mardi 23 avril 2024
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Benoîte de Sevelinges : « L’obligation vaccinale ? Une nécessité, pas une punition »

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Sanctions, perturbations des services, difficultés de recrutement… La directrice du centre hospitalier princesse Grace, Benoîte de Sevelinges, évoque les conséquences potentielles de l’obligation vaccinale sur la gestion de son établissement. Interview (1).

Pourquoi cette vaccination est-elle nécessaire pour les soignants ?

Sur le principe même de l’obligation vaccinale, le directeur de l’hôpital n’est pas médecin, et c’est aux médecins de parler de la pertinence de cette obligation vaccinale. Au centre hospitalier princesse Grace (CHPG), le taux de vaccination parmi les médecins est de 97,7 %. L’avis sur la pertinence de la vaccination est donc assez transparent. L’obligation vaccinale elle-même est une décision politique. Et en tant que directrice d’établissement, je serai là pour l’appliquer.

Quelle sera votre mission ?

La mission de la direction de l’hôpital et de ses services va être d’accompagner les agents. D’une part ceux qui souhaitent être vaccinés, pour qu’ils aient une information exhaustive et loyale s’il leur reste des doutes, mais aussi répondre à leurs questions de manière scientifique. Nous devrons également les accompagner dans les formalités à remplir, et notamment la transmission de l’attestation de vaccination. Notre mission sera ensuite d’accompagner ceux qui refusent la vaccination. Nous devrons être en mesure de les accompagner vers des reconversions, vers une sortie qui soit douce, et qui se fasse dans les meilleures conditions, pour qu’il y ait le moins de trouble et de perturbation possible au sein de l’établissement.

Faut-il craindre des paralysies de services ?

C’est toujours possible, dans la mesure où certains services sont normés. Par exemple, en termes de sécurité incendie, nous devons avoir tant d’agents sur place pendant une certaine période. C’est pareil pour la réanimation. Nous avons besoin de tant d’infirmières pour tant de malades. Si nous nous retrouvons, dans ces services, avec des agents qui refusent la vaccination, cela peut effectivement troubler le fonctionnement et perturber l’organisation des services. C’est la raison pour laquelle nous demandons à tous les agents volontaires pour le faire de nous informer au long cours de leur statut vaccinal. Cela nous permettra alors d’organiser les remplacements, voire de diminuer l’activité pendant les premières semaines si cela s’avère nécessaire.

De nouvelles déprogrammations sont-elles à prévoir ?

On le regardera oui, mais honnêtement, je n’y crois pas. Nous allons avoir la conjonction entre la mise en œuvre de cette loi et un risque d’accroissement de l’activité Covid. Tout le monde étant rentré, nous commençons à regarder pour réorganiser un peu nos plannings, et se dire, peut-être, qu’on va forcer un peu plus telle ou telle semaine, et un peu moins telle ou telle autre. Mais selon les données dont nous disposons, ce n’est pas inquiétant. D’autant plus que nous n’avons pas aujourd’hui de retard opératoire. En revanche, beaucoup de personnes ne sont pas revenues aux soins.

« Il nous reste 25 % des agents à vacciner. Sur ces 25 %, il y a un biais. C’est-à-dire qu’en France, l’obligation vaccinale s’applique aux soignants. Chez nous, elle s’applique à tout le personnel, y compris le personnel administratif, le personnel de cuisine, de ménage… Je pense que ces agents vont aller se faire vacciner. Ceux qui ne le souhaiteront pas quitteront l’hôpital, et d’autres viendront »

Cette obligation vaccinale ne met-elle pas en péril la santé des patients ?

Non, c’est trop marginal. Il nous reste 25 % des agents à vacciner. Sur ces 25 %, il y a un biais. C’est-à-dire qu’en France, l’obligation vaccinale s’applique aux soignants. Chez nous, elle s’applique à tout le personnel, y compris le personnel administratif, le personnel de cuisine, de ménage… Je pense que ces agents vont aller se faire vacciner. Ceux qui ne le souhaiteront pas quitteront l’hôpital, et d’autres viendront. Ce qui nous pose problème, c’est la pénurie des métiers soignants. Car une infirmière, c’est trois ans de formation. Et aujourd’hui, il n’y a pas assez d’infirmières, ni d’aides-soignants en France.

