vendredi 19 avril 2024
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Espionnage, “soft power”, collecte massive de données personnelles… Faut-il bannir TikTok ?

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Accusée d’espionnage, l’application chinoise TikTok est menacée d’interdiction dans plusieurs pays. A partir du 15 mars 2023, le personnel et les élus du Parlement européen et de la Commission européenne doivent supprimer TikTok de leurs appareils professionnels. De son côté, le gouvernement monégasque recommande à ses employés de ne pas utiliser TikTok, ni Facebook.

Le 23 février 2023, la Commission européenne a annoncé qu’elle avait décidé de bannir le réseau social chinois TikTok des téléphones de ses employés. Peu après, le Conseil européen, dirigé par le Belge Charles Michel, a suivi le même chemin, a indiqué son porte-parole à l’Agence France-Presse (AFP). En ce qui concerne la Commission européenne, l’information a été révélée par Euractiv et Politico. L’objectif affiché est d’assurer la protection des données et de répondre à des craintes d’espionnage. On se souvient qu’en novembre 2022, TikTok avait clairement indiqué que les données des utilisateurs installés en Europe pouvaient être consultées « selon les besoins du service », dans plusieurs pays, incluant la Chine. Lancée en 2016 par l’entreprise chinoise ByteDance, cette plate-forme vidéo dispose de bureaux dans le monde entier, et notamment à Paris, mais son siège social est installé à Pékin.

Espionnage, “soft power”, collecte massive de données de ses utilisateurs… Les craintes à l’égard de TikTok sont multiples. Résultat, les salariés de la Commission européenne doivent répondre à cette demande faite le 23 février 2023 d’ici le 15 mars 2023. Sans quoi, les récalcitrants ne pourront plus accéder à certains outils, notamment leur boîte e-mail professionnelle, explique Euractiv. Cette mesure va plus loin que le strict cadre professionnel a ajouté Politico. En effet, les téléphones personnels de ces salariés peuvent aussi être visés par cette interdiction, s’ils contiennent une ou des applications liée(s) à leur travail. TikTok a réagi à cette décision par le biais de son porte-parole : « Nous sommes déçus de cette décision, que nous croyons erronée et fondée sur des idées fausses », tout en précisant avoir demandé à rencontrer les autorités européennes concernées.

En novembre 2022, TikTok avait clairement indiqué que les données des utilisateurs installés en Europe pouvaient être consultées « selon les besoins du service », dans plusieurs pays, incluant la Chine

« Cheval de Troie du Parti communiste chinois »

Cette prise de décision ne touche pas que l’Europe. En effet, aux Etats-Unis, le Congrès, et plus de la moitié des Etats du pays, ont aussi banni TikTok. Les Américains ont même décidé d’aller plus loin, puisqu’un projet de loi voté en décembre 2022 par le Sénat s’est donné pour objectif d’interdire l’utilisation de cette application chinoise sur tous les supports technologiques qui appartiennent à l’Etat fédéral. « TikTok est un cheval de Troie du Parti communiste chinois. C’est un risque de sécurité majeur », a assuré au Monde le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley, qui a travaillé sur ce texte. Cette loi doit désormais être adoptée par la Chambre des représentants. Aux Etats-Unis, TikTok fait un véritable carton, notamment chez les adolescents, laissant Instagram derrière elle, grâce à une centaine de millions d’utilisateurs. La méfiance des Etats-Unis face à la Chine reste tenace. On se souvient qu’en août 2020, Donald Trump avait cherché à faire disparaître le matériel téléphonique de la firme chinoise Huawei, en raison de soupçons d’espionnage, sans toutefois apporter de preuves concrètes. Dans un contexte de relations internationales tendues avec Pékin, en novembre 2022, la Commission fédérale des communications (FCC) américaine a banni une demi-douzaine d’entreprises chinoises des télécoms, dont Huawei, ZTE, Dahua, Hikvision, et Hytera. La position vis-à-vis de TikTok est identique au Canada, où le gouvernement a aussi mis au ban cette application des appareils mobiles dont il équipe son personnel.

Si TikTok assure vouloir « minimiser les flux de données hors d’Europe et stocker les données de ses utilisateurs européens dans des “data centers” européens », cela n’empêchera pas le traitement d’une partie des données collectées en Europe, et donc à Monaco, directement en Chine

TikTok veut investir en Europe

Les craintes d’un espionnage venu de Chine ont aussi gagné l’Europe. Aujourd’hui, l’application de ByteDance affiche 150 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans 32 pays en Europe, contre 100 millions fin 2020. Aucun chiffre précis ne circule pour la France et pour Monaco, mais TikTok revendique plus d’un milliard d’utilisateurs mensuels actifs dans le monde, essentiellement les 4-18 ans, qui passent, en moyenne, 1 h 30 par jour sur cette application. Dans un communiqué, TikTok se dit « conscient qu’il est primordial que nous continuions à investir en Europe pour soutenir cette communauté en plein essor ». De son côté, l’Union européenne (UE) insiste pour que cette entreprise chinoise applique des règles plus strictes concernant ses contenus et la gestion des données personnelles.

