samedi 27 avril 2024
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Violences faites aux femmes — Céline Cottalorda : « La formation est l’un des piliers de notre action »

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Le comité pour la promotion et la protection des droits des femmes vient de présenter son cinquième rapport. L’occasion pour la déléguée interministérielle pour la promotion et la protection des droits des femmes, Céline Cottalorda, d’en commenter les principales conclusions à Monaco Hebdo. Interview.

Nous sommes en 2024, et c’est le cinquième rapport d’activité présenté par le comité pour la promotion et la protection des droits des femmes : depuis 2018, qu’est-ce qui a changé ?

Beaucoup de choses ont changé depuis 2018. Mais le plus marquant, c’est l’évolution des mentalités au sein de la société. Grâce au travail accompli et à la mobilisation de tous les acteurs engagés aux côtés du comité pour la promotion et la protection des droits des femmes, nous avons fait bouger les lignes. Sur les violences faites aux femmes notamment. L’étude de l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (Imsee) a permis de prendre conscience, malheureusement, qu’il y a des victimes à Monaco aussi. Ce constat objectif nous aide à prendre, et adapter, des mesures pour aider encore mieux les victimes. Par ailleurs, je constate qu’il y a de plus en plus d’acteurs qui s’impliquent pour la cause des femmes, que ce soit au sein du gouvernement, des institutions, ou encore des associations qui font partie du comité. La parole s’est libérée, et la volonté d’agir de manière collective, aussi.

Lors de la réunion plénière de votre comité, la conseillère-ministre pour les relations extérieures et la coopération a indiqué que « dans un monde en souffrance, meurtri par les conflits, les crises sanitaires et climatiques, les femmes sont de plus en plus victimes de violences et de discriminations » : cela se vérifie-t-il aussi à Monaco ?

Il est évident qu’il y a des violences et des discriminations envers les femmes partout, même à Monaco. Je pense surtout que le sujet est davantage mis sur la place publique. Cela fait ressortir des situations qui étaient, jusque-là, cachées et tues. Les évolutions législatives de ces dernières années, avec la loi sur les incriminations d’agressions sexuelles ou celle sur le harcèlement en milieu scolaire, nous aident. Mais la loi ne peut pas tout, et les actions de formation auprès des professionnels et de sensibilisation auprès du grand public sont essentielles, aussi. Cependant, notre travail doit se poursuivre, car il existe encore des violences et des discriminations envers les femmes.

« 2023 a été une année tournée vers la jeunesse et la formation. Les deux journées internationales du 8 mars et du 25 novembre ont ciblé les jeunes, avec une thématique sur les femmes dans le sport, puis sur les violences numériques »

Dans les grandes lignes, qu’est-ce qui a marqué l’année 2023 ?

2023 a été une année tournée vers la jeunesse et la formation. Les deux journées internationales du 8 mars et du 25 novembre ont ciblé les jeunes, avec une thématique sur les femmes dans le sport, puis sur les violences numériques, qui touchent majoritairement les femmes et les jeunes filles. S’adresser à la jeune génération est une nécessité, si l’on veut faire évoluer les mentalités. Cependant, il serait injuste de faire porter tout le poids de la cause des femmes sur les épaules de nos jeunes. Les adultes aussi ont besoin d’apprendre. Pour cela, nous faisons de la formation pour les professionnels qui ont à traiter des violences intrafamiliales, et, depuis cette année, sur le sexisme au travail. Ensuite, il y a aussi eu le vote de la loi relative à l’indemnisation des victimes d’infractions à caractère sexuel, de crimes et délits envers l’enfant, de violences domestiques et d’autres infractions portant atteinte aux personnes. Ce texte est une évolution importante en faveur des victimes. Enfin, il y a eu le lancement de l’application de sécurité personnelle App-elles.

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Comment ont évolué les violences faites aux femmes en 2023 par rapport à 2022 ?

Au total, 55 faits de violences contre des femmes ont été relevés par la sûreté publique, contre 53 en 2022. Dans 47 % des cas, ces violences ont été commises par le conjoint ou par l’ex-conjoint de la victime. De plus, 57 procédures en justice ont été ouvertes en 2023, 9 condamnations prononcées, et 15 affaires ont été classées sans suite. Le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) a le plus grand nombre de cas recensés, avec 162 femmes admises, qui ont déclaré avoir subi des violences. La différence entre les chiffres de l’année dernière et ceux de cette année est due à des évolutions du mode de collecte des données et des outils métiers. Il faut rester très prudent dans la lecture des chiffres, qui sont difficilement comparables.

