samedi 20 avril 2024
AccueilDossierUn an après, Tende continue de panser ses plaies

Un an après, Tende continue de panser ses plaies

Publié le

Un an après le passage de la tempête Alex, ce village de 2 000 habitants, enclavé dans la vallée de la Roya, n’a toujours pas entamé sa reconstruction. Une situation particulièrement délicate à gérer pour le maire de la commune, Jean-Pierre Vassallo.

Routes effondrées, maisons éventrées, ponts arrachés… Le 2 octobre 2020, des pluies diluviennes s’abattaient sur les vallées maralpines provoquant des dégâts matériels d’une ampleur inédite. Le bilan humain fut tout aussi dramatique puisque dix personnes ont perdu la vie lors du passage de la tempête Alex, emportées par les crues exceptionnelles, alors que huit autres sont toujours portées disparues.

Des plaies encore vives

Un an après la catastrophe, qui a laissé derrière elle des villages complètement dévastés, la situation reste très variable selon que l’on se trouve en bas ou en haut de la vallée. Dans la Roya, si certaines communes comme Breil-sur-Roya ont déjà entamé leur reconstruction (lire par ailleurs), d’autres continuent de panser leurs blessures. C’est le cas notamment à Tende, petite bourgade de 2 000 habitants enclavée dans la vallée. « Nous sommes encore dans la plaie ouverte. Mais la situation s’améliore, surtout depuis que l’on nous a enlevé ces créneaux de passage », explique le maire de la commune, Jean-Pierre Vassallo soulagé de retrouver, enfin, une liberté de circulation. Car Tende a longtemps été coupé du monde. Privés d’accès routier digne de ce nom, les habitants ont en effet dû attendre novembre 2020 et la mise en place d’une piste provisoire, accessible qu’à certaines heures de la journée, pour pouvoir s’approvisionner avec leur propre véhicule. Une circulation encadrée qui commençait à peser sur les Tendasques à en croire Jean-Pierre Vassallo : « Nous étions tous en train de craquer. Moi, pour assister à une réunion à Menton ou Nice, j’étais obligé de me lever à 5 heures du matin et je rentrais à pas d’heure. Cette situation rajoutait du stress à la population et ça commençait vraiment à devenir tendu. Les gens étaient dans un état psychologique terrible ».

© Photo Facebook Ville de Tende

« Nous allons rentrer dans la période hivernale où nous risquons d’avoir à nouveau des crues. Et cela risque encore d’augmenter les dégâts »

Une circulation compliquée

Depuis la réhabilitation de plusieurs axes routiers, notamment entre Tende et Fontan, les Tendasques peuvent à nouveau circuler librement, ou presque. Car certaines routes demeurent toujours difficiles d’accès, voire inexistantes. C’est le cas notamment en direction de Casterino. La route départementale n’ayant toujours pas été reconstruite, le petit hameau situé sur les hauteurs de Tende reste à ce jour inaccessible. Même difficulté en direction, et en provenance, de l’Italie. « Nous ne circulons toujours pas sur ce tronçon. Ce qui est un gros problème car nous travaillons au quotidien avec le haut de la vallée Tende-La Brigue et avec l’Italie. Nous avons 36 agents infirmiers qui viennent chaque jour travailler au CHU », glisse, amer, le maire Jean-Pierre Vassallo. La liaison avec le voisin italien s’effectue actuellement via des pistes en terre, exclusivement réservées aux résidents de Tende, Limone et la Brigue. « Mais dès qu’il y aura un gel, ces pistes seront fermées et donc, nous serons complètement coupés de l’Italie », redoute le Tendasque qui ne voit pas la liaison ferroviaire comme une solution viable. « Il existe bien un train qui va en Italie mais nous ne pouvons pas l’utiliser car ce train part de Tende à 12h30, donc nous arrivons à 13 heures à Limone, et ensuite il faut le reprendre à 15 heures pour revenir à Tende. Ce train est donc totalement inutilisable ». Le maire de Tende a donc alerté les pouvoirs publics et les médias italiens sur une inquiétante situation alors que se profile la saison hivernale : « Je leur ai dit que s’il n’y avait pas une amélioration sur ce train, il n’y aurait aucun skieur qui irait à Limone cet hiver ». Son appel a, semble-t-il, porté ses fruits puisque les autorités italiennes ont depuis annoncé, dans la presse nationale, la mise en place d’un train, gratuit, toutes les heures entre Tende et la station de ski piémontaise. « En plus, les skieurs qui emprunteront ce train bénéficieront de tarifs préférentiels pour skier sur les pistes des Trois Amis, précise Jean-Pierre Vassallo. Cela a été annoncé officiellement sur La Stampa. La région s’y est engagée, nous attendons maintenant la concrétisation ». En parallèle, le maire tendasque espère toujours la reprise des travaux du tunnel de Tende à l’arrêt depuis le passage de la tempête Alex. « Le tunnel du col de Tende, c’est l’arlésienne. Nous sommes obligés d’attendre la conférence intergouvernementale, qui aura lieu le 30 septembre (1), qui donnera le feu vert pour la reprise des travaux du tunnel et la création du viaduc qui devra être réalisée à la sortie du tunnel côté français ». Le 5 mai dernier, la France et l’Italie ont en effet validé la construction d’un ouvrage de 65 mètres de long pour enjamber l’éboulement causé par la tempête Alex et relier la route départementale 6 204 au tunnel de Tende.

© Photo Facebook Ville de Tende

« Nous avons eu une aide exceptionnelle de Monaco. Maintenant, nous attendons de savoir quels vont être nos nouveaux besoins, mais je sais que, dès que nous les solliciterons, ils répondront présents »

Une lente reconstruction

À Tende, les rives de la Roya portent encore les stigmates de la catastrophe. Les arbres déracinés et les amas de pierre jonchent les bords d’une rivière autrefois idyllique. Les engins de chantier s’affairent à reconstruire routes et ponts pour permettre au village de 2 000 habitants de reprendre un semblant de vie normale. « Les travaux sont gigantesques, colossaux, titanesques », insiste Jean-Pierre Vassallo tout en saluant le « travail incroyable » du département. « Il investit cinq millions d’euros par mois, c’est énorme. Du point de vue des travaux, nous n’avons absolument pas à nous plaindre. Mais nous sommes toujours dans la difficulté ». Le maire pense notamment à la cinquantaine de familles tendasques, qui ont dû être relogées dans des logements locatifs après le passage de la tempête et qui ne pourront toujours pas regagner leurs logements cet hiver, plus d’un an après la catastrophe. Jean-Pierre Vassallo s’inquiète également d’éventuelles nouvelles intempéries, qui pourraient frapper des vallées maralpines encore meurtries : « Nous allons rentrer dans la période hivernale où nous risquons d’avoir à nouveau des crues. Et cela risque encore d’augmenter les dégâts », redoute-t-il. Les récentes pluies abondantes, qui ont durement touché les Bouches-du-Rhône et le Var, ne sont d’ailleurs pas de nature à le rassurer alors que les reconstructions n’en sont qu’à leurs prémices dans le village. « Nous ne pouvons rien reconstruire tant que les berges n’auront pas été confortées », avance Jean-Pierre Vassallo. Avant de préciser : « Nous ne connaissons pas les terrains qui sont disponibles pour reconstruire. Les travaux de confortement des berges qui sont faits par le Syndicat mixte pour les inondations, l’aménagement et la gestion de l’eau maralpin (SMIAGE) n’ont pas encore débuté. Et nous ne pouvons pas envisager d’endroit où refaire la piscine, les jardins… Provisoirement, pour l’été, nous sommes arrivés, grâce à des dons, à créer deux jardins. Nous avons pu installer, grâce à un rotary, des structures gonflables sur le terrain qui était resté disponible, à côté de la piscine. Nous avons ainsi pu passer l’été. Mais nous devons maintenant partir dans la reconstruction ».

© Photo Facebook Ville de Tende

« Il va falloir des années pour tout rétablir. Nous n’allons pas pouvoir reconstruire en un clin d’œil. Il va falloir revoir le plan local d’urbanisme (PLU) et obtenir des zones où l’on puisse reconstruire »

