L’année 2022 a été marquée par une sécheresse record. Et les premiers mois de 2023 sont toujours aussi secs. La préfecture des Alpes-Maritimes a donc activé son alerte sécheresse, et elle annonce des restrictions d’eau. Manuel Nardi, directeur général de la Société Monégasque des Eaux (SME), décrypte la situation en principauté pour Monaco Hebdo. Interview.
Quelle est la situation pour les ressources en eau à Monaco ?
La situation pour les ressources en eau de la principauté n’est pas bonne. Nous sommes confrontés à une période de sécheresse qui a duré pendant toute l’année 2021, mais aussi en 2022. Du coup, la période habituelle de recharge des nappes phréatiques [une réserve d’eau souterraine peu profonde — NDLR] qui a habituellement lieu entre septembre et mars, est aujourd’hui largement entamée. Nous enregistrons un déficit d’environ 50 % de la pluviométrie habituellement constatée. Ce retard vient s’accumuler avec la baisse que nous avons connue en 2021. C’est comme une marche d’escaliers. Nous subissons les effets passés de la sécheresse.
En 2022, les Alpes-Maritimes ont enregistré un déficit pluviométrique d’environ 43 %, soit le plus important déficit connu depuis le début des mesures, en 1959 : la situation est identique à Monaco ?
Sur le toit du Larvotto où nous nous trouvons, nous constatons à peu près les mêmes chiffres, à quelques millimètres près. Sur nos ressources propres, nous étions à 660 000 m3 d’eau en 2022, ce qui est la plus basse production locale jamais constatée depuis que je fais des relevés, en 1985. La première fois où nous avons été en dessous du million de m3, c’était en 2021 avec 994 000 m3. Je m’en étais ému. Il faut savoir qu’à Monaco, la production habituelle était située entre 1,5 et 2,5 millions de m3 d’eau par an. Aujourd’hui, avec 660 000 m3, nous sommes trois fois plus bas.
« Nous avons 100 litres par seconde d’autorisation de récupération des eaux à partir de la Roya, 165 litres par seconde à partir de La Vésubie, et 50 litres par seconde pour la plaine du Var »
Les besoins d’eau de Monaco se chiffrent à combien de m3 par an ?
Les besoins actuels de Monaco en eau sont de 4,7 millions de m3 par an. Nous avons donc besoin d’apports extérieurs. Lorsque je suis arrivé en 2 000, la principauté avait besoin d’environ 6 millions de m3 d’eau par an, avec un PIB à peu près deux fois moindre. Il y a donc eu des efforts considérables pour améliorer l’efficience des usages de l’eau. Cette réduction de 1,3 million de m3, représente la prise de conscience de beaucoup de personnes, mais aussi l’évolution du parc d’électroménager qui a amélioré ses besoins en eau et en électricité. C’est d’ailleurs devenu un argument de vente pour les industriels. Plus généralement, les grands acteurs de la principauté ont aussi fait des efforts.

Un exemple ?
Il y a une vingtaine d’années, la Société des bains de mer (SBM) avait besoin d’à peu près 500 000 à 600 000 m3 par an pour faire une saison. Aujourd’hui, cette entreprise consomme moins de 300 000 m3 d’eau par an, sans pour autant sacrifier le confort de sa clientèle. Cela a été rendu possible en réutilisant quelques eaux grises pour remettre dans les chasses d’eau, en faisant plus attention à l’arrosage des jardins, en réparant plus fréquemment les éventuelles fuites, en faisant des radio relevés des compteurs pour suivre la consommation… Bref, c’est un ensemble de mesures qui ont permis cette baisse. Ce que je dis pour la SBM est aussi vrai pour la Société monégasque d’assainissement (SMA), et pour la Société d’exploitation des ports de Monaco (SEPM), qui est un gros consommateur d’eau. Et c’est également vrai pour la direction de l’aménagement urbain (DAU), qui exploite les espaces verts de la principauté, avec de l’arrosage.
Il y a aussi le problème des fuites d’eau (1) ?
Les fuites dans les réseaux d’eau représentent souvent 20 à 25 % de la consommation, soit des centaines de milliers de m3 d’eau perdus chaque année. A Monaco, nous avons un rendement supérieur à 95 %, ce qui est probablement l’un des records mondiaux en la matière. Depuis des années, le niveau de renouvellement des réseaux d’eau en principauté explique ce rendement de 95 %. Cela nécessite entre 500 000 et 700 000 euros d’investissement par an depuis des dizaines d’années. C’est à ce prix là que nous arrivons à avoir un réseau digne de ce nom, étanche, et entretenu.
Les espaces verts de la principauté sont de gros consommateurs d’eau ?
Lorsque j’étais enfant, je voyais assez régulièrement les arrosages automatiques arroser les pelouses, alors qu’il pleuvait. L’arrosage fonctionnait alors par horodatage : l’heure d’arrosage était programmée, qu’il pleuve ou non. Aujourd’hui, cela ne marche plus comme ça. La DAU dispose d’une centrale de prévision. Des capteurs mesurent l’humidité relative du sol, pendant que d’autres mesurent l’hygrométrie [mesure du degré d’humidité présent dans l’air ambiant — NDLR] de l’air. Ils s’appuient aussi sur une prévision de la météo à quelques jours. Avec cela, ils disposent d’une prédiction des apports hydriques nécessaires pour les plantes. Cela leur permet d’arroser au mieux et au plus juste, dans la plupart des grands espaces verts de Monaco. En ajoutant à cela les radio relevés qui concernent désormais près de la totalité des jardinières, on obtient une amélioration considérable des besoins en eau de la DAU.
Comme chaque année Monaco consomme plus d’eau qu’il n’en récupère : d’où vient la différence, c’est-à-dire environ 4 millions de m3 ?
Monaco dispose de deux origines d’eau distinctes. Cela résulte de droits d’eau acquis historiquement et financièrement par la principauté. A l’est de la principauté, il y a d’abord les puits de la Roya, qui sont situés en Italie. Cela relève d’un traité d’après-guerre exploité par la France. Monaco bénéficie d’un quart de la production de cette ressource. Ensuite, sur la partie ouest, la principauté s’appuie sur les ressources du canal de La Vésubie, qui est un aqueduc qui alimente en eau potable la ville de Nice. Ceci est complété par des apports d’eau venus de la plaine du Var, le cas échéant. Tout cela est chiffré précisément, en litres par seconde. Nous avons 100 litres par seconde d’autorisation de récupération des eaux à partir de la Roya, 165 litres par seconde à partir de La Vésubie, et 50 litres par seconde pour la plaine du Var.
« La tempête Alex a détérioré de manière durable les puits de la Roya. Mais au niveau hydrogéologique, une mutation complète de ce fleuve s’est produite. Alors que nous avions une productivité extraordinaire sur ces puits, cette productivité a quasiment été réduite de 25 % en 2020. C’est toujours vrai aujourd’hui, et cela a même tendance à s’aggraver »
Comment expliquer ce manque d’eau ?
Le manque d’eau est lié à l’évolution climatique. Cela a des répercussions significatives sur les températures moyennes constatées. On voit bien que les hivers sont plus doux, et qu’il pleut de moins en moins. Et cela a tendance à s’accélérer. J’ai connu Monaco sous la neige en 1985. Je ne suis pas sûr de revoir ça un jour. Cette hausse des températures favorise non seulement un printemps plus précoce, mais aussi l’évaporation. L’évaporation de la mer beaucoup plus importante, débouche sur des épisodes cévenols parfois explosifs. Nous avons un retour de pluies extrêmement brutal, qui n’ont aucune vertu d’alimentation en eau. Elles font des dégâts et retournent en mer. C’est un peu ce phénomène que l’on a connu avec la tempête Alex, entre le 30 septembre et le 3 octobre 2020.
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Les conséquences de la tempête Alex se font encore sentir ?
La tempête Alex a détérioré de manière durable les puits de la Roya. Mais au niveau hydrogéologique, une mutation complète de ce fleuve s’est produite. Alors que nous avions une productivité extraordinaire sur ces puits, cette productivité a quasiment été réduite de 25 % en 2020. C’est toujours vrai aujourd’hui, et cela a même tendance à s’aggraver, du fait du colmatage des puits. Il y a eu une modification durable et profonde du régime d’écoulement de la Roya.
Comment s’adapter à ces sécheresses ?
Heureusement que Monaco n’a plus besoin de 6 millions de m3 d’eau par an, sinon nous aurions déjà eu des ruptures d’eau en 2021. Nous n’aurions pas pu suivre le rythme. Aujourd’hui, tout le monde a fait les efforts nécessaires. Pendant la période de Covid-19, la consommation d’eau a baissé à 4,3 millions de m3. Mais c’était exceptionnel, car il y a eu un arrêt de l’activité économique, des chantiers, de l’activité hôtelière… Donc 4,7 millions de m3 d’eau avec une activité économique normale, c’est un bon score. On n’ira pas beaucoup plus bas.
