mardi 30 mai 2023
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Antoine Pelissolo : « Le réchauffement climatique est un facteur d’aggravation des troubles mentaux »

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Les conséquences du dérèglement climatique ont un impact direct sur nos vies. Inondations, incendies, sécheresses, montée des eaux… Comme dans un jeu de dominos, d’autres conséquences, liées à la santé mentale cette fois, sont pointées du doigt. On parle désormais d’éco-anxiété, face à ces phénomènes que l’homme ne parvient pas à maîtriser. Le psychiatre Antoine Pelissolo et sa collègue Célie Massini évoquent ce sujet dans un livre (1), tout en proposant quelques solutions. Antoine Pelissolo a répondu aux questions de Monaco Hebdo.

L’origine de ce livre ?

Je suis psychiatre spécialisé dans les troubles liés à l’anxiété. Parmi les thématiques que l’on a vu émerger au cours des dernières années, il y a la question du climat et de l’avenir de l’environnement. Cela revient de plus en plus souvent dans le discours des patients qui ont un trouble anxieux, et dans leurs motifs d’inquiétude. Ils ne viennent pas majoritairement pour ce que l’on appelle aujourd’hui « l’éco-anxiété ». Mais c’est un sujet parmi d’autres, comme les questions de santé ou d’avenir, en général.

D’autres raisons expliquent la volonté de se lancer dans l’écriture de ce livre, avec votre co-autrice, Célie Massini ?

D’un autre côté, au niveau de la recherche, je m’intéresse à tout ce qui est facteur environnemental dans les maladies psychiques, c’est-à-dire les liens entre environnement écologique et santé mentale. Quant à ma co-autrice, Célie Massini, qui est interne en psychiatrie (2), elle a travaillé sur ce sujet lors de sa thèse de médecine. Elle est plus jeune, et elle se sent vraiment impliquée sur le plan personnel, car cette problématique est plus proche de sa génération, qui est davantage concernée.

Quel est l’impact provoqué par les catastrophes climatiques sur la santé mentale ?

Les catastrophes qui surviennent dans le monde entier sont de plus en plus proches de nous, et de plus en plus fréquentes. Il y a donc un impact direct, avec des émotions très fortes qui sont générées. Ces émotions produisent parfois un quasi-psychotraumatisme. Ce n’est pas la même chose que lorsqu’on est directement exposé, c’est-à-dire quand on est une victime immédiate. Là, les dégâts sont très importants, avec notamment des états de stress post-traumatiques. Pour les gens qui sont témoins d’événements climatiques à travers les médias, l’effet est indirect, mais il peut aussi être fort, et générer des angoisses importantes.

« Au départ, le dérèglement climatique inquiétait pour les générations futures. Mais maintenant, on s’inquiète à l’échelle de sa propre vie, avec des changements importants dans les décennies à venir »

Il existe des facteurs aggravants ?

Lorsque l’exposition à ces événements climatiques via les médias est répétée dans le temps, un état d’anxiété durable peut se développer. C’est cela qui prépare les états d’éco-anxiété. Il peut alors s’installer des projections négatives dans l’avenir, l’impression qu’on n’échappera pas à la catastrophe, et qu’on ne peut rien faire pour lutter contre. Il y a un caractère irrémédiable. C’est ressenti comme quelque chose qui va arriver, sans que l’on sache quand. Au départ, le dérèglement climatique inquiétait pour les générations futures. Mais maintenant, on s’inquiète à l’échelle de sa propre vie, avec des changements importants dans les décennies à venir. Ces changements concerneront la façon de se nourrir et de consommer, et les modes de vie, plus largement. Les jeunes, qui en parlent le plus, peuvent estimer que dans 20 ou 30 ans, il y aura des conséquences importantes pour eux, leurs familles, et leurs proches.

Quel type de catastrophe climatique nous touche le plus ?

Les catastrophes climatiques qui nous touchent le plus sont celles auxquelles on peut s’identifier. Ce peut être parce qu’on voit directement des victimes, à travers des témoignages notamment. Quand on voit des personnes blessées qui souffrent, ou même des personnes décédées, l’impact est très fort au niveau émotionnel. Ce sont, par exemple, des incendies, de grandes sécheresses, ou des inondations. Il s’agit donc de situations dans lesquelles on peut se projeter. Ce sont autant de perspectives qui peuvent être très angoissantes.

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 pèse aussi sur notre santé mentale depuis le premier confinement, en mars 2020 ?

