mercredi 24 avril 2024
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Annabelle Jaeger-Seydoux : « La sobriété numérique n’est pas antinomique avec la principauté »

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Annabelle Jaeger-Seydoux est directrice de la Mission pour la transition énergétique (MTE), créée en 2016. Questionnée sur la possibilité d’une transition numérique et écologique conjointe, elle évoque pour Monaco Hebdo le sujet du mix énergétique, l’avancement de la transition, et les bénéfices du numérique pour l’environnement. Tour d’horizon de l’énergie et du numérique en principauté, à la recherche de la neutralité carbone.

Quel est le mix énergétique monégasque aujourd’hui ?

On a à peu près 15 % de notre énergie qui est produite localement avec les énergies renouvelables, principalement la thalassothermie, et un peu le solaire. Tout le reste est importé, et donc provient du mix énergétique français.

Il est donc en grande partie nucléaire ?

Oui, bien sûr, c’est le même que le français. Après, c’est ce qu’avait expliqué la conseillère-ministre pour l’équipement, l’environnement et l’urbanisme, Marie-Pierre Gramaglia, c’est qu’on a décidé de se lancer dans une démarche parallèle, mais qui ne va pas modifier le mix énergétique français. Par contre, théoriquement, cette démarche va modifier l’origine de notre énergie. Il y a deux ans, on a créé une “joint-venture” [une coentreprise – N.D.L.R.] entre l’État et la Société monégasque d’électricité et de gaz (Smeg), qui s’appelle Monaco Énergies Renouvelables, dont l’objectif est d’investir, voire de développer des projets d’énergies renouvelables en France. On a déjà investi dans des centrales solaires. On cherche à développer l’éolien, le solaire, etc. Pour que, théoriquement, ce qu’on consomme en France provienne d’énergies renouvelables. Il n’y aura pas un tuyau direct qui partira jusque chez nous. Mais avec les fermes qu’on a achetées, on couvre déjà à peu près 9 % de la consommation électrique à Monaco.

« Il y a deux ans, on a créé une “joint-venture” [une coentreprise – N.D.L.R.] entre l’État et la Société monégasque d’électricité et de gaz (Smeg), qui s’appelle Monaco Énergies Renouvelables, dont l’objectif est d’investir, voire de développer des projets d’énergies renouvelables en France. On a déjà investi dans des centrales solaires»

Annabelle Jaeger-Seydoux. Directrice de la Mission pour la transition énergétique (MTE)

Il y en a à Levens ?

A Levens, c’est un projet de développement en partenariat avec la mairie de Levens. Mais les projets de développement en France sont très longs, avec toutes les prises en compte de contraintes environnementales et les procédures administratives.

Qu’ont à gagner les villes qui accueillent ces projets ?

L’énergie est à leur profit, elles sont les premières qui vont en bénéficier localement. D’ailleurs, on pousse fortement pour ce type de projet, à Levens ou ailleurs. Ou même pour des projets participatifs pour les citoyens.

Dans ce cas-là, quel est l’intérêt pour Monaco ?

On dépend d’une énergie qui vient d’ailleurs, donc…

C’est pour rajouter du « renouvelable » dans le mix français, puisque Monaco l’utilise ?

Exactement. C’est une construction intellectuelle.

Donc pas de recherche d’autonomie énergétique ?

L’objectif, c’est la neutralité carbone en 2050. Après l’autonomie énergétique… On s’est donné pour objectif de participer à la transition énergétique française. Plutôt que d’acheter des certificats d’énergies vertes, ce qu’on fait déjà auprès d’EDF, on préfère aller plus loin et investir en France pour que la part d’énergie qu’on consomme en France soit produite de façon « verte ». Oui, c’est théorique et intellectuel, mais c’est mettre la main à la transition énergétique française. C’est plus impliquant que d’acheter des certificats.

Est-ce que vous considérez le nucléaire comme une énergie verte ?

Je considère le nucléaire comme une énergie qui n’émet pas de gaz à effet de serre. Je n’ai pas de jugement à apporter sur le mix énergétique français. Savoir si le nucléaire est bon ou mauvais c’est une chose, mais je suis totalement convaincue que c’est négatif avec l’impact des déchets. Tant qu’on ne saura pas traiter les déchets nucléaires, c’est une énergie qui n’est pas satisfaisante. C’est pour ça que j’adhère aux objectifs français pour faire évoluer son mix énergétique. Et donc faire baisser la part du nucléaire pour des énergies plus vertes encore. C’est comme ça que nous pouvons mettre la main à la pâte.