« Heureusement que Monaco n’a plus besoin de 6 millions de m3 d’eau par an, sinon nous aurions déjà eu des ruptures d’eau en 2021. Nous n’aurions pas pu suivre le rythme. Aujourd’hui, tout le monde a fait les efforts nécessaires »
Que faire, alors ?
Si on ne peut plus jouer sur les besoins en eau, il faut rechercher des ressources. Dans un premier temps, on s’intéresse à toutes les ressources en eau naturelles que nous pourrions mobiliser. En 2020, nous avons débuté des recherches par forages sur le territoire de la principauté, qui ont été stoppées par la pandémie de Covid-19. Nous avons repris ces forages aux alentours de la tour Odéon en 2022. Nous sommes descendus à 80 mètres de profondeur. Nous avons trouvé des cavernes et des passages d’eau. Au cœur de l’été, un petit peu d’eau coulait, ce qui est très encourageant.
Avec l’accord et le co-financement de la DAU, nous avons mis en œuvre un forage d’exploitation, toujours en 2022. Cela a donné de bons résultats. Désormais, cela doit être confirmé par une troisième étape de forage et d’aménagement avec une pompe plus importante. L’objectif est de vérifier que l’eau est disponible en quantité suffisante, et qu’elle ne reçoit pas de sel, car nous sommes proches de la mer. Si tout cela est validé, alors on proposera à l’Etat monégasque de poser des tubes dans des galeries techniques, de manière à rapatrier cette eau brute jusqu’à notre usine du Larvotto. Cela nous donnerait alors un point d’eau supplémentaire, pour alimenter la principauté à partir des ressources locales.
Cela pourrait apporter quel volume d’eau supplémentaire à la principauté ?
Cela pourrait apporter environ 50 m3 d’eau/heure. Ce n’est pas négligeable. Aujourd’hui, alors que nous devrions être au plus haut, nous sommes au plus bas, et nous produisons 80 m3 d’eau/heure.
Mais cette possible nouvelle ressource d’eau que vous avez trouvée sur le territoire monégasque finira aussi par être impactée par le réchauffement climatique : vous avez d’autres solutions ?
Effectivement, cette nouvelle ressource sera impactée par le réchauffement climatique. Donc, nous réfléchissons à des ressources alternatives. Il y a d’abord le désalement de l’eau de mer. Mais il présente de gros inconvénients. C’est très énergivore, donc cela rejoint un autre problème, qui est celui de l’énergie. Et pour l’environnement ce n’est pas bon, car on rejette des saumures. Autre solution : réutiliser les eaux usées traitées sur Monaco pour en faire une nouvelle ressource potentielle. Le principe est le suivant : au lieu de boire l’eau une seule fois et de la jeter, on la boit une fois, puis on la traite, et on la boit une deuxième fois, on la traite à nouveau, et on la boit trois fois. Bref, l’idée, c’est d’abandonner le jetable, au profit du réutilisable.
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En France, le 25 février 2023, le président Emmanuel Macron a évoqué un « plan de sobriété pour l’eau » : nous en sommes donc là ?
Oui, nous en sommes là. Les efforts des uns et des autres ont été fournis avant cette période de sécheresse que nous connaissons depuis quelques années. J’insiste : passer d’une consommation annuelle de 6 millions de m3 d’eau à 4,7 millions de m3 d’eau, c’est un effort considérable. On ne pourra pas aller plus bas que ça, sauf si on se restreint. En disant, par exemple, qu’on se limite à une seule douche par jour. Pour l’instant, ce type de mesures coercitives est exagéré à Monaco [à ce sujet, lire notre encadré par ailleurs — NDLR]. Avec les ressources alternatives, on doit parvenir à conserver un confort de vie comparable à celui que l’on a connu auparavant. Même si j’engage, bien sûr, tout le monde à être vigilant, à ne pas laisser couler l’eau inutilement, et à réparer une fuite dès qu’on en voit une.
« Nous avons repris ces forages aux alentours de la tour Odéon en 2022. Nous sommes descendus à 80 mètres de profondeur. Nous avons trouvé des cavernes et des passages d’eau. Au cœur de l’été, un petit peu d’eau coulait, ce qui est très encourageant. Avec l’accord et le co-financement de la DAU, nous avons mis en œuvre un forage d’exploitation »
Alors que nous sommes confrontés à un épisode de sécheresse sévère, pourquoi continuer à arroser les rues de Monaco (1) ?