La crise sanitaire et toutes ses conséquences liées au stress et aux changements permanents dans nos vies quotidiennes depuis mars 2020 pèsent aussi. Les personnes inquiètes le sont d’autant plus depuis que cette crise sanitaire est là. Car c’est le signe d’une faiblesse générale de notre espèce par rapport aux forces de la nature. Il y a eu le Covid-19 qui est un virus, mais il pourrait y avoir d’autres maladies, d’autres infections. Notre médecine et notre technologie très avancée ne nous protègent pas complètement contre tous ces effets naturels. Or, il y a toujours eu des épidémies.

« Sur le plan psychologique, potentiellement, tout le monde peut être concerné par l’éco-anxiété. Tous les milieux sociaux ou géographiques peuvent être touchés. C’est la sensibilité au monde, en général, qui compte. Les personnes qui ont une sensibilité émotionnelle plus forte, présentent un profil qui peut favoriser cette éco-anxiété »

Les périodes de confinement ont joué un rôle particulier ?

Pendant le confinement, on ne pouvait plus vraiment sortir. Donc les gens ont ressenti un besoin de se rapprocher de la nature pour respirer mieux, et pour se retrouver dans un milieu plus plaisant. Mais on s’est rendu compte que cette nature était de plus en plus dégradée et moins accessible. Le lien entre le déclenchement de l’épidémie de Covid-19 et les changements environnementaux a aussi été évoqué. On sait qu’il existe un rapport entre la déforestation et le risque de développement d’épidémies. Pas forcément le Covid, parce qu’on ne sait pas très bien comment cette pandémie a commencé. En tout cas, on peut se sentir responsable, voire coupable, de ces risques qui sont planétaires, désormais.

Quelles catégories de personnes sont les plus touchées et pourquoi ?

Sur le plan psychologique, potentiellement, tout le monde peut être concerné par l’éco-anxiété. Tous les milieux sociaux ou géographiques peuvent être touchés. C’est la sensibilité au monde, en général, qui compte. Les personnes qui ont une sensibilité émotionnelle plus forte, présentent un profil qui peut favoriser cette éco-anxiété. Mais c’est aussi un facteur favorisant pour tous les troubles anxieux, et pour tous les troubles émotionnels. La préoccupation pour les questions d’écologie compte aussi. Cet aspect est davantage lié à la culture. En effet, certains, par nature, s’intéressent aux questions environnementales, pendant que d’autres en font même leur métier. Ces gens qui sont confrontés à ces sujets, et qui ont les informations qui vont avec, sont davantage impactés. Enfin, une fois que l’on a développé cette anxiété, l’impact est plus fort pour les personnes qui sont plus fragiles pour d’autres raisons, et notamment des raisons sociales.

Vous constatez des différences entre les femmes et les hommes ?

En moyenne, sur l’ensemble de la planète, on constate que les femmes sont plus touchées que les hommes. Probablement parce qu’elles sont plus fragilisées par des facteurs sociaux. Enfin, il y a la question de l’âge. Les jeunes générations, de l’enfant jusqu’à l’adulte âgé de 30 ans environ, se sentent davantage concernées. Même si, bien sûr, on a aussi des personnes plus âgées qui sont très angoissées aussi.

Les enfants sont aussi très sensibles à l’éco-anxiété ?

Il faut être le plus à l’écoute possible pour les jeunes générations. Les enfants sont très sensibles à ce qu’ils peuvent entendre dans les médias ou sur Internet. Souvent, pour eux, la plus grande peur est très immédiate. Ils s’interrogent sur ce qu’il va arriver à leurs parents ou à leurs proches. Les familles doivent donc être attentives, et aborder ces questions, si nécessaire, avec leurs enfants.

Dans votre livre, vous avez dressé une typologie des souffrances écologiques, parmi lesquelles vous citez le deuil écologique ?

Le deuil écologique est assez proche du deuil classique. Il y a plusieurs étapes. Il y a d’abord une forme de sidération, quand on se rend compte de l’état de son environnement immédiat, ou de la planète en général. Petit à petit, une espèce de colère monte, avec une remise en cause de tout ce qui a été fait, et de ce que font les autres. Au départ, le sentiment est plus proche de la dépression, qui peut se mêler ensuite à un état de colère, de ressentiment, ou de frustration. Tout cela est lié à la perte de l’environnement dans lequel on a grandi, ou dans lequel on sait que l’on avait, potentiellement, des ressources. Pour décrire cet état-là, on parle de « solastalgie ». On ressent alors une transformation définitive de sa terre, avec la perte de tout ce que la terre apporte d’habitudes, en termes de réconfort et de racines pour l’espèce humaine, et pour chaque individu.