Sait-on remplacer par de l’éolien, du solaire ou autre chose ce que produit aujourd’hui le nucléaire ?

De la même façon qu’en France, il y a eu un moment, sous De Gaulle (1890-1970) et après, cette volonté politique de développer le nucléaire, il peut y avoir cette même volonté politique de développer les énergies renouvelables en France, en Europe et dans le monde. La semaine dernière, on avait une grande climatologue qui est venue en principauté, Corinne Le Quéré (lire Monaco Hebdo n° 1160), et qui est la présidente du Haut conseil pour le climat français, une instance créée par le gouvernement français pour “challenger” sa politique énergétique. Elle disait qu’en 2020 c’est la première fois que les énergies renouvelables en Inde surpassaient les énergies fossiles. Cette dynamique fait que le prix des énergies vertes diminue et devient de plus en plus compétitif. C’est là où va se faire la bascule. Cette bascule est en train de se faire.

© Photo Stephane Danna / Direction de la Communication

« Plutôt que d’acheter des certificats d’énergies vertes, ce qu’on fait déjà auprès d’EDF, on préfère aller plus loin et investir en France pour que la part d’énergie qu’on consomme en France soit produite de façon « verte ». Oui, c’est théorique et intellectuel, mais c’est mettre la main à la transition énergétique française. C’est plus impliquant que d’acheter des certificats»

Annabelle Jaeger-Seydoux. Directrice de la Mission pour la transition énergétique (MTE)

Mais même si cette bascule s’opère, il y a un certain nombre de questions vis-à-vis du photovoltaïque, et c’est pareil pour l’éolien, qui nécessite des métaux rares et tout un tas de composants pour le construire : n’y a-t-il pas un paradoxe dans le coût de production que représentent ces installations très « carbonées » ?

On rentre dans la discussion d’aujourd’hui : nouvelles technologies, numérique et climat font-ils bon ménage ? C’est vraiment la problématique de la transition numérique, comme de la transition énergétique. [Elle prend un livre sur son bureau de Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique (Les Liens Qui Libèrent), 296 pages, 20 euros (format « papier », 7,99 euros (format numérique Kindle) – N.D.L.R.]). Je vous invite à lire ce livre qui a été mon dernier livre de chevet et qui fait mal. En effet, on voit qu’on est totalement dépendant de ces métaux rares, qui sont par définition rares. Dès lors qu’on exploite des métaux rares, on est ensuite confronté à de gros dangers environnementaux.

Et politiques, puisque ces dangers ne sont pas dans nos pays ?

Et politiques. Les conclusions sont assez rapides à faire. Les Européens ont pris cette solution de facilité environnementale. On savait exploiter des métaux rares. En France, on a eu des carrières de métaux rares, des Pechiney [groupe de métallurgie français de 1950 à 2003 – N.D.L.R.] et autres qui étaient des fleurons de tout cela. Puis, très vite, ils ont été critiqués pour des questions environnementales. Du coup, on a délocalisé l’exploitation des métaux rares, et perdu une compétence complètement stratégique – on en revient ici au côté politique. C’est vrai que c’est une aberration. C’est facile à dire avec le recul. On voulait garder le savoir-faire technologique et délocaliser. Au final, on a perdu un peu sur tous les plans. L’exploitation ne se fait pas forcément dans des conditions meilleures ailleurs. C’est hallucinant de voir à quel point c’est dans les mains de la Chine et de quelques pays africains, ou d’autres pays très instables politiquement, qui se jouent maintenant de nous, puisqu’ils ont une maîtrise totale de ces marchés-là.

Dans une transition, n’est-ce pas inquiétant de ne pas savoir où l’on va, puisqu’il faut passer d’un état A à un état B ?

