La jeunesse est faite d’espoirs, mais elle est aussi vulnérable. Chaque année, l’actualité fait tragiquement état de cas de suicides, qui font suite à un épisode de harcèlement, le plus souvent à partir des réseaux sociaux, des outils devenus très présents, même auprès des enfants.
L’illustration la plus récente est celle de Lucas, 13 ans, qui a mis fin à ses jours le 7 janvier 2023 à Golbey, dans les Vosges, après avoir été harcelé dans son collège, sur fond d’homophobie. Ce garçon avait écrit un mot dans son journal intime, expliquant sa volonté de mettre fin à ses jours. Avant lui, la petite Ambre, 11 ans, se suicidait le 25 décembre 2022 à Romans-sur-Isère, dans la Drôme. Dans une lettre d’adieu destinée à ses parents, elle expliquait, elle aussi, être victime de harcèlement dans son collège. En octobre 2021, c’était Dinah, 14 ans, à Kingersheim dans le Haut-Rhin. Également harcelée au collège, sa famille avait déposé une première plainte avant le drame, qui avait finalement été classée sans suite par le parquet de Mulhouse. Médiatisés, ces exemples sont presque noyés au milieu d’une grande vague d’épisodes de harcèlement qui débutent à l’école, souvent au collège, pour se poursuivre ensuite. Selon un sondage publié par l’association e-Enfance en novembre 2022, plus d’un jeune adulte sur deux (60 %) aurait déjà été harcelé au cours de sa vie, notamment sur Internet, ce qui aurait même conduit la moitié de ces victimes à penser au suicide. Cette étude, réalisée par l’Institut Audirep auprès d’un échantillon de 1 209 jeunes âgés de 18 à 25 ans, fait état de conséquences lourdes. Le cyber-harcèlement pèse sur la santé physique et mentale des victimes. D’après cette étude, après ces épisodes de harcèlement, 69 % des victimes ont déclaré avoir subi des insomnies et des troubles de l’appétit, mais aussi ressenti du désespoir. Ces troubles se matérialiseraient même ensuite sous la forme d’autres types de mal-être : 51 % des victimes sondées déclarent avoir failli tomber dans des comportements d’addiction liés à l’alcool ou à la drogue. Dévastatrices, ces situations de harcèlement sont multiples, mais une tendance semble tout de même se dégager.
Plus d’un jeune adulte sur deux (60 %) aurait déjà été harcelé au cours de sa vie, notamment sur Internet, ce qui aurait même conduit la moitié de ces victimes à penser au suicide
Le poids des plateformes
Toujours selon cette étude d’Audirep pour e-Enfance, la majorité des victimes a été confrontée pour la première fois au harcèlement avant l’âge de 21 ans. Entre insultes, moqueries, ou partages de photos sans le consentement de la personne concernée, les formes de harcèlement diffèrent. Mais elles ont pour point commun de converger autour des plateformes qui composent les réseaux sociaux d’aujourd’hui. TikTok en première place, suivi par Instagram et par Facebook.
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En moyenne, selon cette étude, les jeunes déclarent être présents sur au moins huit réseaux sociaux différents, soit autant d’occasions d’être exposés à des phénomènes de harcèlement. Et ils y passent du temps : 90 % des jeunes adultes interrogés estiment que leur temps passé sur Internet et les réseaux sociaux a augmenté, et 59 % d’entre eux avouent que ce temps passé sur les plateformes s’est considérablement accru lors de la crise Covid et des différents confinements. Selon eux, cette période a aussi été la source de l’aggravation de conduites à risques sur Internet et sur les réseaux sociaux. Au total, 64 % de ces jeunes estiment s’y exposer. Et si l’étude en question ne permet pas de dresser un profil type de victime de harcèlement sur Internet, du fait de l’étendue des attaques, il en ressort tout de même que les victimes sont davantage des jeunes hommes, généralement non diplômés, ou pas encore diplômés, et inscrits sur un plus grand nombre de réseaux sociaux et jeux en ligne que la moyenne, qui est donc de huit plateformes. Pour lutter contre le harcèlement en ligne, 62 % des jeunes adultes interrogés suggèrent ainsi la mise en place d’un suivi psychologique renforcé pour les victimes, et 52 % souhaitent avoir accès à de l’information de la part d’une association qui lutte contre les violences sur Internet. À Monaco, c’est le cas de l’association Action Innocence, qui propose à la fois un accompagnement des victimes et des formations aux parents, pour se prémunir du harcèlement et des attaques, mais aussi de l’association Jeune J’écoute Monaco, dédiée au soutien des enfants, des adolescents et de leur famille. Mais il faut aussi compter sur la loi, pour prévenir, dissuader, et punir.
