vendredi 19 avril 2024
AccueilPolitiqueCovid-19 — Didier Gamerdinger : « Il a fallu quasiment tout inventer en...

Covid-19 — Didier Gamerdinger : « Il a fallu quasiment tout inventer en quinze jours, et ensuite tenir dans la durée »

Publié le

Didier Gamerdinger a dirigé pendant cinq années le département des affaires sociales et de la santé, avant d’être remplacé par Christophe Robino en avril 2022. De son passage sur les bancs du gouvernement, l’ancien conseiller-ministre garde en mémoire de nombreuses réalisations, notamment la gestion d’une crise sanitaire inédite.

Il a quitté le gouvernement le 20 avril 2022, remplacé par l’ancien conseiller national Christophe Robino. Mais son départ n’a pas été une surprise totale. En effet, depuis de longs mois, des rumeurs insistantes le laissaient entendre : l’élu de la majorité Priorité Monaco (Primo !) était pressenti pour rejoindre le gouvernement de Pierre Dartout. De son côté, l’ancien conseiller-ministre laisse derrière lui un bilan très honorable.

« Au cœur du réacteur »

Tour à tour directeur général du département de l’intérieur, puis conseiller au cabinet du prince, Didier Gamerdinger avait rejoint les rangs du gouvernement en 2017 pour succéder à Stéphane Valeri aux affaires sociales et à la santé. « Au cœur du réacteur », comme il aime à le dire, ce haut-fonctionnaire aura vécu cinq années particulièrement éprouvantes, marquées par une crise sanitaire sans précédent. « Cette fonction [de conseiller-ministre — NDLR] est déjà, par nature, extrêmement difficile. Mais le fait qu’il y ait eu à prendre en compte cette pandémie de Covid-19 tout à fait nouvelle… Il a fallu quasiment tout inventer en quinze jours, et ensuite tenir dans la durée », confie Didier Gamerdinger. En parallèle, l’ancien conseiller-ministre aura aussi mené des dossiers importants pour la principauté sur le plan social. Et si certains auront emporté une large adhésion, d’autres comme la loi sur l’aménagement du temps de travail auront été plus impopulaires dans l’opinion. Mais qu’importe les désaccords, Didier Gamerdinger en sort, malgré tout, grandi, estime-t-il : « Cette expérience m’a permis d’entrer en contact avec des interlocuteurs que je ne connaissais pas ou peu, notamment du monde du travail. J’ai eu beaucoup de plaisir à les rencontrer, parce que c’est une vision et des états d’esprit différents, souligne-t-il. Les employeurs doivent faire marcher l’entreprise, ils doivent aller de l’avant, trouver des marchés, des clients… Les salariés, eux, sont fiers de contribuer à l’entreprise, mais soucieux aussi d’être traités convenablement. Mon rôle, c’était de les accompagner au dialogue social, et de faire en sorte qu’ils trouvent des terrains de convergence ». À l’issue de ces cinq années d’exercice, l’ancien conseiller-ministre se dit « heureux et fier d’avoir participé à l’action gouvernementale ». Il garde en mémoire de nombreuses réalisations rappelant avoir déposé quinze projets de loi sur le bureau du Conseil national. « Mais ce qui a été réalisé n’est pas seulement de mon propre fait. C’était une action gouvernementale. Il y avait l’impulsion du prince, et de toute une équipe. Chacun y a contribué », ajoute-t-il.

« Cette fonction [de conseiller-ministre — NDLR] est déjà, par nature, extrêmement difficile. Mais le fait qu’il y ait eu à prendre en compte cette pandémie de Covid-19 tout à fait nouvelle… il a fallu quasiment tout inventer en quinze jours, et ensuite tenir dans la durée »