Oui, sauf qu’on sait que l’état A n’est pas le bon non plus. On sait à quel point il est néfaste pour l’environnement, qu’il n’est pas viable, et pas soutenable. Donc on ne peut pas s’en contenter. On est bien obligé de chercher autre chose. Effectivement, quand on cherche autre chose, on teste plein de choses, et on se rend compte que quasiment toutes ces nouvelles solutions ont aussi leur revers. C’est le message principal que je voudrais vous faire passer, et c’est le message du prince. Il a parfaitement conscience que la transition numérique doit être soutenable et exemplaire sur ces sujets-là. C’est pour cela qu’on travaille main dans la main avec Frédéric Genta [délégué interministériel à la transition numérique – N.D.L.R] pour avoir une analyse très fine de l’ensemble des impacts et du cycle de vie, qui est très complexe. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de la dématérialisation. Pendant des années on s’est dit la dématérialisation c’est génial, c’est moins de papier. Ça paraissait une solution évidente. Aujourd’hui, avant de faire une dématérialisation, à une grosse échelle, par exemple pour une administration, pour une entreprise qui va passer en téléprocédure, on est obligé de faire une étude fine et sérieuse de l’ensemble du cycle de vie des impacts.

« On a le devoir également de ne pas partir sur des idées reçues, du type « dématérialisation, énergies vertes, et télétravail, ça sera forcément positif ». Il faut calculer précisément l’impact carbone de nos solutions. On est en train de travailler ensemble sur un pacte sur le numérique »

Annabelle Jaeger-Seydoux. Directrice de la Mission pour la transition énergétique (MTE)


Une étude qui n’a pas été réalisée, pour l’instant ?

Non, car on était un peu convaincu que la dématérialisation aurait forcément un impact positif.

La tonne de papier a été largement mise en avant : en revanche, on ne nous a pas dit quel accroissement carbone pouvait représenter un pays entièrement numérisé ?

C’est vrai que ce ne sont pas des calculs que l’on a fait en amont. Donc ce sont des calculs que l’on souhaite faire maintenant, même si ce ne sera jamais un calcul 100 % exact. Je viens d’avoir un cabinet qui nous conseille aussi sur ces sujets-là, et qui vient de publier une analyse très fine intitulée « dématérialisation versus papier » pour une entreprise privée ailleurs qu’à Monaco. Il faut tout calculer. Sur cet exemple, il y avait une économie de 46 % sur la dématérialisation. On a le devoir d’aller vers cette transition énergétique et numérique, parce qu’on sait que le modèle de développement n’est pas soutenable. Mais on a le devoir également de ne pas partir sur des idées reçues, du type « dématérialisation, énergies vertes, et télétravail, ça sera forcément positif ». Il faut calculer précisément l’impact carbone de nos solutions. On est en train de travailler ensemble sur un pacte sur le numérique.

Quand on parle du gain de place que peut apporter la dématérialisation, il y a aussi une capacité logistique à avoir pour stocker toujours plus de données, sachant que ces data-centers (centre de données) sont très énergivores, émettent de la chaleur, et qu’il faut donc les réfrigérer ?

C’est de la chaleur que l’on peut récupérer. C’est en ça, aussi, que c’est passionnant. Pour les premiers data-centers, personne ne s’est posé de question, et cela a débouché sur des solutions méga-énergivores. On s’est vite aperçu que cela impliquait des consommations énergétiques faramineuses. Donc, aujourd’hui, beaucoup de technologies se sont développées pour récupérer la chaleur autour des data-centers, et pour refroidir non pas avec de la climatisation, mais naturellement.

Donc c’est ce genre de solution qui est envisagé pour les data-centers de Monaco ?

Bien évidemment. C’est obligatoire, cela fait partie des engagements de Monaco Telecom dans la signature du Pacte pour la transition énergétique : il faut avoir des data-centers les moins énergivores possibles. De la même façon, quand Frédéric Genta a fait le choix d’utiliser des data-centers au Luxembourg pour les données les moins sensibles, à l’e-ambassade de la principauté, il y a eu une exigence forte vis-à-vis de nos fournisseurs pour la solution la plus “green” [verte — N.D.L.R.] possible.

Lors d’un déjeuner de presse en février 2020, Frédéric Genta disait qu’écologie et numérique se contrebalançaient, mais que ça pouvait se rejoindre : pensez-vous vraiment que les exigences écologiques peuvent aller de pair avec l’accroissement numérique ?

Oui, et heureusement. Sinon, ce serait totalement désespérant. Je pense qu’il y a les deux. