jeudi 25 avril 2024
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Cécile Guyon : « Ces épisodes caniculaires vont devenir de plus en plus la norme »

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Responsable des services prévisions et climatologie de la région sud-est chez Météo France, Cécile Guyon livre son analyse sur cet été 2022 historiquement chaud et sec, et évoque dans le même temps les tendances climatiques pour les prochains mois.

L’été 2022 a été marqué par de longues et fortes chaleurs et une sécheresse historiques : comment l’expliquez-vous ?

Nous avons eu pendant longtemps des conditions anti-cycloniques. Cela est dû à la circulation de l’atmosphère, qui a été propice à des conditions calmes et sèches. D’une manière générale, l’été est chaud et sec en Méditerranée. Il faudrait faire des études et des analyses, mais je dirais que c’est quand même le « package » du réchauffement climatique. Ce qui était chaud devient maintenant très chaud avec le réchauffement climatique. C’est la tendance actuelle.

Ces chaleurs et cette sécheresse pourraient-elles devenir la norme sous l’effet du réchauffement climatique ?

Oui, les températures vont encore monter. C’est ce qui est prévu avec le réchauffement climatique et dans les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Nous avons eu une hausse avérée [des températures — NDLR] et la tendance est aussi à la hausse. Ces épisodes caniculaires vont devenir de plus en plus la norme, et nous aurons peut-être des phénomènes encore plus intenses.

La mer Méditerranée a aussi été anormalement chaude cet été, avec des pics à plus de 30 °C : quelles conséquences peut avoir cette canicule marine ?

Les températures de la Méditerranée ont été exceptionnellement élevées. Le fait d’avoir des températures de basse couche élevées influe forcément sur la température de l’eau de mer. Plus la température de la mer est élevée, plus il y a de l’évaporation. Du coup, on aura au niveau de l’atmosphère à la fois de l’air chaud de basse couche et de l’humidité. Et cela est un ingrédient pour que l’on ait des phénomènes d’orages violents. Mais il faut aussi d’autres choses.

« Les températures vont encore monter. C’est ce qui est prévu avec le réchauffement climatique et dans les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Nous avons eu une hausse avérée [des températures — NDLR] et la tendance est aussi à la hausse »

Quels sont ces autres ingrédients ?

La température de l’eau de mer y contribue, parce qu’elle s’évapore, et qu’elle donne cette énergie, cette humidité qui est nécessaire en basse couche de l’atmosphère pour que la masse d’air s’instabilise et donne des orages. Il faut donc de l’air chaud de basse couche, qui vient souvent en flux de sud et d’est dans les Alpes-Maritimes. La convergence de vents peut aussi être favorable à une instabilité de la masse d’air. Et surtout, il faut qu’il y ait en altitude des ingrédients pour instabiliser cette masse d’air, c’est-à-dire schématiquement de l’air froid d’altitude. Si on a un air chaud de basse couche et un air froid d’altitude, ça donne une masse d’air instable.

Faut-il redouter une tempête comme en 2020 (1) ?

À cette échéance [cette interview a été réalisée jeudi 1er septembre 2022 — NDLR], je ne peux pas m’avancer sur le fait qu’il y aura un épisode pluvieux de type 2020. À l’automne, de septembre à décembre, la probabilité qu’il y ait des épisodes méditerranéens est plus élevée que le reste de l’année. Mais la prévisibilité de l’atmosphère, je ne peux pas l’anticiper. Nous pouvons avoir plusieurs épisodes qui vont donner dans les 50-100 millimètres [de précipitations — NDLR] et nous pouvons avoir un épisode très violent. Nous pouvons prévoir à 5-7 jours la circulation générale de l’atmosphère sur l’Europe par exemple. Pour une dépression qui concerne environ une centaine de kilomètres, c’est en moyenne deux ou trois jours. Mais pour des orages, par exemple, la prévisibilité se limite à quelques heures. La recommandation, c’est donc de bien suivre les vigilances émises.

Pourquoi la prévisibilité des orages est-elle si difficile ?

Nous disposons de modèles numériques qui demandent énormément de temps de calcul. Par exemple, pour un phénomène qui pourrait se produire à quatre ou cinq jours, nous avons des modèles qui ont des résolutions qui ne permettent pas de localiser ce type d’orage. Il faut vraiment des modèles qui ont une résolution capable de créer des orages. Notre modèle ARÔME a une résolution de 1,3 kilomètre, donc nous le faisons tourner sur 48 heures mais nous ne pouvons pas nous permettre de le faire tourner sur 72 ou 96 heures. Ce ne serait pas intéressant. En revanche, nous avons d’autres modèles qui vont nous donner une circulation générale. Ensuite, nous avons une expertise humaine puisqu’il existe plein de modèles. Aujourd’hui avec Météo France, nous marchons de plus en plus dans de la prévision probabiliste.

« À cette échéance, je ne peux pas m’avancer sur le fait qu’il y aura un épisode pluvieux de type 2020. À l’automne, la probabilité qu’il y ait des épisodes méditerranéens est plus élevée que le reste de l’année. Mais la prévisibilité de l’atmosphère, je ne peux pas l’anticiper »

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire que nous faisons tourner plusieurs modèles qui ont la même résolution, et nous regardons si tous nos modèles convergent vers le même scénario. Dans ce cas, nous aurons une bonne confiance dans la prévisibilité de l’atmosphère. S’il y a des divergences, nous allons choisir un scénario qui peut être revu. C’est la raison pour laquelle parfois Météo France change ses prévisions. Nous choisissons un scénario même si la prévisibilité de l’atmosphère n’est pas très bonne, tout en exprimant nos incertitudes sur cette prévisibilité. Parfois, nous avons une bonne confiance et parfois non. Plus on regarde nos modèles qui ont une résolution qui peuvent modéliser des orages, plus on pourra avoir une idée de la localisation et de l’intensité du phénomène.

Allons-nous retrouver une situation normale dans les prochaines semaines ?

Nous avons des prévisions saisonnières sur trois mois, sur septembre, octobre, et novembre. Il s’agit d’une moyenne sur trois mois, car nous ne pouvons pas prévoir précisément les épisodes méditerranéens. Certains modèles probabilistes nous disent qu’il n’y a pas de signal au niveau des précipitations. Grosso modo, 33 % de nos modèles de probabilité disent plus sec, d’autres plus humide, et un autre où nous n’avons pas de signal. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de signal au niveau des précipitations. En revanche, concernant les températures, il y a une bonne confiance pour que ce soit plus chaud que la normale. Mais à la limite, plus chaud que la normale, ça va presque devenir la normale. Je ne sais même plus si c’est un signal.

1) Le 2 octobre 2020, la tempête Alex a dévasté une partie des vallées de La Vésubie, de la Roya, et de la Tinée. Les pluies diluviennes et les crues brutales ont causé d’importants dégâts matériels et humains (18 morts et disparus). À ce sujet, lire notre article Tempête Alex : à Breil-sur-Roya, « on entame la phase de reconstruction », publié dans Monaco Hebdo n° 1176 et Tempête Alex : le village de Tende toujours coupé du monde, également publié dans Monaco Hebdo n° 1176.

Pour lire la suite de notre dossier « Canicule, sécheresse… Va-t-il-falloir s’y habituer ? », cliquez ici.