vendredi 19 avril 2024
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Obligation vaccinale à Monaco : les mises en garde du Haut-Commissariat aux droits

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Le projet de loi instaurant l’obligation vaccinale à Monaco a été présenté au Haut-Commissariat à la protection des droits des libertés et à la médiation, avant d’être débattu au Conseil national.

Des doutes, des regrets et des mises en garde. Sollicité début août 2021 par le président du Conseil national, Stéphane Valeri, pour donner son avis sur le projet de loi concernant l’obligation vaccinale et l’extension du passe sanitaire à Monaco, le Haut-Commissariat à la protection des droits a émis une série de réserves au sujet de ce texte. Si, sur le fond, il ne s’oppose pas directement au projet de loi, qui entrera en vigueur le 30 octobre 2021 pour les professionnels de la santé [à ce sujet, lire notre article Vaccination obligatoire à Monaco : les raisons d’une loi, pour 18 mois, publié dans ce numéro — NDLR], plusieurs points posent tout de même question dans la manière d’appliquer les mesures à venir. Loin d’être taboues ou cachées cependant, toutes les observations du Haut-Commissariat à la protection des droits des libertés et à la médiation ont été présentées devant la commission des intérêts sociaux et des affaires diverses, en charge de l’examen de ce texte, avant d’être transmises à la presse.

« Un juste équilibre »

Le rapport commence d’emblée par ce qui fâche : l’absence, selon le Haut Commissariat, de consultation du gouvernement au moment d’élaborer le projet d’obligation vaccinale en principauté, au contraire de l’initiative du Conseil national. « Le Haut-Commissariat regrette que le gouvernement n’ait pas estimé opportun, de son côté, de le consulter préalablement à l’édiction de ces mesures, s’agissant notamment de la mise en place et de l’extension du passe sanitaire pour l’accès à certains lieux, évènements ou activités. » Le sujet pose en effet question en matière de droits fondamentaux des personnes, toujours selon le Haut-Commissariat des droits, qui rappelle qu’en Europe, et en Espagne plus particulièrement, la Cour suprême n’a pas hésité à invalider le dispositif en Andalousie. En effet, dans une décision rendue le 18 août 2021, la justice espagnole avait jugé « discriminant » le passe sanitaire, et « contraire à la protection de la vie privée », car « disproportionné par rapport à la situation épidémiologique ». Dans son rapport, le Haut-Commissariat à la protection des droits insiste alors sur le fait que le respect des libertés doit rester la règle, et les restrictions l’exception, y compris dans les circonstances de crise sanitaire : « Il est donc essentiel que tant le législateur que le ministre d’État, pour les dispositions qu’il est habilité à prescrire de sa propre initiative, continuent de s’attacher à rechercher un juste équilibre entre la protection de la santé publique et la préservation des droits et libertés de chacun. »

« Le Haut-Commissariat regrette que le gouvernement n’ait pas estimé opportun, de son côté, de le consulter préalablement à l’édiction de ces mesures »

La question du consentement aux soins

Sur le plan juridique, le Haut-Commissariat à la protection des droits des libertés et à la médiation rappelle dans son rapport que le principe qui prévaut en matière de soins est celui de « l’autonomie personnelle, du respect de la dignité humaine et de l’intégrité corporelle ». Il est exprimé par la capacité d’une personne à consentir librement, et de manière éclairée, à un acte médical. Ce principe est inscrit, selon le rapport, dans la loi et dans le code de déontologie des médecins à Monaco. Le consentement personnel aux soins est en effet protégé au titre du droit fondamental au respect de la vie privée, qui est garanti par l’article 22 de la Constitution monégasque, et par les conventions internationales ratifiées par Monaco, en ce qui concerne les droits humains. Mais le consentement volontaire aux soins n’est pas non plus droit absolu, et il connaît des dérogations, rappelle le rapport. On peut en effet revenir dessus en cas d’urgence, ou dans certaines conditions au nom du « principe de solidarité », qui conduit à faire primer la santé individuelle et collective sur la volonté individuelle : « C’est notamment le cas en matière de vaccination, où les États ont la faculté de définir une politique de vaccination obligatoire, et donc de s’affranchir du consentement des personnes, lorsque cela est requis dans l’intérêt de la santé publique pour lutter contre certaines maladies », peut-on ainsi lire. Ainsi, à Monaco, la loi n° 882 du 29 mai 1970 concerne déjà cinq vaccinations obligatoires infantiles.

