vendredi 19 avril 2024
AccueilPolitiqueViolences et harcèlement scolaire : la prévention avant la sanction

Violences et harcèlement scolaire : la prévention avant la sanction

Publié le

Alors que cinq à neuf cas avérés de harcèlement scolaire sont recensés chaque année à Monaco selon le gouvernement, un nouveau projet de loi vient d’être voté à l’unanimité du Conseil national pour prévenir toute hausse éventuelle du phénomène. L’arsenal pédagogique, et juridique, promet ainsi d’être renforcé, dans la forme, pour protéger la jeunesse au sein des établissements monégasques.

« À Monaco, nous souhaitons contribuer à un nouvel essor en faveur du développement harmonieux et de la protection de l’enfant. Ce n’est pas pour nous un but, mais un devoir. » Ces mots ont été prononcés par le prince Albert II, il y a près de vingt ans déjà, aux Nations Unies, en mai 2002, lors d’une session extraordinaire consacrée aux enfants. Et ce sont ces mots qui ont inspiré l’hémicycle, mercredi 24 novembre 2021, pour entamer le débat qui a précédé le vote du projet de loi sur le harcèlement et la violence en milieu scolaire. Il n’y a pas eu de débat en réalité, car le sujet a fait l’unanimité. Tout juste les méthodes auraient-elles pu être discutées, mais il n’y a pas eu de dissonances sur ce point non plus, puisque les 21 élus présents du Conseil national ont voté en faveur du texte. Même le gouvernement n’y a apporté que très peu de corrections. Seule une question demeure à l’issue de ce vote : pourquoi maintenant ?

« Il sera donc possible de porter le contentieux de la responsabilité de la puissance publique devant un tribunal judiciaire »

Lutter contre la vague

Avant que Monaco Hebdo ne pose directement la question à Isabelle Bonnal, directrice de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, le nombre de cas de harcèlement et de violences en milieu scolaire restait encore l’inconnue de l’équation. Nous savons désormais que ce chiffre avoisine les « cinq à neuf cas avérés chaque année, à rapprocher des quelque 5 700 élèves accueillis dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat de Monaco ». Lors de la séance du 24 novembre, on ne savait pas en effet si ce nombre était en forte hausse, en baisse, ou en constante progression, ni s’il évoluait plus à l’école, au collège, ou au lycée, faute d’éléments chiffrés communiqués publiquement. Les élus du Conseil national, dont le rapporteur du projet de loi Marc Mourou, se sont simplement entendus pour dire que l’ampleur du phénomène de harcèlement scolaire était moindre qu’en France, mais sérieux. Et c’est à partir de chiffres français, et d’exemples français, qu’ils ont illustré leurs propos. On retiendra ainsi que 10 % des élèves en France seraient victimes de harcèlement, soit 700 000 cas par an, comme l’a rappelé l’élue de la majorité Priorité Monaco (Primo !) Michèle Dittlot, et que trois jeunes adolescents sur dix reconnaîtraient avoir harcelé quelqu’un à l’école, comme l’a énoncé Jacques Rit, du groupe Horizon Monaco (HM), lors de son intervention. C’est donc pour éviter d’être frappé par cette vague à Monaco, « aussi dévastatrice que le coronavirus » a estimé Michèle Dittlot, que ce projet de loi arriverait à point nommé. « Faire de l’école un temple où l’on protège le culte en faveur de l’enfant », voilà l’idée, inspirée du prince Albert II, qu’a énoncé le nouveau secrétaire général du Conseil national, Cédric Braquetti, successeur de Sébastien Siccardi depuis le 15 novembre 2021. Car le harcèlement est « une arme mortelle », pour reprendre les mots, cette fois, d’une élève en classe de Cinquième à Monaco, transmis par Pierre Bardy (Primo !), pendant cette séance législative.

harcèlement scolaire Marc Mourou
© Photo Conseil National.