Comment allez-vous pallier les défaillances potentielles ?

Nous disposons d’un pool de remplacement, qui permet de pallier l’absentéisme. Et si à quelques jours de l’échéance, nous constatons qu’énormément d’agents refusent la vaccination, dans ce cas nous réfléchirons à déprogrammer des patients pendant un temps.

À partir de quand la vaccination des soignants deviendra-t-elle obligatoire au CHPG ?

Selon le projet de loi, il s’agit de cinq semaines après le vote de la loi, ce qui correspond au délai pour obtenir un schéma vaccinal. Il est possible que le texte soit amendé, et modifie ce délai. De notre côté, nous nous sommes préparés pour une mise en œuvre à mi-octobre 2021.

N’y avait-il pas d’autre choix que cette obligation vaccinale ?

Si cette décision a été prise par la politique, c’est qu’elle imagine probablement que c’est la meilleure solution. C’est forcément une des solutions pour limiter la crise. Mais je ne veux pas me prononcer sur cette question car je ne fais pas de politique et donc je sors de mon champ de responsabilités.

« Nous avons un gros handicap qui est l’accès à la principauté. Aujourd’hui, les jeunes filles de 20-25 ans ne veulent plus avoir une heure de route tous les jours pour 300 euros de plus »

Étiez-vous favorable à cette obligation vaccinale ?

Je suis vaccinée, c’est tout ce que je peux vous répondre.

Des foyers de contamination ont-ils été recensés au CHPG ?

Oui, beaucoup depuis le début de la crise. Nous avons eu des périodes avec des grappes de clusters. Heureusement, ils n’ont pas été graves. Ils se sont rarement étendus sur les patients. Car généralement, ce sont des patients qui ont contaminé du personnel, et le personnel qui se contaminait entre eux. Nous avons toujours réussi à les circonscrire et à en trouver l’origine. Nous avons des tensions dans les services sur les effectifs, mais nous n’avons jamais eu à fermer des lits à cause d’un cluster.

Des soignants ont-ils aussi contaminé des patients ?

Il y en a eu, mais ces contaminations sont beaucoup plus rares, parce que les soignants gardent leur masque et appliquent les gestes barrières. En revanche, les risques sont beaucoup plus élevés dans les maisons de retraite et dans la prise en charge des personnes âgées, car beaucoup sont déambulants et beaucoup ne peuvent pas porter de masque, surtout en période estivale. Dans certaines pathologies, il y a aussi des gens qui crachent… Ce sont des sources de contamination que nous avons eues.

Les soignants ont été extrêmement sollicités et mobilisés depuis le début de la crise sanitaire : fallait-il leur imposer cette obligation ?

Les soignants sont indispensables, c’est probablement la profession la plus importante. Je ne crois pas qu’il faille voir l’obligation vaccinale comme une punition. C’est probablement une nécessité. Si la politique a pris cette décision, c’est qu’elle pense que c’est la solution nécessaire pour sortir de cette crise.

Quelles sont les sanctions prévues ?

Le projet de loi prévoit que l’agent non vacciné soit suspendu un mois à mi-traitement [avec le maintien de 50 % de sa rémunération — NDLR], puis suspendu tout court sans traitement [sans maintien de salaire — NDLR]. Pour ce dernier cas, nous avons besoin de précisions. Sachant que cette disposition touche les gens en activité donc y compris s’ils se mettent en arrêt maladie, puisque j’ai vu que des appels à l’arrêt maladie ont été lancés.

Avez-vous estimé la part des agents qui ne se feront pas vacciner ?

Non, parce qu’ils refusent de toute façon de nous le dire. C’est du secret médical. Les questions ont probablement été posées par les cadres de proximité pour savoir où ils mettent les pieds. Maintenant, ceux qui ne veulent pas répondre ne répondent pas. Et nous, nous ne tenons pas de recueil. Nous sommes à 74,5 % de vaccinés [au 13 septembre 2021 — NDLR]. Si la loi est votée mardi [14 septembre 2021 — NDLR], nous aurons entre vendredi  [17 septembre 2021 — NDLR] et lundi  [20 septembre 2021 — NDLR] une idée un peu plus précise.