Nous récupérons les eaux de vallons, notamment le vallon de la Rousse, pour en faire de l’eau d’irrigation, de l’eau d’arrosage de voirie, et de l’eau d’alimentation de tous les espaces verts du Larvotto. Cela permet de mobiliser une ressource en eau alternative, d’utiliser un traitement sommaire, et d’en faire très facilement une eau utilisable pour laver les rues de la principauté. La SMA a fait des efforts considérables pour limiter au maximum la demande en eau potable pour remplir ses missions.
A un moment donné, il y aura une limite à l’adaptation humaine face à la sécheresse ?
Si on arrivait à des situations extrêmes, et que notre contexte se rapproche de pays qui n’ont plus d’eau, comme les Emirats arabes unis ou le Qatar, il n’y aura plus d’autre solution que d’utiliser massivement de l’énergie pour dessaler l’eau de mer. Mais engager cette solution, c’est agir au détriment de l’environnement. La désalinisation de l’eau de mer suppose une montée en pression comprise entre 50 et 80 bars, ainsi que le rejet de salines qui polluent et qui tuent tout sur leur passage. Dans les marais salants, il y a une vie, mais ce n’est pas du tout la vie marine que l’on retrouve habituellement dans l’eau de mer. Pour fabriquer 100 m3 d’eau douce, il faut quasiment pomper 250 m3 d’eau de mer, et rejeter autant de salines. Ce n’est pas du tout une solution “eco-friendly” [respectueuse de l’environnement — NDLR]. Voilà pourquoi j’ai proposé au gouvernement monégasque de réfléchir et de regarder davantage du côté des eaux usées traitées.
Aujourd’hui, nous sommes capables de réaliser un traitement pointu et poussé grâce à notre usine d’épuration. De plus, il s’agit de traiter de l’eau douce. Cela suppose d’utiliser des pressions beaucoup plus faibles. C’est donc une solution à ne pas négliger, qui rejoindrait l’économie durable, car elle est infiniment moins polluante que le dessalement de l’eau, et beaucoup moins gourmande en énergie. En tout cas, si l’eau ne vient plus du ciel, il faudra bien trouver d’autres solutions.

Les Alpes-Maritimes ont été le premier département à être placé au stade de vigilance, le 9 mars 2023 : Monaco est aussi concerné ?
La vigilance ou les différentes alertes liées à la sécheresse sont des plans français qui relèvent de la préfecture des Alpes-Maritimes. Cela fait l’objet d’arrêtés préfectoraux qui, évidemment, n’ont pas lieu d’être en principauté. Pour autant, face à ces épisodes de sécheresse intenses, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de coercition qu’il ne se passe rien à Monaco. En 2021, il avait été décidé avec l’Etat monégasque d’un plan de communication destiné au grand public pour rappeler que l’eau est une ressource précieuse, que l’on ne sait pas en fabriquer, et qu’elle se raréfie. Il faut donc la protéger et ne pas la gaspiller. Pendant l’été 2022, j’ai contacté, et rencontré, tous les grands acteurs et consommateurs d’eau de la principauté, pour leur tenir un discours de responsabilité. Car, selon les manettes qu’ils actionnent, ils peuvent avoir un impact significatif sur les besoins en eau de la principauté en période tendue, donc en juin, juillet, août, et septembre. C’est la période des grosses chaleurs, pendant laquelle l’eau se fait rare, et qui correspond à une hausse de la fréquentation touristique. Donc tous les éléments sont combinés pour avoir, éventuellement, une situation un peu délicate. A cette occasion, j’avais notamment rencontré le directeur de la SMA, de la DAU, les dirigeants de la SBM, de la SEPM…
Avec quels résultats ?
Pendant l’été 2022, nous avons constaté une cassure très nette du volume d’eau distribué chaque jour. Nous avons économisé autour de 1 500 m3 par jour. Sachant qu’en période de pointe, Monaco consomme environ 16 000 m3 d’eau par jour. Nous avons donc enregistré un impact de près de 10 % par jour.
Vous allez renouveler cette opération ?
Oui. Je vais à nouveau inciter tout le monde à faire des efforts pour sauvegarder l’eau.
Dans les Alpes-Maritimes, des restrictions d’eau ont été appliquées jusqu’au 15 décembre 2022 : pourquoi pas à Monaco ?