Il y a aussi l’éco-anxiété ?

L’éco-anxiété concerne la partie prospective, c’est-à-dire l’inquiétude pour le futur. Cela concerne toutes les projections qui évoquent des catastrophes, et des transformations radicales de notre écosystème.

« Il faut être le plus à l’écoute possible pour les jeunes générations. Les enfants sont très sensibles à ce qu’ils peuvent entendre dans les médias ou sur Internet. Souvent, pour eux, la plus grande peur est très immédiate. Ils s’interrogent sur ce qu’il va arriver à leurs parents ou à leurs proches. Les familles doivent donc être attentives »

L’éco-anxiété pousse certains à renoncer à avoir des enfants ?

L’éco-anxiété peut pousser certaines personnes à renoncer à avoir des enfants. C’est ce que l’on appelle les “Green Inclination No Kids” (GINKS) [« Engagement vert Pas d’enfants » — NDLR]. L’idée, c’est que l’avenir du monde est très compromis. Donc on refuse d’exposer ses enfants à toutes ces catastrophes possibles. Par ailleurs, il y a aussi l’idée de ne pas vouloir ajouter de nouveaux êtres humains sur une terre qui est déjà trop peuplée par rapport aux ressources naturelles et au potentiel de destruction de l’environnement. Ce sentiment d’avenir bouché débouche sur le renoncement à avoir des enfants.

Que pèsent vraiment ces GINKS aujourd’hui et quelles pourraient être les conséquences ?

On entend de plus en plus ce discours autour des GINKS, mais on ne sait pas si cela sera vraiment une réalité, un jour. En tout cas, si cela se vérifie, cela signifierait que l’espèce humaine a lancé sa propre auto-destruction. Ce qui marquerait un grand changement dans son histoire. Car même face à toutes les catastrophes et à toutes les adversités, l’espoir de transmettre à nos descendants, et de continuer à vivre, a toujours pris le dessus.

Quelles solutions mettre en œuvre pour vaincre ces angoisses climatiques ?

Un ensemble de choses peut-être mis en œuvre pour vaincre ces angoisses climatiques. D’abord, il faut commencer par se dire que ces inquiétudes sont légitimes. Il ne s’agit pas de remettre le bien fondé de ces angoisses. Car elles sont un moteur pour s’associer à la prise de conscience générale, et ensuite essayer de changer certaines habitudes pour préserver l’environnement.

Les professionnels de santé ont aussi un rôle à jouer ?

En tant que professionnels, on souhaite accompagner les personnes en souffrance, parfois victimes de complications, comme des troubles anxieux ou dépressifs. Notre objectif est de limiter ces souffrances, mais pas de faire changer d’avis ces patients. Donc l’accompagnement consiste à écouter leur parole. Cela peut être fait avec un professionnel, ou avec des proches avec qui on est en confiance, et auprès de qui on peut s’exprimer facilement.

Quoi d’autre ?

Ensuite, il y a la gestion du stress en général, et des émotions, comme on le fait pour d’autres formes d’anxiété. On peut utiliser des méthodes assez classiques, comme la relaxation, la respiration, ou des psychothérapies, quand c’est nécessaire. Enfin, le troisième volet correspond aux valeurs sous-jacentes à ce sentiment général, c’est-à-dire la proximité avec la nature. On conseille de se lancer dans des activités réconfortantes en extérieur, dans des forêts, ou des espaces verts. Ce n’est pas quelque chose de superficiel ou de transitoire. Un mode de vie davantage tourné vers la nature provoque forcément un gain en termes de bien-être. Après, il faut suivre ces valeurs liées à l’écologie, et agir, afin de lutter contre le risque de dérèglement climatique. À son niveau, seul ou au sein d’une association, l’important est de se sentir utile et actif.

Antoine Pelissolo climat sante mentale
« Les incendies, les grandes sécheresses, ou les inondations sont des situations dans lesquelles on peut se projeter. Ce sont autant de perspectives qui peuvent être très angoissantes. » Antoine Pelissolo. Psychiatre. Photo Astrid di Crollalanza © Flammarion

« L’éco-anxiété peut pousser certaines personnes à renoncer à avoir des enfants. C’est ce que l’on appelle les “Green Inclination No Kids” (GINKS) [« Engagement vert Pas d’enfants » — NDLR]. L’idée, c’est que l’avenir du monde est très compromis. Donc on refuse d’exposer ses enfants à toutes ces catastrophes possibles »

Quels types d’actions peuvent être entreprises ?