Quinze projets de loi déposés

Parmi ses réalisations majeures, Didier Gamerdinger retient, pêle-mêle, l’ouverture des commerces le dimanche, le revenu minimum pour les Monégasques, la charte sur l’égalité de l’homme et de la femme au travail, ou encore la dépénalisation de l’IVG votée en octobre 2019, et qui permet désormais aux femmes de la principauté de se faire avorter à l’étranger, sans tomber sous le coup de la loi monégasque. Si tous ces textes ont été adoptés à l’unanimité, d’autres sont toujours à l’étude. C’est le cas, par exemple, du projet de loi n° 980 relatif à la réglementation du travail de nuit, « un beau texte qui concerne pratiquement 10 000 salariés », ou encore du projet de loi n° 1007 sur la fin de vie, qui lui tient particulièrement à cœur. « J’en suis très fier, parce que c’est une façon, pour nous, de montrer que nous sommes lucides par rapport à la fin de vie. Nous sommes soucieux de mettre le patient au centre de la réflexion, de ne pas laisser le médecin seul avec son patient dans un dialogue positif, et de faire en sorte que le patient soit entendu sans aller jusqu’au débat que connaissent d’autres pays sur la fin de vie volontaire. L’idée, c’est d’accompagner décemment, humainement, et sans souffrance, une fin de vie », explique Didier Gamerdinger. L’ex-ministre n’oublie pas, non plus, son action en faveur des personnes en situation de handicap avec, comme mesure phare, l’ouverture d’un centre d’accueil de jour pour enfants et adolescents à Beausoleil. « C’est une fierté, car il va permettre d’accompagner des personnes qui sont en difficulté. Je suis très content aussi que l’opération Ida comporte, avec les livraisons prochaines, une dizaine d’appartements pour des personnes handicapées suivies par l’Association Monégasque pour l’Aide et la Protection de l’Enfance Inadaptée (AMAPEI) ». L’ancien conseiller de gouvernement-ministre aux affaires sociales et à la santé a aussi grandement contribué à la mise en œuvre du portail Monaco Santé et des plans nationaux « Accompagnement du vieillissement et prise en charge de la dépendance » et « Équilibre psychologique et bien-être », qui sont venus renforcer la politique sociale du pays, et que Didier Gamerdinger aurait bien aimé compléter d’un plan « Santé sexuelle et santé reproductive ». « Le travail était bien avancé, mais je n’ai pu lancer la concertation, faute de temps », regrette-t-il. D’autres projets devraient voir le jour sans lui, comme la réforme des lois sur les syndicats, sur laquelle il planchait depuis quelque temps : « Les textes datent de 1944. Je pense qu’il faut les toiletter. Nous avions pas mal avancé avec les syndicats sur ce sujet. Nous avons fait les deux tiers du travail, mais je n’ai pas pu finir. C’est dommage. J’aurais bien aimé aussi achever le processus d’égalité totale de la femme et de l’homme dans l’ouverture des droits à prestations familiales et sociales. Je l’ai fait pour les fonctionnaires et les travailleurs indépendants qui n’avaient pas de régime d’allocations familiales. Il reste maintenant à faire le même travail pour les salariés du privé. Des discussions étaient en cours avec la Sécurité sociale française. Ce sont des dossiers qui étaient en cours, et que je n’ai pas pu mener à bien. Ce sont des petits regrets, car cela concerne la vie concrète des personnes qui résident ou qui travaillent à Monaco ».

« [À propos de la pandémie de Covid-19] Ce qui a été objectivement extrêmement difficile, c’était le fait que le phénomène soit tout à fait inconnu et imprévisible. Il peut y avoir des soucis de santé graves, mais vous pouvez les anticiper. Là, c’était pratiquement sans aucun préavis »

En première ligne face au Covid-19

Ces projets, Didier Gamerdinger aurait sans doute pu les mener à leur terme si la pandémie de Covid-19 n’était pas passée par là. Car pendant deux années, l’ancien conseiller de gouvernement-ministre aura été en première ligne face à la crise sanitaire. « Ce qui a été objectivement extrêmement difficile, c’était le fait que le phénomène soit tout à fait inconnu et imprévisible. Il peut y avoir des soucis de santé graves, mais vous pouvez les anticiper. Là, c’était pratiquement sans aucun préavis, raconte Didier Gamerdinger. Je dis « quasiment », car il y avait quand même quelques signes avant-coureurs. En novembre et décembre 2019, nous savions qu’il se passait quelque chose en Chine. Et je me souviens très bien, j’ai fait la première réunion de coordination avec les pompiers, l’action sanitaire et l’hôpital le 28 janvier 2020 et à l’époque, nous avions travaillé sur la prise en charge des personnes suspectées d’être infectées. Nous avons fait le premier communiqué de presse sur le Covid le 30 janvier dans le désintérêt le plus total. Un mois plus tard, Serge Telle [alors ministre d’État — NDLR], fait sa cérémonie de présentation des vœux à la presse. Deux fois, il demande des questions sur le coronavirus mais il n’y en a eu aucune parce que jamais nous aurions pensé que ça allait venir jusqu’à chez nous ». La soudaineté et l’imprévisibilité de cette pandémie ont contraint les autorités à agir dans l’urgence en mettant sur pied des systèmes de prise en charge, de soins, d’accompagnement et de suivi des patients totalement inédits. « Les atouts, c’est que la principauté est un petit pays très réactif. Il y a donc eu une capacité de mobilisation incontestable de nombreux acteurs qui ont apporté chacun leur savoir-faire ». Pour autant, l’ex-ministre de la santé refuse de parler de bilan positif : « C’est difficile de dire que le bilan est positif dans la mesure où des personnes sont décédées pendant cette crise sanitaire majeure. Dire que le bilan est positif, ce serait fanfaronner, or il n’y a pas matière à. Je dis simplement, avec humilité, que la principauté a su sauvegarder ses populations résidentes et salariées, c’est-à-dire éviter qu’il y ait un choc économique faisant suite à un choc sanitaire. Et la protection de ces populations ne s’est pas trop mal passée. D’ailleurs, les témoignages sont plutôt positifs ». À l’instar de son homologue français, Olivier Véran, l’ancien ministre affiche tout de même quelques regrets comme la gestion du confinement qui aurait, selon lui, peut-être pu être moins stricte : « Je pense qu’il n’était pas forcément indispensable qu’il y ait le premier confinement, en tout cas pas tout de suite et pas tout le monde. Même s’il [le confinement] était inéluctable compte tenu de notre connexité avec les territoires voisins, italiens et français », estime Didier Gamerdinger, qui regrette par ailleurs « l’absence de coordination dans les mesures mises en œuvre par les États d’Europe occidentale ». Parmi les points positifs, l’ex-ministre de la santé monégasque retient aussi la bonne conduite de la vaccination qui a pu être anticipée grâce à l’achat de congélateurs : « Quand les premiers vaccins Pfizer sont arrivés, il fallait les conserver à moins 60 degrés. Comme nous étions équipés, nous avons pu vacciner massivement les plus fragiles. Nous avons eu, de ce fait, énormément d’avance ». Le suivi des patients à domicile, les équipes mobiles Croix-Rouge-médecin, la réactivité du Centre hospitalier princesse Grace (CHPG) « qui a doublé sa capacité en très peu de temps », sont autant d’éléments qui auront permis, à ses yeux, à la principauté de maîtriser la propagation de l’épidémie : « Mais il ne faut pas fanfaronner », tempère-t-il.