Les difficultés de recrutement vous inquiètent-elles, alors que l’obligation vaccinale se profile ?

Bien sûr. La pénurie des métiers de santé existe. Et quoi qu’on y fasse, on est obligé de lutter contre. Plusieurs actions sont possibles pour maintenir une attractivité : il y a évidemment la rémunération, mais aussi les conditions de travail. Un autre outil très fort est aussi au cœur des revendications : c’est le statut du personnel. Le statut du personnel de service est régi par une ordonnance qui date de 1982. Il est à la fois obsolescent, et plus du tout opérationnel. Il est contradictoire avec les textes qui régissent la caisse de compensation des services sociaux (CCSS), qui est la caisse d’assurance de nos agents. Des agents se retrouvent dans un espace couvert par rien. Ce statut régit tout, la protection sociale bien sûr, mais aussi le recrutement, les évolutions de carrière, la discipline, les mutations… Il faut donc le revoir complètement. La réforme du statut du personnel rentre dans le projet sur le Ségur de la santé. Il n’y a pas que la rémunération, il y a aussi le reste. Mais il reste encore deux à trois ans de travaux, parce que nous voulons le travailler avec les représentants du personnel.

« Je crois à une baisse des vocations en général. Nous sommes dans un nouveau monde, où les gens n’ont plus envie de travailler le week-end, ni la nuit. Et cela pose problème dans l’organisation d’un hôpital »

Comment renforcer l’attractivité de la principauté ?

Nous sommes au-dessus de la rémunération française, mais pour la génération qui arrive sur le marché du travail, la rémunération n’est plus le facteur clé dans le recrutement. Les conditions de travail sont meilleures au CHPG, nous avons un tableau des effectifs quasiment plein, donc pas de postes vacants. Nous disposons d’équipements modernes et beaucoup plus nombreux que les autres. En revanche, nous avons un gros handicap qui est l’accès à la principauté. Aujourd’hui, les jeunes filles de 20-25 ans ne veulent plus avoir une heure de route tous les jours pour 300 euros de plus. Nous devons donc chercher des choses que nous pouvons proposer pour que les gens viennent. Le statut du personnel est un outil hyper puissant, car il peut permettre de changer complètement le déroulement de carrière.

Craigniez-vous une baisse des vocations en raison de l’obligation vaccinale ?

Non, je ne crois pas, parce que dans trois ans, y aura-t-il toujours l’obligation vaccinale ? Et qu’en penseront les jeunes soignants ? Et puis, nous sommes déjà soumis à beaucoup d’obligations vaccinales. La différence avec ce vaccin, c’est qu’il est nouveau. Mais, par nature, les soignants sont soumis à l’obligation vaccinale pour beaucoup d’autres choses. En revanche, je crois à une baisse des vocations en général. Nous sommes dans un nouveau monde, où les gens n’ont plus envie de travailler le week-end, ni la nuit. Et cela pose problème dans l’organisation d’un hôpital.

Qu’avez-vous prévu pour convaincre les plus réfractaires ?

Nous continuons la pédagogie dans plusieurs sens. Nous expliquons ce qu’est la vaccination, en quoi elle permet de lutter contre la propagation du virus, parce qu’on le veuille ou non, il existe des choses objectives. Nous inviterons ceux qui ne souhaitent pas se faire vacciner à venir nous voir, pour préparer leur sortie.

Allez-vous contrôler l’authenticité des certificats de vaccination ?

Oui, nous allons valider les QR Code. Tel que le projet de loi le prévoit, nous aurons une obligation de le faire.

Le gouvernement vous a-t-il consultée pour ce projet de loi ?

Non, j’ai été consultée par le Conseil national, mais pas par le gouvernement. Les trois établissements de santé ont été consultés ensemble, et ont fait part de leurs observations sur le texte en séance.

Vous le regrettez ?

Je ne peux pas répondre, car j’ai un devoir de réserve.

1) Cette interview a été réalisée le lundi 13 septembre 2021, soit la veille du vote au Conseil national du projet de loi n° 1043 relatif à l’obligation vaccinale contre la Covid-19 de certaines catégories de personnes.

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