vendredi 26 avril 2024
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Au CHPG, une obligation vaccinale source de tensions

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La validation de l’obligation vaccinale chez les soignants a du mal à passer au centre hospitalier princesse Grace, où près de 25 % des agents demeurent non vaccinés. Selon sa directrice, Benoîte de Sevelinges, cette mesure pourrait bien faire voler en éclat l’union et la solidarité nées au cours de la crise sanitaire.

Ils étaient une centaine à avoir répondu, mardi 14 septembre 2021, à l’appel du syndicat des agents hospitaliers (SAH) pour protester notamment contre le projet de loi relatif à l’obligation vaccinale du personnel soignant. Pendant deux heures, entre 16h30 et 18h30, des salariés du corps soignant du centre hospitalier princesse Grace (CHPG) ont fait entendre leur voix dans les rues de la principauté pour exprimer leur ras-le-bol et leurs doutes. Cette contestation n’aura finalement pas influencé les élus du Conseil national puisque quelques heures seulement après la manifestation, l’assemblée votait le projet de loi n° 1043 rendant la vaccination obligatoire pour les soignants, ainsi que pour tous les professionnels en contact avec des personnes fragiles et vulnérables. Monaco suit donc ainsi l’exemple de ses voisins français et italiens en promulguant une loi qui est loin de faire l’unanimité en principauté, et notamment au CHPG, où 25 % des agents ne sont toujours pas vaccinés.

« Je refuse que l’on franchisse des limites »

« Le taux de vaccination est de 74,5 % toutes catégories confondues. 97,7 % pour les médecins et 73 % pour les personnels non médicaux, c’est-à-dire les soignants et les non soignants », nous indiquait la directrice du CHPG, Benoîte de Sevelinges le 13 septembre 2021, soit la veille du vote de la loi. Une couverture vaccinale certes conséquente, mais insuffisante aux yeux de l’exécutif, qui a donc décidé de légiférer. Si le principe de la vaccination n’est majoritairement pas remis en cause, à en croire la directrice du CHPG, l’obligation semble, en revanche, beaucoup plus difficile à accepter : « La vaccination a suscité l’enthousiasme. Les soignants étaient extrêmement impatients d’être protégés, de pouvoir protéger leur famille, de pouvoir rester au travail, se souvient Benoîte de Sevelinges. La question de l’obligation est un peu différente, parce que philosophiquement, personne ne veut être obligé. Pour autant, les chiffres le démontrent aujourd’hui, au moins la moitié de l’établissement considère que c’est le devoir du soignant. L’obligation vaccinale est donc plutôt bien perçue. En revanche, elle est très mal perçue par d’autres. Ces personnes sont beaucoup plus intenses dans leur réaction, dans la mesure où elles estiment que ça touche à la probité de leur corps ». Les plus sceptiques doutent, en effet, du bénéfice personnel du vaccin. Certains mettent en avant les risques supposés d’effets secondaires à plus long terme. D’autres, enfin, contestent purement et simplement l’efficacité de la vaccination. Si la directrice du CHPG entend et comprend ces inquiétudes et ces interrogations, elle rejette, en revanche, la forme de la contestation : « Je refuse que l’on franchisse des limites. Je refuse qu’on écrive sur un tract qu’une mesure n’a pas été prise, quand elle a été prise. Je refuse que sur un tract, la parole du président du conseil d’administration de l’hôpital soit mise en jeu. Je ne suis pas d’accord avec ça. Mentir, désinformer les agents, ce n’est pas pour ça qu’ils ont été élus. Ce n’est pas leur mandat ».

« Je refuse que l’on franchisse des limites. […] Mentir, désinformer les agents, ce n’est pas pour ça qu’ils [les syndicats – NDLR] ont été élus » 

Benoîte de Sevelinges. Directrice du centre hospitalier princesse Grace

« Nuisance »

