vendredi 26 avril 2024
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Passe sanitaire : comment les fraudeurs s’organisent

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Confrontés à l’obligation de disposer d’un passe sanitaire pour accéder à certains lieux accueillant du public, pour voyager, ou même pour travailler concernant certaines professions, les plus récalcitrants fraudent. Alors que de faux documents sont vendus sur plusieurs réseaux sociaux, le nombre d’enquêtes grimpe en flèche.

Il fallait s’y attendre. Depuis que l’étau se resserre autour des opposants à la vaccination, la riposte s’organise. L’obligation de présenter, depuis le 23 août 2021, un passe sanitaire pour accéder à certains lieux accueillant du public en principauté, et bientôt pour pouvoir continuer à exercer les métiers liés à la santé [à ce sujet lire notre édito Obligation, publié dans Monaco Hebdo n° 1209 et notre article d’ouverture de ce dossier — NDLR] à partir du 30 octobre 2021, ne fait qu’accentuer ce sentiment de pression. Fait extrêmement rare en principauté, en dix jours, entre le 4 septembre et le 14 septembre 2021, jour où le texte de loi rendant la vaccination obligatoire pour les métiers de santé a été voté au Conseil national, quatre manifestations ont eu lieu. La première de ces manifestations anti-passe sanitaire a réuni 800 personnes selon la sûreté publique, et 1 200 selon les organisateurs. Dans un tel contexte, et même si une large majorité de Monégasques et de résidents soutiennent l’idée d’un passe sanitaire, certains opposants restent déterminés à refuser la vaccination contre le Covid-19. Pour y échapper et passer sous les radars, ils se tournent vers diverses alternatives.

Les possibilités pour contourner cette obligation ne manquent pas. À commencer par de faux certificats facturés entre 200 et 500 euros sur Internet

Prison

Les possibilités pour contourner cette obligation ne manquent pas. À commencer par de faux certificats, facturés entre 200 et 500 euros sur Internet, sur les réseaux sociaux. Pour cette somme, le QR code d’un vrai passe sanitaire est copié, et le faussaire y ajoute les informations personnelles de l’acheteur. En France, certains vendeurs affirment avoir des contacts à la Sécurité sociale, leur permettant ainsi d’enregistrer qui ils souhaitent sur le compte Ameli. Autre solution : le piratage des identifiants de médecins pour émettre ensuite des faux certificats. À Marseille, en août 2020, nos confrères de La Provence ont ainsi évoqué le cas d’un chirurgien qui s’est aperçu de connexions suspectes sur son compte Ameli. Avant de s’apercevoir qu’environ 200 passes sanitaires auraient été générés en son nom. Enfin, le 17 juillet 2021, Le Parisien / Aujourd’hui en France a publié une enquête édifiante, dans laquelle un journaliste a obtenu un passe sanitaire dans un centre Covid de la banlieue nord de Paris contre 300 euros. Après un premier contact sur WhatsApp, ce journaliste a pris rendez-vous sur la plateforme Doctolib. Une infirmière l’a reçu et, sans lui faire la moindre injection, lui a posé une compresse sur le bras. Puis, elle a rempli la feuille de soins, qui permet ensuite d’obtenir un passe sanitaire. Une certitude, en France, les affaires de ce genre se multiplient. Un autre réseau a été démantelé en juillet 2021. Un groupe qui vendait de faux passes sanitaires a été arrêté par la police les 12 et 13 juillet 2021. Il proposait ces documents à des tarifs compris entre 350 et 500 euros, essentiellement dans la région de Lyon, des Yvelines et du Val-de-Marne. Les passes sanitaires étaient parfaitement valides, puisqu’ils étaient réalisés par une agente administrative d’un centre de vaccination. Ils se vendaient assez facilement, puisque les services de police ont pu retrouver environ 400 clients. Et ce n’est pas fini, puisque d’autres enquêtes sont actuellement en cours. En France, ce genre de trafic est puni de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende pour fabrication ou usage de faux. Quant aux acheteurs, ils risquent, théoriquement, jusqu’à un an de prison et une forte amende. À Monaco, il n’existe pas d’incrimination spécifique sanctionnant la fabrication et l’usage de faux passes sanitaires. Du coup, le droit commun pourrait s’appliquer. L’article 97 du code pénal qui sanctionne la délivrance et l’usage de faux administratifs prévoit une peine d’un à cinq ans de prison et une amende de 9 000 à 18 000 euros. De leur côté, les acheteurs pourraient être punis sur la même base. En tout cas, le risque de voir beaucoup de fraudeurs échapper aux sanctions est grand, car pour que le dispositif soit totalement étanche, la lutte supposerait une très forte intensification des contrôles. Or, les employés et les gérants des lieux publics où le passe sanitaire est obligatoire se contentent de scanner le QR Code présent sur le passe sanitaire : en effet, ils ne sont pas autorisés à vérifier l’identité des personnes contrôlées. Seule la sûreté publique peut vérifier l’identité des porteurs de passes sanitaires. Du coup, l’absence de contrôle des cartes d’identité à l’entrée des lieux accueillant du public laisse la possibilité aux personnes récalcitrantes d’utiliser le passe sanitaire d’un proche. En revanche, les professions concernées par la vaccination obligatoire restent potentiellement plus sensibles à l’achat d’un faux passe sanitaire, quitte à le payer plusieurs centaines d’euros.

L’impossibilité de chiffrer avec précision le nombre de fraudeurs crée une zone grise qui ne permet plus d’avoir une photographie exacte de la vaccination en principauté. Du coup, il devient moins évident d’adopter la politique sanitaire la plus juste, avec des statistiques en partie tronquées

Zone grise

Mais, au-delà des poursuites judiciaires, d’autres difficultés peuvent venir s’ajouter pour les acheteurs de faux passes sanitaires. Par exemple, si le fraudeur change d’avis et qu’il désire finalement se faire vacciner, il ne pourra pas le faire, puisqu’il sera faussement déclaré comme vacciné dans les bases de données. Seule solution pour lui : se dénoncer. Quant à ceux qui ne changent pas d’avis, et qui attendent impatiemment leur faux passe sanitaire, rien ne garantit qu’ils obtiendront satisfaction. En effet, il n’y a aucune certitude que le document acheté ne fonctionne. Pire, l’acheteur n’est même pas sûr de recevoir quoi que ce soit. Et, bien évidemment, impossible de se retourner contre le vendeur, puisque l’anonymat est de mise, avec des paiements réalisés en cryptomonnaies sur Internet. Dans cette grande nébuleuse que forment les vendeurs et les acheteurs de faux passes, impossible de connaître avec précision le nombre de fraudeurs, que ce soit à Monaco ou en France. Toutefois, du côté français, on évoque l’hypothèse qu’ils seraient plusieurs dizaines de milliers, et peut-être même davantage encore. En principauté, aucun chiffre fiable ne circule. Une certitude, ces multiples trafics entraînent une série de difficultés. En effet, l’impossibilité de chiffrer avec précision le nombre de fraudeurs crée une zone grise qui ne permet plus d’avoir une photographie exacte de la vaccination en principauté. Du coup, il devient moins évident d’adopter la politique sanitaire la plus juste, avec des statistiques en partie tronquées. Cela pose aussi une problématique de santé publique, avec une absence de protection contre le Covid-19 pour une partie de la population qui habite, ou qui travaille, en principauté. Ces multiples trafics posent donc de réelles questions, à l’heure où les pouvoirs publics cherchent à convaincre, encore et toujours, à propos de la nécessité de la vaccination.