vendredi 29 mars 2024
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Bruno Taillan : « Aujourd’hui, l’infection au VIH est une maladie comme une autre »

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Chef du département de médecine interne au centre hospitalier princesse Grace (CHPG), le docteur Bruno Taillan fait le point sur les avancées de la recherche sur le sida. Ce spécialiste rappelle également l’importance de se faire dépister, alors que 5 000 nouvelles contaminations sont recensées chaque année en France.

Où en est la recherche en matière de lutte contre le sida ?

Aujourd’hui, nous en voulons toujours plus. On parle beaucoup de vaccin, de la recherche… Mais nous disposons de toutes les armes nécessaires pour prévenir l’infection, ou la contrôler, une fois qu’elle est déclarée. Et ainsi, éviter que les gens ne se fassent du mal à eux-mêmes ou contaminent les autres. La recherche actuelle porte de plus en plus sur la simplification des traitements et la réduction des effets secondaires. Maintenant nous disposons de traitements injectables, vous faites une piqûre tous les deux mois et ça marche très bien.

Pourquoi la recherche porte-t-elle au jourd’hui davantage sur les moyens de contrôler la maladie, plutôt que de la guérir ?

Sincèrement, nous ne la guérirons pas pour l’instant. Nous ne sommes pas dans l’optique de guérir la maladie. Nous sommes passés d’une maladie constamment mortelle, avec dans les années 1980 une espérance de vie de l’ordre de 6 mois, à un an, à aujourd’hui une maladie chronique, avec une espérance de vie normale. Le défi actuel, c’est d’avoir à disposition des traitements les plus simples possibles, avec le moins d’effets secondaires possible, pour un vieillissement harmonieux. Les patients vont vieillir 20 ans, 25 ans, 30 ans exposés aux traitements antirétroviraux et à tout ce qui va avec : le tabac, l’alcool… Et comme plus de la moitié des séropositifs ont plus de 50 ans, le défi c’est d’essayer de les traiter avec les traitements les moins agressifs possibles. Et les traitements injectables représentent une avancée à ce niveau-là.

D’autres avancées ?

Aujourd’hui ce sont des bithérapies, et non plus des trithérapies. Donc l’exposition du corps aux antirétroviraux est moindre, car il n’y en a que deux au lieu de trois, et moins d’effets secondaires. Après, c’est le travail de tout un chacun de bien vieillir : bien manger, bien bouger, ne pas fumer, consommer de l’alcool de façon modérée et éviter les drogues… Être médecin spécialisé dans la lutte contre le sida en 2023 est quand même plus agréable sur le plan médical qu’il y a 20 ans. Parce que maintenant, nous n’apprenons plus aux gens à mourir, nous leur apprenons à vivre, à profiter. Les femmes peuvent avoir des enfants, elles peuvent faire des projets. OK, la greffe de moelle, c’est bien. Le vaccin sera sûrement très bien… mais il convient tout d’abord d’apprendre à se faire dépister quand on a pris un risque, et à se faire traiter rapidement avec des traitements de plus en plus simples, avec le moins d’effets secondaires possible.

« Nous sommes passés d’une maladie constamment mortelle, avec dans les années 1980 une espérance de vie de l’ordre de 6 mois, à un an, à aujourd’hui une maladie chronique, avec une espérance de vie normale »

Docteur Bruno Taillan. Chef du département de médecine interne au centre hospitalier princesse Grace (CHPG)

Selon vous, il faut donc insister sur le dépistage ?

Le problème, ce n’est pas le patient qui est dépisté, traité, et suivi. Mais c’est celui qui ne se fait pas dépister. Nous avons toujours 5 000 contaminations par an, ça ne bouge pas. Nous ne dépistons pas encore au niveau des années avant-Covid, mais nous revenons pratiquement au niveau de 2019. Il faut dépister, et encore dépister. Et aller vers les populations à risque. Les dépistages généralisés, c’est bien, mais les dépistages communautaires, c’est mieux. Plus nous dépisterons, plus nous traiterons, et plus nous éradiquerons le virus.

La peur de se découvrir séropositif peut aussi en dissuader certains de se faire dépister ?