« Dire que le bilan est positif, ce serait fanfaronner, or il n’y a pas matière à. Je dis simplement, avec humilité, que la principauté a su sauvegarder ses populations résidentes et salariées, c’est-à-dire éviter qu’il y ait un choc économique faisant suite à un choc sanitaire »

« La page est tournée »

Il n’empêche, cette gestion a valu à Monaco d’être récompensé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au printemps 2022. Après avoir désigné 2021 comme étant l’« année internationale des travailleurs de la santé et des soins », l’OMS Europe a en effet décidé de remettre un trophée à tous ses pays membres, afin de rendre hommage aux professionnels engagés depuis deux ans dans une lutte sans merci contre le coronavirus. Un prix que Didier Gamerdinger a symboliquement souhaité remettre au centre hospitalier princesse Grace (CHPG) : « L’hôpital est emblématique de l’action conduite à l’égard du Covid et de la politique sanitaire de la principauté. Même s’il n’a pas été le seul, puisque plusieurs interlocuteurs à Monaco ont porté cette politique de santé publique : la médecine de ville, les infirmiers de ville, la Croix-Rouge monégasque, les administratifs du centre de suivi, des centres de tests, le centre cardiothoracique, l’Institut monégasque de médecine et de chirurgie du sport (IM2S)… ». Ce trophée a officiellement été présenté le 10 juin 2022 au cours d’une cérémonie organisée au CHPG en présence de la directrice de l’établissement Benoîte de Sevelinges et du nouveau conseiller-ministre aux affaires sociales et à la santé, Christophe Robino. Mais sans Didier Gamerdinger, pourtant en première ligne dans cette crise : « Je n’ai pas été invité. Mais je ne sais pas qui aurait dû me convier : est-ce que c’était à l’hôpital ou au gouvernement ? », se demande l’ex-ministre, sans vouloir créer de polémique. « J’avais déjà quitté mes fonctions, c’est toujours difficile de revenir après. Je pense que ça aurait été évident pour personne à vrai dire. Après, je garde de très, très bons contacts dans le milieu syndical par exemple. Donc, ça veut dire que ça s’est plutôt bien passé avec les syndicats ».

« Il faut que les dossiers qui m’ont tenu à cœur aillent à leur terme. Même si ce n’est pas moi qui les porte. Et pour qu’ils aillent à leur terme, il faut que mon successeur soit dans les meilleures conditions possibles »

L’absence d’hommage à son égard lors de cette cérémonie en a tout de même surpris plus d’un, mais Didier Gamerdinger n’en a cure : « Je n’ai pas eu accès aux discours, donc je ne sais pas. La page est tournée », insiste-t-il, avant de revenir sur la passation de pouvoir avec son successeur. « Elle s’est très bien passée, parce que je connais Christophe Robino depuis longtemps. J’avais des relations constantes avec lui lorsqu’il était président de la commission des intérêts sociaux du Conseil national. […] Il n’y a pas eu de difficulté. J’ai totalement joué le jeu, je l’ai rencontré à plusieurs reprises, et je lui ai donné tous les éléments lui permettant d’assurer la suite sans heurts et sans accroc », témoigne Didier Gamerdinger. Et d’ajouter : « J’ai toujours prôné l’efficacité administrative, donc après moi, ce n’est pas le déluge. Après moi, il faut que les dossiers qui m’ont tenu à cœur aillent à leur terme. Même si ce n’est pas moi qui les porte. Et pour qu’ils aillent à leur terme, il faut que mon successeur soit dans les meilleures conditions possibles ». Désormais pleinement investi dans ses nouvelles fonctions d’ambassadeur de la principauté au Japon et en Inde [à ce sujet, lire son interview publiée dans ce numéro — NDLR], Didier Gamerdinger vogue, lui, vers de nouveaux horizons, avec toujours la même envie de servir son pays.