de trois micromètres [un micromètre vaut un millionième de mètre — NDLR], on ciblera une zone de trois micromètres. Le muscle ne s’activera que si on allume la lumière. On peut donc décider quel muscle cibler, et quand. La précision vient de la lumière laser que l’on utilise. Avec les techniques actuelles, on peut avoir des lasers de cinq micromètres.

Cette découverte pourrait avoir des débouchés pour quels types de maladies ?

Cette découverte pourrait avoir des débouchés en direction des maladies neuromusculaires. Pour les autres maladies, cela peut être un peu plus compliqué. Cette découverte peut être utilisée comme un outil pour la recherche fondamentale, car on pourra contrôler avec la lumière la hausse de calcium intracellulaire. Il y a énormément de monde qui travaille sur le calcium, parce que c’est très important : on l’appelle d’ailleurs le « second messager ». Quand on agit sur un récepteur, cela joue notamment sur le calcium intracellulaire. L’autre avantage, c’est que la lumière n’est pas invasive, ce qui est mieux par rapport à l’utilisation d’agents chimiques.

Cela pourrait aussi permettre de lutter contre d’autres maladies encore ?

Cela pourrait aider à garder une activité musculaire. Un organe qui est en train de mourir, ne sera plus jamais innervé. Il faut que l’organise dise au système nerveux : « J’ai besoin que tu m’innerves. » Sans ça, ça ne fonctionne plus, et ça devient irréversible.

Pourquoi avoir travaillé avec une équipe de chercheurs grenoblois ?

J’ai travaillé avec Michel Vivaudou, qui est directeur de recherche à l’Institut de biologie structurale (IBS) de Grenoble. C’est aussi un ami. Il a été dans mon jury de thèse. Nous avions un projet en commun, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Le travail a commencé chez lui, à Grenoble. Ensuite, Ana Sofia Eira Oliveira, qui était étudiante à Grenoble, a rejoint mon laboratoire pour procéder à la partie “animale”. La découverte du calcium a été faite à Grenoble, et l’application a été réalisée à Nice.

Désormais, avant de passer à un stade pratique, quel est le chemin qu’il reste à parcourir ?

Cela représente plusieurs années de travail. Le passage au stade clinique ne dépend pas que de ça. Il dépend aussi des avancées enregistrées dans les approches par génie génétique. Car il n’est pas encore habituel de transférer des gènes chez un être humain. Pour transférer des gènes, on utilise des virus, il faut donc rester prudent. Mais nous démontré que chez l’animal, la contraction fonctionne. Il y a donc un vrai espoir.

Comment voyez-vous la suite pour cette découverte ?

Conceptuellement, nous avons apporté la preuve que ça marche. La recherche fondamentale a permis de montrer cela. Nous avons ensuite diffusé cela dans le monde entier, grâce à cet article dans Nature Com. Après, il faut que ce sujet soit repris, notamment par des entreprises, pour qu’il y ait des prolongements et que ça aille plus loin.

1) L’expédition Tara Océan est un grand programme de collecte d’échantillons marins réalisé depuis la goélette Tara.