« Quand on peut éduquer plutôt que réprimer, c’est le plus important »

Marc Mourou. Élu Primo !, rapporteur du texte

La prévention avant tout

Face à cette « arme », la priorité a donc été donnée à la prévention, plutôt qu’à la répression et à la sanction : « Quand on peut éduquer plutôt que réprimer, c’est le plus important », estime Marc Mourou. La loi prévoit ainsi la formation de tout le personnel d’éducation des établissements scolaires, au moins une fois dans l’année. Il est prévu que les enseignants bénéficient d’une « formation adéquate et régulière » pour se familiariser avec la prévention et la réponse au harcèlement, et à l’apprentissage de méthodes appropriées. Ce n’est pas tout. Les établissements — écoles, collèges et lycées — devront aussi assurer un plan de prévention contre le harcèlement et la violence. La prévention sera réalisée par le biais de recensement des cas enregistrés, pour mieux les signaler, et par la mise en œuvre d’actions de sensibilisation. Les établissements pourront bénéficier du soutien et de l’expertise d’associations qui œuvrent pour la protection de l’enfance. L’approche abordée par le projet de loi est, en effet, globale : « Une combinaison cohérente de ces approches aura ainsi vocation à consolider, sur le long terme, les réponses au harcèlement », précise le texte. Et, pour créer un environnement le plus accueillant et sécurisé possible au sein des établissements, un délégué à la prévention et à la lutte contre le harcèlement devra être désigné par la direction de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Chaque établissement devra également nommer un ou plusieurs référents chargés de la prévention au harcèlement et à la violence. Leurs missions seront déterminées par ordonnance souveraine, et l’objectif sera double : signaler une situation de harcèlement, et permettre aux parents d’élèves de saisir le chef d’établissement ou la direction de l’éducation nationale. Car, c’est un autre volet prévu par ce projet loi : l’État pourra être reconnu comme responsable de certains cas de harcèlement et violence.

La responsabilité de l’État reconnue

Le projet de loi énonce en effet qu’il revient à l’État, « et à lui seul », la charge de veiller à « l’organisation, à la définition, à la mise en œuvre, au contrôle et à l’évaluation de l’ensemble des mesures visant à prévenir et lutter contre le harcèlement et la violence en milieu scolaire », dans le cadre de son article 50-1. Il sera donc possible de porter le contentieux de la responsabilité de la puissance publique devant un tribunal judiciaire : peu importe que ce contentieux soit contractuel ou délictuel. Mais, pour que la responsabilité de la puissance publique de Monaco soit reconnue, il faudra trois conditions :  « Un fait générateur, un dommage, et un lien de causalité ». Et il faudra obligatoirement prouver le préjudice, car « cette responsabilité de l’État ne pourra pas être engagée sans qu’un préjudice ne soit prouvé, en lien de causalité avec ledit défaut d’organisation », rappelle ainsi le texte. Cette décision ne vient cependant pas de nulle part, la responsabilité de l’État est à la fois le fait de la jurisprudence, et des interventions du législateur par le passé à Monaco. Il est également rappelé que cette responsabilité de l’État ne pourra être mise en œuvre que « dans le cadre des établissements publics ou privés sous contrat, seuls établissements sur lesquels l’État pourrait se voir imputer un manque d’encadrement ».

© DR

Ce texte […] enrichit la définition de l’infraction de harcèlement, et il y ajoute des infractions comme le bizutage, la provocation au suicide, et donc, le “revenge porn”