Ces actions peuvent être écologiques, militantes, politiques ou associatives. L’objectif est d’agir conformément à ses valeurs. En plus, on est actif au sein d’un groupe. Or, l’aspect collectif est généralement toujours bénéfique pour le bien-être. Nous encourageons, et nous accompagnons, ce type de démarches. Cela permet d’avoir une plus grande acceptation de la réalité, en se sentant utile d’une manière ou d’une autre, et en ne restant donc pas dans l’impuissance. Car, malgré les interrogations sur l’avenir du monde, il vaut mieux essayer de vivre le moment présent, et sa vie, tant qu’on est présent, de la manière la plus agréable possible. Cet accompagnement est un parcours, avec au départ beaucoup de colère et d’angoisses. Mais, au bout d’un certain temps, une forme d’apaisement prend le dessus, sans gommer la réalité, grâce à des motifs de bien-être ou de satisfaction qui font peu à peu surface, malgré la situation environnementale.

À Monaco, sur un territoire de seulement 2 km2, avec une forte densité urbaine, comment faire pour ne pas céder à l’éco-anxiété, en s’appuyant notamment sur les bienfaits de la nature ?

Les densités urbaines pèsent sur la santé mentale. Les villes très peuplées constituent un facteur de risque important pour toutes les maladies mentales. Mais en principauté, d’autres facteurs peuvent venir contrebalancer cela. L’accès à la mer est un point fort. De plus, le niveau de vie est très bon. Il faut aussi miser sur les espaces verts de Monaco. Et, de temps en temps, il faut aussi s’éloigner de la ville, même si c’est seulement par éclipses. Le simple fait d’avoir des images de nature autour de soi peut également être bénéfique. Ensuite, il y a aussi ce que l’on fait seul, ou collectivement, pour se donner des temps de pause, ou d’évasion : cela peut être des loisirs, ou du développement personnel. Tout cela est très positif, car le but, c’est d’être recentré sur le moment présent. Et ça, on peut le faire un peu partout.

« Avec le temps, ce phénomène d’éco-anxiété pourrait devenir massif. Car il y a tout de même des perspectives qui sont lourdes. D’autant plus si d’autres facteurs d’aggravations viennent s’ajouter. Notamment les facteurs économiques et sanitaires, qui contribuent aussi à créer beaucoup de l’anxiété »

Le dérèglement climatique s’accentue et le monde tarde à réagir  : quelles pourraient être les conséquences pour la santé mentale de la population, si rien n’est fait ?

On peut être inquiet, c’est sûr. Car on voit que, pour changer de cap, il y a des obstacles politiques et économiques majeurs, même s’il y a une volonté de certains. Du coup, les changements sont très longs à se concrétiser. En ce qui concerne plus directement la santé mentale, le réchauffement climatique est un facteur d’aggravation des troubles mentaux. Et on sait qu’il est croissant et régulier. On fait tout pour alerter sur ce sujet, et essayer de trouver des parades, malgré tout. Mais il n’y aura pas de solution miracle. Il faut se préparer à devoir accompagner beaucoup de gens victimes d’éco-anxiété.

Le nombre de personnes souffrant d’éco-anxiété pourrait devenir massif, au fil du temps ?

Avec le temps, ce phénomène d’éco-anxiété pourrait devenir massif. Car il y a tout de même des perspectives qui sont lourdes. D’autant plus si d’autres facteurs d’aggravations viennent s’ajouter. Notamment les facteurs économiques et sanitaires, qui contribuent aussi à créer beaucoup de l’anxiété. On a vu l’impact qu’a eu la pandémie de Covid-19. Elle a déstabilisé énormément, et elle a touché des gens qui, jusque-là, étaient plutôt stables et sans antécédents. Beaucoup ont craqué, du fait de ce climat général. Une telle pandémie a remué beaucoup de choses. On est très fragilisé, probablement aussi parce qu’on est plus habitué à devoir faire face à de telles crises. Nous n’avons donc sans doute plus les mêmes défenses, et les mêmes recours de résilience, que certains peuples dans le passé. On est donc livré à des risques et à des périls auxquels nous ne sommes pas préparés.

Pour lire la suite de notre dossier sur le plan de santé mentale du gouvernement monégasque, cliquez ici.

1) Les émotions du dérèglement climatique, d’Antoine Pelissolo et Célie Massini (Flammarion), 320 pages, 19 euros.

2) Célie Massini est aussi la créatrice du blog missblemish.fr.

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