TikTok assure s’être lancé dans une campagne de recrutement, afin de pouvoir se conformer au Digital Service Act (DSA), qui sera lancé en Europe dès juin 2023. Le DSA a notamment pour objectif de lutter contre les “fake news”, les contenus haineux, mais aussi de gagner en transparence concernant l’usage d’algorithmes qui décident de ce que chaque utilisateur peut voir, ou non, sur son smartphone. Pas convaincue, fin novembre 2022, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a dénoncé l’opacité de TikTok. Si cette entreprise assure vouloir « minimiser les flux de données hors d’Europe et stocker les données de ses utilisateurs européens dans des “data centers” européens », cela n’empêchera pas le traitement d’une partie des données collectées en Europe, et donc à Monaco, directement en Chine. Un « centre européen de transparence et de responsabilité » a été ouvert par ByteDance, un second projet de centre de données européen va voir le jour, toujours en Irlande, et un troisième est actuellement en discussion. A ce jour, TikTok emploie 5 000 salariés en Europe.

« Il est, pour l’instant, recommandé de ne pas installer ce type d’application, comme Facebook également, sur un mobile professionnel ou sur un mobile personnel utilisé à des fins professionnelles, sauf pour les services chargés de la communication, puisqu’elles constituent les canaux de communication de notre époque »

Le gouvernement monégasque

Huawei

De son côté, le gouvernement monégasque a décidé d’adopter une certaine prudence dans ce dossier sensible. « L’application TikTok fait l’objet d’une attention particulière de plusieurs pays qui estiment que l’usage de cette application et les données qui y sont publiées ne sont pas suffisamment protégés. En février 2023, la Commission européenne et le gouvernement américain ont interdit l’application sur les mobiles professionnels et sur les mobiles personnels, s’ils sont utilisés à des fins professionnelles », a rappelé le gouvernement princier à Monaco Hebdo. Avant d’ajouter : « En ce qui concerne la principauté de Monaco, il est, pour l’instant, recommandé de ne pas installer ce type d’application, comme Facebook également, sur un mobile professionnel ou sur un mobile personnel utilisé à des fins professionnelles, sauf pour les services chargés de la communication, puisqu’elles constituent les canaux de communication de notre époque. » Depuis le 13 mars 2023, en France, l’application de l’entreprise chinoise ByteDance est aussi l’objet de travaux d’une commission d’enquête du Sénat. Au total, 19 sénateurs sont à la tâche, avec pour rapporteur le président du groupe Les Indépendants, Claude Malhuret. Le socialiste Mickaël Vallet assure la présidence de cette commission.

Huawei
En France, avant de poser une antenne, Huawei doit obtenir l’autorisation de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi). Ce qui interdit à cette entreprise chinoise de déployer ses antennes à proximité d’installations jugées stratégiques et sensibles. En principauté, aucune interdiction de ce genre n’a été déployée. Depuis 2012, un partenariat fait de Huawei l’un des équipementiers de Monaco Telecom. © Photo J. Lekavicius / Shutterstock

Les conclusions de cette enquête, qui devrait durer six mois, intéresseront sans doute le gouvernement monégasque, alors que la défiance vis-à-vis des entreprises chinoises alimente l’actualité depuis plusieurs années déjà. L’équipementier télécoms chinois Huawei a ainsi été longtemps dans la tourmente, ce qui a fini par lui faire perdre près d’un tiers de son chiffre d’affaires en deux ans, passant de 1,4 milliard d’euros en 2019 à 936 millions en 2021. En France, depuis la loi d’août 2019 qui a pour objectif de « préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles », avant de poser une antenne, Huawei doit obtenir l’autorisation de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi). Ce qui interdit à cette entreprise chinoise de déployer ses antennes à proximité d’installations jugées stratégiques et sensibles. En principauté, aucune interdiction de ce genre n’a été prononcée. Depuis 2012, Huawei est l’équipementier de Monaco Telecom. Cette entreprise chinoise a fourni le matériel nécessaire pour les réseaux 3G et 4G. En 2018, un nouvel accord a prolongé cette même logique pour l’installation du réseau 5G de la principauté.