Solidarité

À ce jour, aucune date précise n’a été avancée pour le début des travaux mais, pour le maire tendasque, il y a urgence. « Il faut que les gens puissent rentrer le plus rapidement chez eux, qu’ils soient fixés si leur maison disparaîtra ou pas. Mais pour le moment, nous n’avons pas vraiment de visibilité. C’est annoncé pour 2022, le SMIAGE va commencer à effectuer les travaux pour réconforter une berge où quatre maisons menacent de partir. Les travaux vont donc être lancés. Le gros des travaux sera réalisé en 2022 mais il faut un certain temps. […] Nous devons absolument libérer les terrains constructibles pour permettre à tous ces gens de se projeter vers l’avenir ». Le maire de Tende sait en tout cas qu’il peut compter sur le soutien financier de l’État français, qui a tout de même promis de débloquer plus de 572 millions d’euros pour reconstruire les vallées dévastées par la tempête. « Nous espérons toujours plus mais nous sommes bien aidés par l’État, reconnaît Jean-Pierre Vassallo. Nous avons un préfet chargé de la reconstruction, Xavier Pelletier, qui suit la situation de très près. Il est aidé par le sous-préfet Nice-montagne, Yoann Toubhans, et le préfet Bernard Gonzalez. Avec le département et ce préfet pour la reconstruction, nous avons vraiment les bons interlocuteurs pour aller de l’avant », se félicite-t-il. La Communauté d’agglomération de la Riviera française (CARF) auquel adhère la commune de Tende, apporte également une aide précieuse en gérant notamment la reconstruction des berges mais aussi la réhabilitation des réseaux (eau, électricité). Selon les estimations, 24 millions d’euros seront nécessaires pour rétablir la traversée du village alors que les dégâts sur les biens communaux sont estimés à plus de 12 millions d’euros. Des sommes considérables pour un village d’à peine 2 000 âmes, auxquelles le maire de Tende espère faire face grâce à une solidarité et une entraide toujours vivace un an après les faits. « Nous avons bénéficié d’un élan de solidarité inespéré, raconte Jean-Pierre Vassallo. Nous avons été aidés de tous les coins de la France, de l’étranger, de Monaco, de l’Italie… Nous avons eu des aides énormes. Maintenant, nous allons avoir à nouveau besoin d’aide dans la phase de reconstruction parce que reconstruire, recréer des jardins d’enfants, des piscines… va avoir un coût. Sans compter les énormes dégâts qu’a subis la mairie sur les propriétés communales ».

© Photo Facebook Ville de Tende

« Nous avons eu un départ important de population. Dans les écoles, nous avons perdu un bon tiers des enfants. Maintenant, nous allons comptabiliser ces familles. Certaines veulent revenir, mais d’autres veulent partir. Nous passons vraiment des moments plus que difficiles »

Exil

La principauté de Monaco a aussi grandement participé à cet élan de solidarité en envoyant spontanément dans les vallées des denrées alimentaires et produits de première nécessité, mais aussi en proposant des aides logistiques. La Croix-Rouge monégasque a ainsi offert un pick-up à la ville de Tende afin de permettre aux sauveteurs et services municipaux de mieux circuler dans une commune privée d’accès routiers. Cet été, les scouts de Monaco se sont également rendus sur place pour aider à nettoyer les berges. Profondément touché par cette générosité et ce soutien spontané, le maire de Tende tient à exprimer sa reconnaissance et à adresser ses remerciements à toutes celles et ceux qui se sont mobilisés pour les vallées sinistrées : « La principauté nous a apporté une aide formidable. Le prince est intervenu directement. L’Automobile club, l’évêché de Monaco, l’hôpital de Monaco… Nous avons eu une aide exceptionnelle de Monaco. Maintenant, nous attendons de savoir quels vont être nos nouveaux besoins, mais je sais que, dès que nous les solliciterons, ils répondront présents ». Jean-Pierre Vassallo salue également le travail des médias sans qui, « la page aurait déjà été tournée. Ce sont eux qui nous permettent d’exister car nous sommes tellement petits. Les médias sont nos meilleurs ambassadeurs ». La peur de l’oubli est palpable dans les communes sinistrées, qui savent que la reconstruction prendra du temps. « Il va falloir des années pour tout rétablir. Nous n’allons pas pouvoir reconstruire en un clin d’œil. Il va falloir revoir le plan local d’urbanisme (PLU) et obtenir des zones où l’on puisse reconstruire », indique le maire tendasque qui espère aussi bénéficier, au plus vite, d’une circulation ferroviaire « décente » avec la France et l’Italie qui réponde aux besoins de sa population. « Dès que nous aurons une route enfin terminée, et quand Casterino sera rouvert, nous pourrons considérer que nous avons sorti la tête de l’eau », estime Jean-Pierre Vassallo. Les Tendasques, toujours traumatisés par cette catastrophe sans précédent, pourront alors envisager l’avenir avec un peu plus d’optimisme : « Le traumatisme des parents et des enfants est dur. Il y a des parents qui ont amené leurs enfants à la mer. Et les enfants ne voulaient pas s’en approcher, car ils avaient peur de l’eau. L’hiver qui va arriver va susciter encore des craintes », pense le maire tendasque qui redoute un nouvel exil des habitants. « Nous avons eu un départ important de population. Dans les écoles, nous avons perdu un bon tiers des enfants. Maintenant, nous allons comptabiliser ces familles. Certaines veulent revenir, mais d’autres veulent partir. Nous passons vraiment des moments plus que difficiles ».

1) Cette interview a été réalisée le 10 septembre 2021.