Dans le viseur de la directrice, le syndicat des agents hospitaliers à l’initiative du débrayage mardi 14 septembre 2021 : « À l’hôpital, nous avons cinq syndicats. Sur les cinq, il y en a un qui est contre l’obligation vaccinale et qui est dans la rue [le SAH – NDLR]. Un autre se positionne sur la thématique contre l’obligation, mais pas contre la vaccination et il n’est pas dans la rue. Un autre encore est pour l’obligation vaccinale. Et un ne se prononce pas avant de voir le projet de loi. Quant au dernier, il a même fait une déclaration pour dire qu’il était pour, et c’est le syndicat des médecins. On parle donc là d’un syndicat qui représente 15 % du corps électoral, et avec lequel le dialogue est rompu depuis de très nombreuses années. Avec, depuis quelques mois, une période d’ascension dans la violence qui devient incontrôlable », dénonce Benoîte de Sevelinges. La cheffe de l’établissement pointe notamment l’organisation de la dernière manifestation, où tout a été fait, selon elle, pour causer un maximum de désagréments pour l’hôpital : « Le mouvement de grève de mardi [14 septembre 2021 – NDLR] a été annoncé dans un contexte de la loi du travail à Monaco, qui impose cinq jours ouvrés de préavis. Ils l’ont volontairement envoyé après la fermeture des secrétariats sur la seule adresse qui n’est pas lue par le directeur. Ce qui est complètement contre-productif car nous ne pouvons pas informer les personnels au plus tôt et cela peut être une source de désorganisation des services. Faire la grève oui bien sûr, c’est un droit constitutionnel, et je dirais même que c’est sain, parce que ça nous permettra aussi de prendre conscience de l’ampleur de ce mouvement. Par ailleurs, on appelle à un rassemblement des citoyens devant l’hôpital en soutien à l’action des soignants. Alors que s’il y a bien un endroit stratégique dans Monaco actuellement, c’est cette entrée. Nous sommes entre deux chantiers majeurs. Il y a deux voies de circulation qui permettent l’accès à l’hôpital, la sortie de l’hôpital pour les patients, l’accès et la sortie des secours. Leur objectif est donc évidemment de perturber l’accès au seul établissement de santé public de Monaco. Pour moi, ils ont franchi les limites. Nous ne sommes plus dans le syndicalisme, nous sommes dans la nuisance ».

© Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Des gens ne conçoivent pas que leurs collègues ne soient pas vaccinés, ou ne veulent plus travailler avec leur binôme parce qu’il n’est pas vacciné. Les deux côtés sont donc à gérer, avec le plus de consensus et de bienveillance possible »

Benoîte de Sevelinges. Directrice du centre hospitalier princesse Grace

Mea culpa

Mise en cause par ce même syndicat qui lui reproche d’avoir un peu trop anticipé l’obligation vaccinale, alors même que le texte n’était pas mis au vote, la directrice du CHPG reconnaît une maladresse dans la forme. Pour ce qui est du fond, en revanche, Benoîte de Sevelinges assume, revendiquant le droit à l’information. « Nous avions un projet de loi qui n’était accessible que sur le site Internet du Conseil national. Je suis allée le télécharger. Les agents me posaient beaucoup de questions, donc j’ai voulu leur donner des informations. J’ai fait une note de service qui précisait ce que le projet de loi prévoyait. Peut-être que le ton employé n’est pas bon, peut-être que c’est mal compris, peut-être que j’aurais dû le formuler autrement, admet-elle. Mais l’intention d’informer et d’expliquer était vraiment là. Nous avons 2 700 employés au CHPG. Cela veut dire que le jour où la loi entre en vigueur, nous devons pouvoir garantir que les 2 700 attestations sont disponibles et suspendre ceux qui ne nous l’auront pas donnée. […] Je n’ai pas envie que l’on se retrouve au niveau des services, de la direction des ressources humaines (DRH) et de la coordination générale des soins à devoir gérer 2 700 dossiers administratifs d’un coup. D’abord parce que c’est source d’erreurs, ensuite parce que ça va les surcharger de travail, et enfin, ce mois-là, nous serons en train de mettre en paie la prime de 183 euros, plus la rétroactivité. L’objectif est donc de lisser la charge de travail », se défend Benoîte de Sevelinges. Face à la polémique, la direction de l’hôpital avait alors adressé un second mail aux cadres, précisant qu’il ne s’agissait que d’un projet de loi, et que, de fait, celui pouvait encore être amendé, voire même ne pas être voté. « Nous voulions aussi attirer l’attention sur des conflits entre agents et la possibilité de nous saisir en cas de médiation, ajoute la directrice. Des gens ne conçoivent pas que leurs collègues ne soient pas vaccinés, ou ne veulent plus travailler avec leur binôme parce qu’il n’est pas vacciné. Les deux côtés sont donc à gérer, avec le plus de consensus et de bienveillance possible. Nous avons des écarts que nous devons réguler, et les représentants du personnel sont là pour nous les signaler ».

Dialogue social rompu

Le dialogue social semble aujourd’hui rompu, à un moment pourtant charnière pour l’avenir de l’hôpital public monégasque : « Nous sommes aujourd’hui dans une position où nous discutons avec les autres syndicats. Nous sommes d’accord ou pas, nous trouvons des compromis. En tout cas, on se met à une table, et on cherche à faire en sorte que les choses se passent bien. Concernant l’obligation vaccinale, nous avons eu des échanges avec tous les syndicats, sauf avec le SAH, sur la manière d’accompagner et d’informer au mieux les agents. Avec le SAH, on ne se parle plus. Du dialogue social, il n’y en a plus. Et c’est un vrai problème, car nous avons plusieurs sujets sur la table : l’obligation vaccinale, la réforme de nos textes, le changement de notre système d’information, l’ouverture d’une nouvelle maison de retraite dans six mois, l’ouverture d’un nouvel hôpital avec le début de la phase I des travaux… Nous allons donc travailler sur tous ces sujets avec les autres syndicats, car c’est indispensable si nous voulons que les choses se passent bien. La question est désormais de savoir : eux, que feront-ils ? ». En attendant de savoir quelle sera leur réaction, la directrice lance un appel au calme, et tend la main à ce syndicat : « Je les ai invités demain [mercredi 15 septembre 2021 – NDLR] à une réunion qu’ils m’ont refusée. Cette réunion portait sur les évolutions du statut du personnel. Je les ai invités également à nous rencontrer lorsque la loi sur l’obligation vaccinale serait votée. Pour le moment, je n’ai pas de réponse. Je continuerai à les inviter à la table des négociations, et je continuerai à espérer pouvoir avoir un échange avec eux, parce que c’est important ».

