vendredi 19 avril 2024
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Santé mentale « Ne faire aucun tabou »

Publié le

Didier Gamerdinger, conseiller-ministre pour la santé et les affaires sociales, détaille pour Monaco Hebdo la démarche du plan santé mentale « équilibre psychologique et bien-être ». Un plan qui prévoit 53 actions réparties sur cinq ans, pour améliorer le suivi et l’offre de soin en principauté.

Parler de mal-être mental en 2022 est encore tabou : comment communiquer sur ce sujet ?

En parler n’est pas évident, en effet. Qu’il s’agisse des phénomènes d’addiction, de mal-être, de dépendances, d’instabilité psychologique, la parole ne se libère pas. Nous en sommes parfois témoins, mais ces situations sont peu exprimées par les personnes concernées. Soit parce qu’elles n’en ont pas conscience, soit parce qu’elles ne savent pas à qui s’adresser, et elles en ont peur.

Pourquoi peur ?

Dès lors que je m’adresse à quelqu’un, c’est que je reconnais que je ne suis pas bien. Pourtant, on n’est pas gêné d’aller voir un médecin quand on a un problème de santé. Mais on est gêné d’aller voir un professionnel de la psychiatrie ou de la psychologie, alors même que cela peut nous être utile. Il faut donc arriver à dépasser ce stade. Nous ne voulons faire aucun jugement de valeur, aucun tabou. Nous devons savoir en parler à Monaco, car nous sommes concernés par la question, comme ailleurs, et peut-être même plus qu’ailleurs. Car nous avons parfois plus de revenus à Monaco, et donc plus de risques d’être exposé à certaines substances.

Les personnes en mal-être mental se sentent également stigmatisées ?

Oui. Et c’est pourquoi qualifier simplement ce plan de plan « santé mentale » pouvait déjà être considéré comme stigmatisant. Je préfère donc parler d’équilibre psychologique, et de bien être. Déjà, en disant cela, j’évite de lui donner une connotation un peu médicale, pour mieux correspondre au ressenti des personnes. Nous avons donc réfléchi à comment aller au bout de notre démarche, pour permettre d’assurer au mieux le suivi, la prise en charge, les soins de remédiation et de mieux-être.

« On n’est pas gêné d’aller voir un médecin quand on a un problème de santé. Mais on est gêné d’aller voir un professionnel de la psychiatrie ou de la psychologie, alors même que cela peut nous être utile »

Ce plan va donc affiner ce qui existait déjà en principauté ?

En effet, nous menons déjà une bonne action en principauté, avec nos politiques publiques, notre réseau associatif performant, et nos personnes investies et bénévoles. Mais que peut-on faire de mieux ? Je pense que nous pouvons être meilleurs sur le dialogue avec les personnes qui se retrouvent à la limite d’être en addiction. Nous pouvons être meilleurs sur la prise en charge des patients, avant d’aller en placement juridictionnel. Nous pouvons être plus performants sur la manière dont nous allons nous occuper d’autres éléments de soin de la personne, avec les médecins généralistes et les dentistes. Mais aussi le logement et l’emploi, sans qu’il s’agisse d’emblée d’un emploi stable. Certains éléments existent déjà, et d’autres nous font défaut. Nous allons donc partir de ce qui se fait de bien, des ressentis de terrain, de toutes visions confondues, entre justice, administration, sphère publique, et sphère privé. Toujours dans l’idée de comment aller plus loin dans la prise en charge.

Comment ce plan va-t-il se concrétiser ?

À travers 53 mesures concrètes. D’un point de vue budgétaire, nous allons revenir chaque année devant les collègues du gouvernement pour anticiper les différentes mesures tel que le personnel à recruter et les aménagements à réaliser. Nous allons demander les budgets nécessaires pour mettre en œuvre des actions concrètes. En fonction du contexte, le gouvernement approuvera, ou pas. Mais c’est normal. C’est la façon de donner corps à cette ambition.

« Nous allons demander les budgets nécessaires pour mettre en œuvre actions concrètes. En fonction du contexte, le gouvernement approuvera ou pas. Mais c’est normal, c’est la façon de donner corps à cette ambition »

Quels sont les pays modèles pour la lutte contre le mal-être mental ?

Nous avons regardé ce qui se fait ailleurs. Il y a du bon à prendre, et des choses à laisser. La France, l’Italie, et les pays scandinaves sont très avancés aussi. Mais nous avons des problématiques qui nous sont spécifiques, avec des jeunes qui ont des moyens différents des autres pays, et qui sont donc peut-être conduits à aller vers certaines addictions. Ensuite, pour leur accompagnement, se pose le défi de leur trouver un logement. Dans un tissu très urbanisé, c’est forcément moins facile. Même chose lorsqu’il s’agit de leur trouver un emploi. On peut donc avoir des ambitions et des solutions créatives, à la monégasque.

Pour sortir du mal-être mental, il faut aussi oser demander de l’aide ?

Oui, et en même temps, c’est très difficile. Nous avons donc besoin d’être plus efficaces dans notre capacité à aller vers les personnes en souffrance. Nous avons déjà des patients qui viennent vers les structures existantes, psychologiques, sociologiques, sociales, ou psychiatriques. Mais d’autres personnes en mal-être ne font pas cette démarche, car elles ont peur d’affronter cette réalité qu’on va leur restituer, en quelque sorte. À nous de trouver la bonne mesure, la bonne distance, le bon message, la bonne façon d’approcher ces personnes. C’est moins à elles de venir à nous, que nous à aller vers elles. Comment faire prendre conscience à une personne qu’elle a une addiction aux réseaux sociaux, aux écrans, aux sites porno, à la chicha, ou à l’alcool ? Avec beaucoup de doigté, je pense, et d’humilité. Il faut faire passer l’appréhension de la blouse blanche, et trouver une manière subtile et douce d’en parler.

Pour lire la suite de notre dossier sur le plan de santé mentale du gouvernement monégasque, cliquez ici.