Le séropositif « moderne », vous le croisez dans la rue, vous ne le savez pas. C’est une femme ou un homme normal, qui a une famille, qui n’est pas du tout désocialisé. Il y a trente ans, ils étaient désocialisés, déstructurés, ils avaient l’allocation adulte handicapé, ils ne travaillaient pas. Aujourd’hui, un séropositif traité a une vie tout à fait normale. Il suffit juste qu’il prenne son comprimé le matin avant d’aller travailler ou le soir en rentrant, sans l’oublier. Il n’a pas besoin de faire quoi que ce soit d’autre. Son épouse, son mari ou son compagnon ne risque absolument rien, ils peuvent faire des projets… Le seul souci, c’est quand ils veulent faire un emprunt. Les assurances ne se sont pas adaptées au pronostic et à l’évolution actuelle. Vous avez du coup des surprimes, et c’est une catastrophe. Résultat, ils mentent et ne disent rien aux assurances, ni à leur famille, ni à leur travail. Ils n’ont pas besoin de pitié, ils ont simplement besoin d’être traités comme des gens normaux qu’ils sont.

Bruno Taillan VIH
© Photo Frédéric Nébinger / Direction de la Communication

L’ONUSIDA a fixé l’année 2030 comme horizon pour stopper l’épidémie de VIH : cette échéance vous paraît-elle réaliste ?

Nous n’y serons pas parce qu’il y a toujours 800 000 contaminations par an dans le monde. Il y a un mort toutes les minutes. L’Onusida prévoyait zéro sida, mais aussi zéro décès. Mais nous n’aurons ni l’un, ni l’autre. Le problème, c’est que sur 40 millions de séropositifs, les deux tiers seulement ont accès aux traitements. Le tiers restant n’est donc pas traité. Et c’est ce tiers qui va contaminer les autres. Ces populations, essentiellement basées en Afrique, mais aussi en France, n’ont pas accès à la PrEP [traitement préventif contre le VIH — NDLR], ni aux traitements post-exposition, ni aux traitements préventifs de l’infection soit avant la prise de risque, soit après. Il faudrait vraiment généraliser le dépistage et l’accès précoce aux traitements.

« Comme plus de la moitié des séropositifs ont plus de 50 ans, le défi c’est d’essayer de les traiter avec les traitements les moins agressifs possibles. Et les traitements injectables représentent une avancée à ce niveau-là »

Docteur Bruno Taillan. Chef du département de médecine interne au centre hospitalier princesse Grace (CHPG)

Ces traitements sont-ils facilement acceptés ?

Oui, les patients les acceptent facilement. Le problème de rejet du traitement vient de sa complexité aux effets secondaires. À l’heure actuelle, les traitements sont simples. C’est maximum un comprimé par jour, voire un comprimé quatre jours sur sept en simplification thérapeutique. Ce sont des bi ou des trithérapies en fonction du profil biologique du patient, et les effets secondaires ne sont pas plus importants que dans un groupe placebo. Si vous arrivez lors de la première consultation à prendre le temps de discuter, d’informer et d’expliquer les effets potentiels, vous appréhendez la complication. Et lorsqu’elle survient, le patient l’accepte mieux. Car beaucoup d’effets secondaires apparaissent dans les premiers jours, avant de disparaître rapidement. Le refus de traitement, la mauvais observance ou même l’échappement sont devenus rarissimes. Quand un patient vient dans la filière de soin, en règle générale il se soigne et il se suit. Le problème, ce sont les 20 à 25 % de patients qui ne sont pas dans la filière, parce que soit ils ne veulent pas se faire dépister, soit ils sont dépistés mais ils ne veulent pas se prendre en charge, soit ils ne sont pas dépistés du tout.

Un vaccin contre le sida verra-t-il bientôt le jour ?

C’est compliqué. Quand vous avez un vaccin Covid, on vous dit Alpha, Delta, Omicron… ils mutent une fois. Le virus du sida, lui, mute des centaines de milliers de fois dans le même temps, dans la journée. Il faut donc adapter un vaccin à ces mutations multiples qui fait que c’est quasiment impossible.

Dans ce domaine, les recherches sont nombreuses ?

Bien sûr, il y a actuellement plus de trente essais sur les candidats vaccins. Mais les laboratoires travaillent de plus en plus sur les simplifications et les allègements thérapeutiques. Nous avons des traitements tous les deux mois, bientôt nous aurons un traitement tous les six mois. Plus tard, ce sera peut-être tous les neuf ou douze mois. Bien sûr, il ne s’agit pas de vaccin, mais si vous faites une piqûre tous les six mois et le reste du temps, vous ne vous en préoccupez pas, c’est intéressant. Plus un traitement est simple, moins il a d’effets secondaires et plus vous avez une adhésion au traitement. Ce qui compte, c’est l’observance du traitement.

« Maintenant, nous n’apprenons plus aux gens à mourir, nous leur apprenons à vivre, à profiter. Les femmes peuvent avoir des enfants, elles peuvent faire des projets »

Docteur Bruno Taillan. Chef du département de médecine interne au centre hospitalier princesse Grace (CHPG)

Quel impact a eu la pandémie de Covid-19 sur la recherche ?

Le Covid a tout bloqué. Selon le prix Nobel de médecine, le professeur Barré-Sinoussi, nous sommes revenus dix ans en arrière parce qu’il y a eu moins de 80 % de dépistages et moins 70 % de prescriptions de PrEP. En Afrique, environ une vingtaine de pays ont quasiment été en rupture d’approvisionnement thérapeutique parce que les circuits étaient utilisés pour le Covid et pas pour le VIH. Que ce soit dans le dépistage, dans la prévention, dans l’acheminement des médicaments ou dans la recherche, le Covid a mis tout le monde à l’arrêt pendant deux ans. Nous reprenons à peine les niveaux de 2019. Mais, même si la recherche s’arrêtait, nous avons aujourd’hui suffisamment d’armes thérapeutiques préventives et curatives pour contrôler l’épidémie, et la faire disparaître. Si nous arrivons, comme l’OMS le dit, à 95 % de l’ensemble de la population dépistée, 95 % de l’ensemble de la population traitée, 95 % de l’ensemble des personnes traitées contrôlées, il n’y aura plus de sida. On ne contaminera plus et au bout d’un certain temps, ça s’effacera. Nous avons tout ce qu’il faut. Après, si on peut optimiser, simplifier, alléger, bien sûr c’est mieux. Mais globalement, aujourd’hui, surtout dans les pays dits développés, nous n’avons pas à nous plaindre ni des armes thérapeutiques, ni des traitements à disposition, ni de la prise en charge, de la filière et du suivi.

Quelles conséquences a eu cet arrêt sur les patients ?

Ils ont été en rupture de traitement. Avec la guerre en Ukraine, 50 000 séropositifs n’ont plus de traitement. L’acheminement est une catastrophe. Les patients ne sont pas guéris, ils sont simplement contrôlés. Donc dès qu’ils arrêtent le traitement, ils ont un rebond de l’infection. Et quand ils ont un rebond de l’infection, le virus remonte très fort dans le sang donc vous avez un rebond des contaminations car vous devenez plus contaminant. Vous avez aussi plus de complications infectieuses ou cancéreuses, et ainsi de suite. C’est donc une catastrophe pour le patient lui-même et pour la prévention de l’infection, car vous avez une augmentation des contaminations.

Pourra-t-on un jour guérir du sida ?

Oui, ces expériences de greffe sont très importantes dans la compréhension des mécanismes de l’infection et des mécanismes de réponse immunitaire du corps. Même si nous n’arrivons pas un jour au vaccin, nous arriverons à des immunothérapies adaptatives qui feront que le patient lui-même contrôlera sa maladie. C’est de plus en plus vrai dans le cancer où on arrive à faire des manipulations génétiques qui font que la chimiothérapie, la radiothérapie… sont dépassées. Pour certains cancers, on modifie les cellules immunitaires du patient pour qu’il attaque lui-même sa propre maladie. Les fameuses CAR-T cells, que l’on utilise dans le cancer, vont pouvoir être appliquées aux maladies virales, dont le VIH. Avec les thérapies géniques pour modifier le récepteur et ainsi de suite.

« Dans les années qui viennent, il va y avoir un défi de la vieillesse avec le VIH qu’il ne faut pas oublier, et que nos politiques ne sont pas encore prêts à assumer. Car ce n’est pas anticipé. Travailler sur le dépistage et sur la prise en charge des séropositifs qui vieillissent est le plus important »

Docteur Bruno Taillan. Chef du département de médecine interne au centre hospitalier princesse Grace (CHPG)

Dans combien de temps pourra-t-on bénéficier de ces thérapeutiques ?