59 % des jeunes adultes avouent que le temps passé sur les plateformes s’est considérablement accru lors de la crise Covid et des différents confinements. Selon eux, cette période a aussi été la source de l’aggravation de conduites à risques sur Internet et sur les réseaux sociaux
Prévenir et punir
À Monaco, la loi sur le harcèlement et la violence en milieu scolaire a été votée à l’unanimité le 24 novembre 2021 par le Conseil national. Alliant prévention et répression, elle engage à la fois la responsabilité des auteurs de harcèlement, mais aussi celle de l’État, dans certains cas.
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Cette loi énonce en effet qu’il revient à l’État, « et à lui seul », la charge de veiller à « l’organisation, à la définition, à la mise en œuvre, au contrôle, et à l’évaluation de l’ensemble des mesures visant à prévenir et à lutter contre le harcèlement et la violence en milieu scolaire », dans le cadre de son article 50-1. Il est donc possible de porter le contentieux de la responsabilité de la puissance publique devant un tribunal judiciaire. Et peu importe que ce contentieux soit contractuel ou délictuel. Mais, pour que la responsabilité de la puissance publique de Monaco soit reconnue, il faut cependant trois conditions : « Un fait générateur, un dommage, et un lien de causalité ». Il faut également prouver obligatoirement le préjudice, car « cette responsabilité de l’État ne pourra pas être engagée sans qu’un préjudice ne soit prouvé, en lien de causalité avec ledit défaut d’organisation », rappelle le texte. Il est également rappelé que cette responsabilité de l’État ne pourra être mise en œuvre que « dans le cadre des établissements publics ou privés sous contrat, seuls établissements sur lesquels l’État pourrait se voir imputer un manque d’encadrement ». Pour ce qui est de la prévention, la loi prévoit la formation de tout le personnel d’éducation des établissements scolaires, au moins une fois dans l’année. Il est en effet prévu que les enseignants bénéficient d’une « formation adéquate et régulière » pour se familiariser avec la prévention et la réponse au harcèlement, ainsi qu’à l’apprentissage de méthodes appropriées. Les établissements scolaires doivent aussi assurer un plan de prévention contre le harcèlement et la violence. La prévention sera réalisée par le biais de recensement des cas enregistrés, pour mieux les signaler, et par la mise en œuvre d’actions de sensibilisation. Les écoles pourront bénéficier du soutien et de l’expertise d’associations qui œuvrent pour la protection de l’enfance. De plus, pour créer un environnement sécurisé au sein des établissements, un délégué à la prévention et à la lutte contre le harcèlement doit être désigné par la direction de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Chaque établissement doit également nommer un, ou plusieurs, référents chargés de la prévention au harcèlement et à la violence. Leurs missions sont déterminées par ordonnance souveraine. L’objectif est de signaler une situation de harcèlement, pour ensuite permettre aux parents d’élèves de saisir le chef d’établissement, ou la direction de l’éducation nationale, si nécessaire.

“Revenge porn”
Des infractions pénales sont également prévues pour répondre aux cas les plus graves, dont le “revenge porn” [un chantage par le biais de photos et/ou de vidéos intimes de la victime diffusées sur Internet et sur les réseaux sociaux — NDLR], le bizutage par la drogue ou l’alcool, ou encore l’incitation au suicide. Ainsi, les termes de « harcèlement moral » figurent aussi expressément au sein des éléments constitutifs de l’infraction. Le « cyber-harcèlement », les « harcèlements de meute », et les « raids numériques » seront aussi désignés lorsque des actions, des propos ou des comportements, voire des omissions, sont imposés à la victime. Les peines peuvent aller de trois mois à deux ans de prison, et de 9 000 à 90 000 euros d’amende. Dans le cas d’une incitation au suicide, les peines encourues iront jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Dans les cas de harcèlement à caractère sexuel, comme le “revenge porn”, la peine pourra culminer à dix ans de prison et 180 000 euros d’amende. Ce plan d’action juridique était une première étape importante en principauté. Il reste maintenant à en mesurer la portée. Au Conseil national, la nouvelle présidente de la commission de l’éducation, de la jeunesse et des sports, Mathilde Le Clerc, prévient : « Le Conseil national sera attentif à la bonne application et au suivi de ces dispositifs. Et j’espère que le gouvernement sera en mesure de nous présenter, dès le prochain budget rectificatif, un premier bilan de leur mise en œuvre ».
1) Contacté par Monaco Hebdo, le département de l’intérieur n’a pas donné suite à notre sollicitation avant le bouclage de ce numéro, mardi 11 avril 2023.