En principauté, il y a une très forte influence saisonnière. D’une consommation de 16 000 m3 d’eau par jour en été, on passe à 9 000 – 10 000 m3 pendant l’hiver. Pour la consommation d’eau, la haute saison commence fin mai, après le Grand Prix de Monaco. A partir de la rentrée des classes, en septembre, la baisse de consommation d’eau s’amorce. Les besoins instantanés deviennent alors plus faibles, ce qui ne signifie pas pour autant que les ressources en eau ont été reconstituées.
Le 7 mars 2023, le préfet des Alpes-Maritimes a réuni le premier comité sécheresse de l’année 2023 : Monaco participe ?
J’ai participé à ce premier comité sécheresse de l’année 2023, en compagnie du préfet des Alpes-Maritimes. Ce comité est très large, puisqu’il regroupe des directeurs de régies d’eau, des élus, Météo France, EDF, les agriculteurs, la fédération de pêche… Monaco était présent en tant qu’invité, tout comme j’ai été convié à toutes les réunions de crise qui ont eu lieu pendant l’été 2022. Comme nous ne sommes pas français, nous n’avons pas notre mot à dire. Suite à cette réunion, il a été décidé d’aller au-delà du stade de la vigilance, pour entrer immédiatement au stade de l’alerte sécheresse. Les agriculteurs auraient même souhaité que l’on aille plus loin, pour avoir l’espoir de préserver davantage d’eau pour leurs cultures. Ils ont rappelé que les Alpes-Maritimes ne sont pas un grand département agricole, puisque la consommation d’eau annuelle des agriculteurs représente seulement 3 % des besoins du département.
« Le dessalement de l’eau de mer présente de gros inconvénients. C’est très énergivore, donc cela rejoint un autre problème, qui est celui de l’énergie. Et pour l’environnement ce n’est pas bon, car on rejette des saumures »
Le printemps et les beaux jours arrivent, et on ne voit toujours pas de pluie arriver : à quoi vous attendez-vous pour les semaines et les mois à venir ?
Lors de la réunion du 7 mars 2023 à la préfecture, Météo France a dressé un panorama de la situation. Ils ont expliqué qu’il n’y avait aucun espoir que l’on ait des pluies, car nous sommes protégés par un effet de foehn. Résultat, les pluies sont pour les autres, et pas pour nous. Cela va nous amener quasiment à la fin du mois de mars 2023. Or, météorologiquement parlant, la période de recharge des nappes phréatiques, comprise entre septembre et mars, sera finie. Même s’il pleut ensuite, la végétation se réveille, donc les plantes se serviront en eau en premier. Comme elles savent que les pluies peuvent être rares, les plantes méditerranéennes ont une propension à capter assez fortement la pluie. Tout cela va très probablement nous conduire vers un déficit assez fort pour la recharge des nappes phréatiques. D’ailleurs, la préfecture des Alpes-Maritimes nous a donné rendez-vous dans quatre ou cinq semaines pour probablement passer en alerte sécheresse renforcée.
Peut-on faire un parallèle entre la crise de l’énergie et la crise de l’eau ?
Le monde de l’énergie implique que la ressource énergétique soit en permanence en égalité avec la demande. Il n’y a pas de stockage d’énergie possible, donc ils doivent en permanence avoir la ressource disponible au moment où le besoin s’en fait sentir. De plus, selon les températures constatées, la consommation peut augmenter très fortement. Un écart d’un degré par rapport à la normale, cela se traduit par des mégawatts supplémentaires, qui sont appelés par les usagers. Le secteur de l’énergie dispose donc de modèles qui leur permettent d’imaginer ce que sera la consommation, dans trois ou quatre jours. Dans le monde de l’eau, c’est différent.
C’est-à-dire ?
Dans le secteur de l’eau, nous avons une pompe n° 1. Si elle ne fonctionne pas, nous avons une pompe n° 2 qui prend le relais. Et ainsi de suite. Cela suppose d’avoir toujours suffisamment d’eau. Comme il y a des tensions, notamment sur la Roya, et que chacun est un peu juste au niveau de ses propres besoins, cela rend les remplissages de réservoirs plus compliqués. Donc, si en plus de cette couche de fond qui fragilise le niveau de sécurité, nous avons une casse importante sur l’une des artères principales qui irrigue Monaco, ou Nice, ou Menton, on plongera probablement vers une situation de crise quasi-immédiate, en quelques heures. Nous avons à peu près une journée de stockage de consommation d’eau devant nous. Cela nous ferait alors sans doute prendre des mesures de délestages, pour privilégier les établissements prioritaires, comme, par exemple, les établissements hospitaliers. En tout cas, je suis incapable de dire que d’ici trois jours, il n’y aura aucune possibilité de manque d’eau.