« L’obligation vaccinale génère beaucoup de tensions. C’est désagréable, parce que nous n’avons jamais été aussi soudés que pendant cette crise sanitaire. Et aujourd’hui, nous avons toutes ces tensions, avec des positions très franches. Cette agressivité est pénible pour tout le monde »

Benoîte de Sevelinges. Directrice du centre hospitalier princesse Grace

Scissions

Outre un climat social particulièrement tendu, cette obligation vaccinale provoque aussi des crispations et des divisions au sein même des équipes soignantes. Preuve en est, l’affichage d’une liste de personnel vacciné et non vacciné au CHPG, a suscité une vague d’indignation sur les réseaux sociaux pendant le mois d’août 2021. Un événement regrettable, dont se serait bien passée la directrice de l’hôpital : « C’est quelque chose qui me met en colère. C’est une erreur du cadre. Il n’y a jamais eu la moindre mauvaise intention dans cette histoire. Les soignants sont des héros. En revanche, quand il faut taper sur leurs cadres, ils n’hésitent pas. Sortir cette photo est infect et ignoble. Parce qu’au moment où le cadre fait ça, dans son service, se trouve une dame intubée avec laquelle il a travaillé pendant trente ans. À côté d’elle, dans la chambre, se trouve un homme qui travaille dans l’hôpital que nous voyons, tous, tous les jours, qui est aussi au bord de l’intubation à cause du Covid. Oui, le cadre a fait une erreur. Mais ne peut-on pas lui pardonner et ne pas le cibler sur Facebook comme s’il était un Nazi ? Il a reconnu son erreur, il l’a assumée », explique Benoîte de Sevelinges. Avant de revenir sur les raisons qui ont poussé ce cadre à afficher cette liste : « Il l’a fait pour leur dire de venir le voir. Cette liste était d’une maladresse absolue, et c’est quelque chose d’inadmissible, qui n’a pas cours dans l’hôpital. Cette liste n’aurait pas dû être constituée. Mais de là, à l’afficher sur les réseaux sociaux pour le pointer du doigt et à le traiter de Nazi, il ne faut pas exagérer non plus. Pendant la crise, cette personne a soigné des malades, elle s’exposait tous les jours, et elle a continué. Elle a peut-être fait beaucoup trop d’heures. Les études sociologiques le prouvent : ceux qui ont le plus payé pendant cette crise, ce sont les cadres. Le pourcentage de “burn-out” [surmenage — NDLR] chez les cadres a explosé. Au CHPG, nous avons la chance de ne pas l’avoir constaté. Nous avons aussi la chance d’avoir pu bénéficier d’une certaine rotation dans les responsabilités qui étaient prises sur les services. Mais, à un moment donné, on peut être fatigué. C’était une erreur. Ce n’était pas une instruction de la direction, ce n’était pas une consigne. Dès que nous avons été au courant, nous avons tout de suite retiré les listes et expliqué pourquoi il ne fallait pas faire ça ».

Une menace pour la solidarité entre soignants ?

Alors que la pandémie de Covid-19 avait permis de lier étroitement les équipes soignantes, l’obligation vaccinale ne serait-elle pas en train de menacer cette solidarité ? « Elle génère beaucoup de tensions oui, reconnaît sans détour Benoîte de Sevelinges. C’est désagréable, parce que nous n’avons jamais été aussi soudés que pendant cette crise sanitaire. Et aujourd’hui, nous avons toutes ces tensions, avec des positions très franches. Je suis assez équilibrée par rapport à ça. J’entends tout à fait les gens qui ont peur. Et c’est la raison pour laquelle il est important pour moi de travailler très rapidement avec les représentants du personnel sur un processus d’accompagnement pour ceux qui devront sortir. Je ne veux pas avoir des gens qui sont perdus, suspendus, donc non rémunérés, qui ne savent pas comment retrouver le marché du travail… Je comprends le refus de l’obligation. Philosophiquement, moi-même j’aime la liberté. J’aurais aimé qu’il y ait davantage de personnes vaccinées car convaincues de la vaccination, de son intérêt et de sa pertinence. Aujourd’hui, nous sommes dans cette situation, et ma volonté est celle de l’apaisement. Je veux réussir à rétablir le dialogue et la tolérance. Et si un jour l’obligation vaccinale entre en vigueur, à ce moment-là que chacun puisse prendre sa décision, en son âme et conscience. Cette tension, cette agressivité est pénible pour tout le monde ».

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