Des sanctions pénales

Si la prévention au harcèlement et à la violence est une priorité, mise en avant par le rapporteur Marc Mourou, des dispositions pénales sont tout de même prévues pour répondre aux cas les plus graves, dont le “revenge porn” [chantage par le biais de photos et/ou vidéos intimes de la victime diffusées sur Internet et sur les réseaux sociaux — NDLR], le bizutage par la drogue ou l’alcool, ou encore l’incitation au suicide. Tous ces scénarios ont été abordés par le texte en question. La sanction devra donc être appliquée « lorsqu’elle est nécessaire », rappelle le conseiller-ministre pour l’intérieur, Patrice Cellario, « en veillant à ce que celle-ci soit toujours efficace, adaptée aux délinquants comme à la gravité de leurs actes. ». Car, comme l’a évoqué Marc Mourou pendant cette séance publique, les auteurs de harcèlement et de violence, souvent mineurs, ne sont « pas toujours conscients de la portée de leurs actes. Et il est important de suivre autant les auteurs que les victimes », la répression étant « un constat d’échec », et ne peut être que « subsidiaire » selon cet élu. Le projet de loi est donc venu compléter l’arsenal des mesures à la disposition du juge, en ajustant certaines règles relatives à la justice pénale des mineurs, déjà régies par la loi n° 740 du 25 mars 1963 qui concerne les mineurs délinquants. Le texte prévoit aussi des sanctions pénales contre les personnes majeures. Pour cela, il enrichit la définition de l’infraction de harcèlement, et il y ajoute des infractions comme le bizutage, la provocation au suicide, et donc, le “revenge porn”. Ainsi, les termes de « harcèlement moral » figureront expressément au sein des éléments constitutifs de l’infraction. Le « cyber-harcèlement », les « harcèlements de meute » et les « raids numériques » seront aussi désignés lorsque des actions, propos ou comportements, voire des omissions, seront imposées à la victime. Concrètement, les peines pourront aller de trois mois à deux ans d’emprisonnement, et de 9 000 à 90 000 euros d’amende en cas de sanction. Dans le cas d’incitation au suicide, les peines encourues iront jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Dans les cas de harcèlement à caractère sexuel, comme le “revenge porn”, la peine pourra culminer à dix ans de prison et 180 000 euros d’amende.

Un travail déjà entamé par le passé

Cette loi trouve son origine dans la proposition de loi n° 243, qui a été adoptée par le Conseil national en séance publique le 2 décembre 2019. C’est par lettre du 4 juin 2020 que le gouvernement princier a informé le Conseil national de sa décision de transformer la proposition en projet de loi, pour disposer d’une législation renforcée en matière de lutte contre le harcèlement et la violence en milieu scolaire. Des actions ont déjà été menées par différents acteurs de la principauté, des institutionnels et des associations. On retiendra, par exemple, le plan d’action et de prévention du gouvernement princier contre le harcèlement et la violence en milieu scolaire, destiné à prévenir et détecter les phénomènes de harcèlement et de formes éventuelles d’actes violents, mais aussi à former les adultes encadrant les élèves. Aussi, l’appel à un coordinateur de la vie scolaire dans au moins un établissement scolaire de la principauté, capable d’intervenir, en tant que médiateur, dans l’hypothèse de harcèlements considérés comme avérés. Des actions de prévention existaient déjà, avec un programme d’enseignement moral et civique (EMC), qui aborde spécifiquement en classe la question du harcèlement à l’école. Le vote du projet de loi 1036, adopté à l’unanimité le 24 novembre, n’initie donc pas à lui seul le programme de lutte contre le harcèlement, mais il entame une nouvelle étape. « Monaco va être un des pays les plus avancés dans la lutte contre le harcèlement et la violence en milieu scolaire, au moins en Europe du sud. Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait en Amérique du Nord et en Europe du Nord, qui sont des régions très avancées sur le sujet », a conclu Marc Mourou. Ce texte entrera en vigueur à compter de la rentrée scolaire 2022. Un autre chantier attend désormais les élus et le gouvernement : le droit à l’oubli sur Internet. « Le Conseil national demande au gouvernement de se saisir pour permettre aux victimes de voir disparaître tous propos attentatoires à leur dignité », a ainsi suggéré Stéphane Valeri, qui a également invité le gouvernement à bien mettre en œuvre le texte voté mercredi soir, comme s’il fallait rappeler aux conseillers-ministres et leurs équipes que la balle était désormais dans leur camp.