Céline Cottalorda Comité droits des Femmes Monaco
« La formation contre les violences domestiques va continuer à cibler les personnels de la police, des services sociaux et éducatifs, ainsi que les magistrats. Nous allons déployer de nouveaux modules permettant des mises en situation, et d’approfondir encore les connaissances par métier. Nous poursuivrons aussi le module initial d’accueil des victimes pour les agents de l’école de police. » Céline Cottalorda. Déléguée interministérielle pour la promotion et la protection des droits des femmes. © Photo Stephane Danna / Direction de la Communication

Du côté de l’association d’Aide aux victimes d’infractions pénales (Avip), quel est le bilan pour l’année 2023 ?

L’Avip a reçu 41 femmes victimes de violences en 2023. Dans 63 % des cas, les violences ont été commises par le conjoint ou par l’ex-conjoint de la victime. Il est important de rappeler que les différents types de violences ne sont pas exclusifs, et qu’une personne victime de violences physiques, peut aussi être victime d’autres violences. Enfin, 44 % des cas de violences incluaient des violences physiques, 56 % des cas de violences incluaient des violences psychologiques, et 37 % des faits de violences sexuelles.

Selon la publication de l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (Imsee), Monaco en chiffres, en principauté, de nombreux sports restent encore « genrés » : comment changer ce constat ?

Le constat qui a été fait dans Monaco en chiffres est un bel exemple du temps qu’il faut pour faire évoluer les mentalités. Pour changer, il faut continuer à sensibiliser les différentes générations, afin de déconstruire les stéréotypes de genre. Mais c’est un processus qui prend du temps. Il sera intéressant de voir l’évolution des chiffres dans quelques années. Rendre les femmes plus visibles, dans les médias notamment, est un moyen de susciter des vocations chez les petites filles. En cela, le travail accompli par les clubs sportifs de la principauté, qui se sont associés à la journée du 8 mars 2023, notamment le basket, le football, et le rugby, pour développer la pratique féminine, est remarquable.

À Monaco, les femmes représentent 28 % des gouvernants d’entreprise mais, malgré une hausse ces dernières années, elles restent minoritaires dans tous les secteurs d’activités de la principauté : comment expliquer ce phénomène, et que faire ?

Cette étude nous donne des chiffres, mais pas les causes, car il s’agit d’un travail très différent de celui que réalise l’Imsee. Un projet de loi a été déposé au Conseil national pour que les femmes travailleuses indépendantes puissent bénéficier d’un congé maternité, et que cela ne représente plus un obstacle pour leur carrière. En donnant les mêmes droits aux femmes du secteur privé, nous espérons leur donner la possibilité de faire carrière, sans avoir à choisir entre leur vie professionnelle ou personnelle.

« Les adultes aussi ont besoin d’apprendre. Pour cela, nous faisons de la formation pour les professionnels qui ont à traiter des violences intrafamiliales,  et, depuis cette année, sur le sexisme au travail »

Selon une étude inédite de l’Imsee, à Monaco le salaire médian est de 2 443 euros brut pour les hommes, et de 2 300 euros brut chez les femmes : quelles actions est-il possible de mener pour réduire cet écart ?

L’écart salarial entre hommes et femmes existe dans le secteur privé. Le réduire est complexe, car il faut agir à la fois sur les entreprises, sans nuire à leur compétitivité, mais aussi faire évoluer les mentalités. Dans ce cadre, les femmes ont un rôle actif à jouer, dans le choix des métiers, dans leur positionnement professionnel. Il faut accompagner cette évolution et donner aux femmes les moyens pour qu’elles gagnent de la confiance par rapport à leur valeur sur le marché du travail. Au sein de l’administration, nous avons mis en place un programme de développement professionnel intitulé « L’Effet A », avec A pour « ambition », qui agit sur trois piliers : confiance en soi, prise de risque, et influence.

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Céline Cottalorda Comité droits des Femmes Monaco
© Photo Stephane Danna / Direction de la Communication

En 2023, le Conseil national a voté la loi sur l’indemnisation des victimes de violences à caractère sexuel, de crimes et délits envers l’enfant, et de violences domestiques et d’autres infractions portant atteinte aux personnes : qu’est-ce que cela apporte ?