Sécheresse — Alpes-Maritimes : quelles restrictions ?
Le 9 mars 2022, le préfet des Alpes-Maritimes, Bernard Gonzalez, a placé son département en vigilance sécheresse. C’était alors le premier département français à déclencher ce stade de vigilance. Des restrictions d’eau ont donc été appliquées jusqu’au 15 décembre 2022. Un an après cette décision, c’est directement en alerte sécheresse qu’ont été placées les Alpes-Maritimes, et cela au moins jusqu’au 30 avril 2023. Il faut dire que la situation est tendue. Alors que pendant une année considérée comme « normale », il tombe 690 mm de pluies, depuis le 1er septembre 2022, il est seulement tombé 378 mm sur le territoire des Alpes-Maritimes. Résultats, les cours d’eau sont au plus bas, de la Roya, en passant par le Var, l’Artuby, ou l’Estéron. Si l’année 2022 est, à ce jour, l’année la plus chaude enregistrée dans les Alpes-Maritimes, c’est aussi une année très sèche. Il n’y a qu’en 2007 et en 2017 qu’il y a eu moins de pluies. L’hiver 2021-2022 est en effet le second hiver le moins arrosé depuis 1959 et la mise en place des premières stations de mesures météorologiques, soit 64 ans. Le manque de pluie flirte avec les 50 % pour la période qui va de septembre à mars, qui est habituellement propice à la recharge en eau des nappes phréatiques. En montagne, ce n’est pas mieux. Alors que pendant une année moyenne, les montagnes des Alpes-Maritimes reçoivent environ 115 mm d’équivalent en eau sous la forme de flocons de neige, au 1er mars 2023, le cumul n’était que de 40 mm. « Le manteau neigeux est déficitaire d’environ 60 % par rapport à la moyenne sur le département », indique la préfecture des Alpes-Maritimes dans un communiqué publié le 13 mars 2023. Autant de chiffres qui expliquent pourquoi le préfet a décidé d’activer le niveau d’alerte sécheresse. Ce niveau d’alerte se situe sur le niveau 2, sur une échelle de 4. Désormais, une série d’interdictions s’appliquent dans les Alpes-Maritimes.
Au moins jusqu’au 30 avril 2023, il est notamment défendu :
• d’arroser en journée pour les agriculteurs, les villes et les particuliers. L’arrosage sera uniquement permis entre 20 heures et 7 heures.
• de laver sa voiture chez soi. Seule possibilité tolérée : le lavage dans un centre spécialisé qui recycle l’eau.
• de laver son bateau.
• de nettoyer la chaussée. Les chaussées devront être lavées uniquement à l’aide d’une eau de recyclage.
• pour les entreprises, d’arroser leurs jardins en journée.
• de remplir les piscines privées, sauf s’il s’agit du premier remplissage d’une piscine neuve, « à condition que le chantier ait démarré avant le déclenchement des premiers stades de restriction d’eau », précise la préfecture. La mise à niveau en eau des piscines privées reste autorisée.
• Alors que Monaco Hebdo bouclait ce numéro le 14 mars 2023, aucune restriction n’avait été signifiée pour les piscines publiques. Ces restrictions ne s’appliquent pas aux usages prioritaires liés à la santé, à la salubrité, et à la sécurité civile.
Des contrôles auront lieu, et des sanctions administratives ou judiciaires peuvent être décidées. Les contrevenants s’exposent à une contravention de 1 500 euros pour une personne physique, ou de 6 000 euros pour une personne morale. Dans ce même communiqué de presse, le préfet des Alpes-Maritimes, Bernard Gonzalez, demande aux maralpins d’avoir un usage « responsable de la ressource en eau », afin d’éviter un « durcissement des mesures de restrictions de l’usage de l’eau ».
1) Cette interview a été réalisée le 8 mars 2023, quelques jours avant la rupture d’une canalisation de 300 millimètres de diamètre, dans le quartier de la Condamine. Le 13 mars 2023, plusieurs centaines de m3 d’eau potable se sont écoulés pendant environ 30 minutes le long du boulevard Albert Ier, jusqu’au bout de la rue princesse Caroline. Plusieurs niveaux du parking de la Condamine ont été inondés. Suite à cet incident, les résidents de la maison de retraite A Qietüdine et les riverains du côté impair de la rue Saige ont été privés d’eau. Des bouteilles d’eau ont été distribuées, et l’eau potable devait être rétablie en début de soirée, le 13 mars 2023.