Des doutes sur l’obligation

En ce qui concerne l’obligation vaccinale pour le personnel de soins, la question est « délicate », estime le Haut-Commissariat aux droits. D’un côté, il observe que « dès lors que les États ont une obligation positive de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie et de la santé de leurs administrés, l’augmentation de la couverture vaccinale des soignants, et plus largement des personnes travaillant au contact étroit de publics vulnérables, est légitimement de nature à revêtir un enjeu de santé publique important, a fortiori dans les circonstances actuelles. » Mais, de l’autre, le Haut-Commissariat à la protection des droits des libertés et à la médiation se pose la question des conséquences, durables, que peut induire cette obligation sur l’emploi des personnes concernées, quand bien même cette loi est limitée à 18 mois : « Le fait que cette obligation ait vocation à être introduite à titre uniquement provisoire ne suffit pas à en atténuer les effets pour les personnes qu’elle concernera, dès lors que leur refus — ou, en l’état du texte, leur impossibilité — éventuels de s’y soumettre, conduira à les écarter de leur emploi, et donc à porter atteinte à l’un des éléments les plus fondamentaux de leur vie et de leur dignité. » Le Haut-Commissariat compare ensuite le cas français, où l’obligation vaccinale a fait suite à une recommandation de la Haute Autorité de Santé (HAS), et regrette que Monaco n’en ait pas fait de même : « Le gouvernement ne s’appuie sur aucune recommandation analogue au niveau national, et l’exposé des motifs du projet de loi ne fait en particulier aucune mention des avis qui auraient dû en toute logique être recueillis auprès du Comité de Santé Publique […] dans lequel siègent, outre les représentants des autorités administratives concernées, les représentants du secteur de la santé à Monaco. »

« Le gouvernement ne s’appuie sur aucune recommandation analogue au niveau national, et l’exposé des motifs du projet de loi ne fait en particulier aucune mention des avis qui auraient dû, en toute logique, être recueillis auprès du Comité de Santé Publique »

La crainte d’une désorganisation des activités

S’il apparaît légitime, aux yeux du Haut-Commissariat, de cibler les personnels travaillant au contact du public dans les établissements de santé, ou d’accueil, pour personnes âgées ou handicapées, la question d’inclure plus largement l’ensemble du personnel administratif de ces établissements, y compris ceux qui ne travaillent pas directement au contact des patients ou des résidents accueillis, « semble davantage se poser ». Même chose pour les personnels employés à domicile par des personnes vulnérables, hors services à la personne, dès lors que les personnes à risque, elles-mêmes, ne sont pas soumises à l’obligation vaccinale. Certes, le Haut-Commissariat considère que ces personnes font « courir un risque sanitaire dans l’exercice de leurs fonctions » pour les patients et pour elles-mêmes, en refusant de se faire vacciner. Mais elle estime aussi que des risques de désorganisation des activités sont à prendre en compte, ainsi qu’un risque de « fragilisation de la prise en charge des personnes vulnérables », en cas de « suspensions effectives des personnels réticents à la vaccination ». Sans oublier les « coûts humains et sociaux associés à la précarisation de ces personnels ». Ainsi, le Haut-Commissariat rappelle dans son rapport que « la transparence et l’information sont des valeurs essentielles pour toute vaccination, obligatoire ou non, ainsi que pour toute mesure de santé publique ».

Des risques de désorganisation des activités sont à prendre en compte, ainsi qu’un risque de « fragilisation de la prise en charge des personnes vulnérables », en cas de « suspensions effectives des personnels réticents à la vaccination »

Immunité naturelle

Se pose également, dans ce rapport, la question de l’immunité naturelle acquise après une infection au Covid-19. Le Haut-Commissariat considère en effet que, dans certains cas, l’obligation de se faire vacciner « pourrait conduire à imposer inutilement un geste médical susceptible — comme tout geste médical — de faire courir un risque pour la santé, alors même que la personne disposerait déjà d’un taux d’anticorps suffisant pour garantir qu’elle est efficacement protégée contre les risques de contamination et de transmission du virus. » Dans cette situation, le Haut-Commissariat juge donc souhaitable de substituer l’obligation vaccinale à un test sérologique « destiné à mesurer le taux d’anticorps neutralisants encore présents dans le sang, et permettant, le cas échéant, de prolonger sur cette base le certificat de rétablissement. » Il rappelle aussi qu’un dispositif de suivi sérologique est en place depuis le mois de juin 2021 par la principauté, auprès des personnes résidentes vaccinées ou préalablement infectées. Ce suivi sérologique est gratuit et doit être réalisé tous les six mois, pour mesurer le degré de protection contre le Covid-19.

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