C’est une très belle avancée. Cette loi va permettre aux victimes de ne plus être laissées pour compte, quand l’auteur des faits est insolvable. L’Etat viendra se substituer à lui, et payer à la victime les dommages et intérêts auxquels elle a droit.

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Cette loi ne traite pas de l’indemnisation des victimes dont l’auteur de l’infraction n’a pas été identifié, et que l’on ne peut donc pas condamner : c’est une déception ?

Ce dispositif n’existait pas à Monaco. A présent c’est le cas, et il va couvrir la très grande majorité des situations. Le périmètre du champ des infractions a été élargi par rapport à celui de départ. Il faut donc voir les choses du bon côté. Je suis persuadée que nous allons continuer à avancer ces prochaines années, pour améliorer encore le dispositif au service des victimes.

« 55 faits de violences contre des femmes ont été relevés par la sûreté publique, contre 53 en 2022. Dans 47 % des cas, ces violences ont été commises par le conjoint ou par l’ex-conjoint de la victime. De plus, 57 procédures en justice ont été ouvertes en 2023, 9 condamnations prononcées, et 15 affaires ont été classées sans suite »

Au niveau international, cette loi répond à la convention d’Istanbul, que Monaco a signée et ratifiée et qui, dans son article 30, évoque un droit à une juste compensation pour les victimes dont l’auteur est insolvable ou inconnu ?

La majorité des cas sera couverte par la loi, c’est-à-dire quand l’auteur est insolvable. C’est un grand progrès vis-à-vis des victimes, et les institutions internationales et monégasques se réjouissent de cette avancée.

Avez-vous pu mesurer l’efficacité de vos campagnes, notamment vers les jeunes le 8 mars autour des femmes et du sport vus par le prisme de la nouvelle génération, et du 25 novembre pour sensibiliser aux violences touchant les femmes et les filles dans l’espace numérique ?

Vous avez raison d’aborder ce sujet, car il est nécessaire de mesurer l’impact de nos actions pour nous améliorer. Ce point a d’ailleurs été soulevé par les évaluateurs du Grevio [le groupe d’experts indépendants chargé de suivre la mise en œuvre par les États parties à la convention du Conseil de l’Europe, la convention d’Istanbul, qui concerne la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique — NDLR], qui sont venus en principauté en novembre 2023. Avec l’Imsee, nous avons décidé d’inclure désormais dans la collecte les données sur les violences la raison qui a poussé la victime à demander de l’aide. Cela permettra de savoir si c’est une campagne de communication qui a été le déclencheur.

En 2023, 99 professionnels qui traitent des violences intrafamiliales et 167 fonctionnaires et agents de l’Etat sur le sexisme au travail ont aussi été formés ?

C’est exact. Je suis très contente de voir que ces formations ont autant de succès. Nous avons eu des évaluations très positives sur les deux formations, et nous allons continuer dans ce sens.

Développée par l’association nantaise Résonantes, l’application App-Elles est disponible à Monaco depuis l’automne 2023 : quels sont les premiers retours ?

Les retours sont très positifs, car c’est une application intelligente et d’utilité publique. Nous avons fait une présentation au public et aux professionnels de terrain qui se sont montrés très intéressés. Ses cas d’usages sont nombreux. Pour donner de l’information et prévenir les violences contre les femmes bien sûr, mais aussi dans des situations où l’on a besoin d’être sécurisé, par exemple pour des parents dont les enfants rentrent tard le soir.

« Le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) a le plus grand nombre de cas recensés, avec 162 femmes admises, qui ont déclaré avoir subi des violences »

Quelles autres solutions pourraient être déployées pour permettre aux femmes isolées victimes de violences de pouvoir se signaler ?

Nous cherchons toujours de nouvelles manières d’informer les potentielles victimes. Nous avons déjà utilisé de nombreux supports. Cette année nous avons édité des brochures banalisées. Ces brochures au format de cartes de crédit et discrètes, ont été mises à disposition dans les pharmacies, les services du gouvernement étant amenés à recevoir des victimes, mais aussi dans les salles d’attente des cabinets médicaux, ainsi qu’au CHPG. Nous avons également collaboré avec la délégation interministérielle pour la transition numérique pour rendre accessible les informations d’aide aux victimes sur le site Internet Monaco Santé [www.monacosante.mc — NDLR].

Les soignants sont en première ligne dans la détection des violences faites aux femmes et dans l’accompagnement des victimes : qu’est-ce qui est fait à Monaco, à ce sujet ?

La formation est l’un des piliers de notre action. Les personnels du CHPG font partie des professionnels qui ont un contact avec de potentielles victimes. Nous en avons formé les années précédentes, et nous allons continuer. Je sais également que Benoîte Rousseau de Sevelinges est très mobilisée, et qu’elle a mis en place des procédures internes à ce sujet. Il faut aussi penser aux médecins de ville et aux pharmaciens, qui peuvent être amenés à voir des victimes. Nous allons les sensibiliser, pour leur donner tous les outils nécessaires, et continuer à créer cette culture commune contre les violences faites aux femmes.

Au final, de quels outils disposez-vous pour mesurer l’efficacité réelle des actions de sensibilisation qui ont été menées en 2023, ou même avant ?

Nos campagnes sont déployées sur les réseaux sociaux. Ainsi nous pouvons analyser les retombées des “posts” [des publications réalisées sur les réseaux sociaux — NDLR] et différentes métriques disponibles.

Céline Cottalorda Comité droits des Femmes Monaco
« Il est évident qu’il y a des violences et des discriminations envers les femmes partout, même à Monaco. Je pense surtout que le sujet est davantage mis sur la place publique. » Céline Cottalorda. Déléguée interministérielle pour la promotion et la protection des droits des femmes. © Photo Stephane Danna / Direction de la Communication

En 2023, vous avez aussi agrandi votre communauté d’ambassadeurs : qui vous a rejoint, et selon quels critères les choisissez-vous ?

Les ambassadeurs des droits des femmes sont des personnalités talentueuses, qui ont à cœur de porter les valeurs d’égalité entre les hommes et les femmes, et de lutter contre les violences à leur égard. Leur rayonnement en principauté, et hors de ses frontières, est un atout pour promouvoir une vision moderne, et plus égalitaire, de la société. En 2023, nous avons eu le plaisir d’accueillir Hugo Micallef et Florent Garcia. En tant que boxeur et musicien-youtubeur, ils ont la possibilité d’informer des communautés très différentes sur les droits des femmes.

En 2024, le volet formation sera tourné vers qui ?

La formation contre les violences domestiques va continuer à cibler les personnels de la police, des services sociaux et éducatifs, ainsi que les magistrats. Nous allons déployer de nouveaux modules permettant des mises en situation, et d’approfondir encore les connaissances par métier. Nous poursuivrons aussi le module initial d’accueil des victimes pour les agents de l’école de police.

« L’écart salarial entre hommes et femmes existe dans le secteur privé. Le réduire est complexe, car il faut agir à la fois sur les entreprises, sans nuire à leur compétitivité, mais aussi faire évoluer les mentalités »

En quoi vont consister les opérations de sensibilisation pour les jeunes en 2024 ?

Nous allons poursuivre la collaboration lancée en 2023 avec la commission d’insertion des diplômés, avec qui nous organisons des débats mouvants sur le thème des métiers « genrés ». D’autres sollicitations me parviennent pour aller dans des classes. Je vais bientôt parler d’égalité avec des collégiens. C’est très important pour moi d’avoir le point de vue des jeunes. L’apport est réciproque, car on a beaucoup à apprendre en écoutant leurs attentes. Nous avons aussi entamé un dialogue avec des lycéens et leur professeur de français, qui vont d’ailleurs participer à la prochaine journée du 8 mars 2024.

Quels seront les principaux moments forts de l’année 2024 ?

Cela fait cinq ans que le comité pour la promotion et la protection des droits des femmes existe, et je voulais organiser une journée spéciale, où l’on puisse montrer la force du collectif monégasque engagé pour les droits des femmes. L’action se passera, comme dans le théâtre grec, avec une unité de lieu, l’espace Léo Ferré, une unité de temps, la journée du 8 mars, et une unité d’action, la cause des femmes. Les associations et partenaires du comité ont été invités à animer cette journée par des stands, des conférences, ou des tables rondes, des ateliers qui parleront des femmes à travers quatre thèmes : l’éducation, la santé, le sport, et le travail. Nous aurons également une œuvre collective, éco-reponsable, qui sera construite grâce au public qui, je l’espère, viendra nombreux. En effet, l’entrée sera libre et gratuite, et cette journée s’adressera à tout le monde. Elle se terminera par un spectacle, à partir de 20h30. Le programme complet sera bientôt disponible sur le site Internet du comité [www.dfm.mc — NDLR] et de nos partenaires.