C’est une avancée mais, je le répète, le message ce n’est pas ça. Si nous ne voulons pas avoir besoin de toutes ces thérapeutiques novatrices, nous devons utiliser la prévention. Et à ce moment-là, tout ce que nous sommes en train de raconter, n’a strictement aucun intérêt, car nous ne serons pas contaminés. Se contaminer en 2023, sincèrement, il n’y a pas de raison. Il faut vraiment mettre le paquet sur la prévention et le dépistage. Et c’est ce que nous faisons à Fight Aids Monaco [le docteur Taillan est le vice-président de cette association — NDLR], avec son altesse [la princesse Stéphanie, présidente et fondatrice de Fight Aids Monaco — NDLR]. Sans oublier ceux qui ont été contaminés il y a très longtemps, et qui sont quand même les fracassés de la vie. Dans les années qui viennent, il va y avoir un défi de la vieillesse avec le VIH qu’il ne faut pas oublier, et que nos politiques ne sont pas encore prêts à assumer. Car ce n’est pas anticipé. Travailler sur le dépistage et sur la prise en charge des séropositifs qui vieillissent est le plus important.

Malgré ces avancées, les préjugés et les discriminations envers les séropositifs ont la vie dure ?

Les séropositifs peuvent vivre avec la maladie, mais la société, la population n’est pas prête à vivre avec ces patients car ils ont encore une connotation négative. Quand les gens m’en parlent, je leur conseille d’ailleurs de ne pas en parler car ils risquent de se faire rejeter que ce soit par leurs amis ou leur famille. Malgré une information majeure, les gens ont toujours peur du sida. Certaines personnes craignent encore de l’attraper par une piqûre de moustique ou en allant aux toilettes publiques. Toutes ces fausses croyances traînent alors que tout le monde oublie que : indétectable = intransmissible. Et que la plupart des patients qui sont diagnostiqués, traités, contrôlés ne sont absolument pas dangereux. Les plus dangereux sont finalement ceux qui ne sont pas stigmatisés, c’est-à-dire ceux qui sont séropositifs mais qui refusent de se l’avouer, ou ceux qui ne le savent pas et qui refusent de se faire dépister. Aujourd’hui, les personnes séropositives traitées devraient être considérées sans aucune conséquence particulière puisqu’elles sont comme les autres, avec les mêmes risques, avec la même espérance de vie. Elles ne peuvent pas contaminer plus que n’importe qui puisqu’elles sont indétectables donc intransmissibles. Nous avons fait des progrès dans le dépistage, dans la prévention, dans le traitement mais nous n’avons fait aucun progrès sur la stigmatisation et le rejet.

Comment lutter contre ces stigmatisations ?

En essayant de plus en plus de démystifier. Aujourd’hui, l’infection au VIH est une maladie comme une autre. À la limite, ce n’est même plus une maladie mais un état, puisque la plupart des gens sont contrôlés et asymptomatiques. On est porteur du virus mais on vit avec, on en tire les conséquences sur la diététique, sur l’activité physique, sur les toxiques… mais il n’y a pas de risque particulier. Aucune profession ne vous est interdite. À Fight Aids, nous n’avons pas vraiment réussi pour l’instant à trouver de solution miracle. Mais l’abolition du rejet, de la stigmatisation on peut le faire sans argent. Il suffit de changer les mentalités.

Quel rôle jouent les associations de patients dans la recherche ?

À Fight Aids Monaco, nous avons essentiellement décidé de travailler sur la prévention donc la communication, les campagnes d’affichage, le « Test in the City » avec les dépistages, et dans l’aide aux patients. Nous ne sommes pas une association suffisamment grosse pour pouvoir participer et financer la recherche car elle coûte énormément d’argent. La maison de vie de Carpentras représente pour nous quand même « un laboratoire de recherche ». Il ne s’agit pas bien sûr de recherche fondamentale, mais de recherche sur le patient. Nous avons fait un très beau travail avec Didier Raoult sur le bien vieillir avec le VIH, car les patients qui viennent à la maison de vie ont souvent beaucoup plus de 50 ans. C’est une recherche clinique qui fait progresser sur la prise en charge.

Combien de personnes séropositives prenez-vous en charge au CHPG ?

Sur l’hôpital de Monaco, nous sommes environ à 600 séropositifs. Nous les accueillons le plus souvent en consultation, en ambulatoire. Les seuls patients hospitalisés ont des complications de l’infection et en particulier, des complications cancéreuses par exemple du poumon en cas de tabagisme. Les trois patients qui sont décédés l’année dernière sont décédés de cancer de poumon. À l’heure actuelle, plus aucun patient ne décède du sida, sauf s’ils sont séropositifs depuis longtemps et qu’ils ne se sont pas fait dépister. Aujourd’hui, 25 % des dépistages se font au stade de sida. Ce qui veut dire que le message n’est pas clair. On devrait pouvoir dépister les gens dès qu’ils se contaminent. Il ne faut pas rester 20 ans sans faire un dépistage.

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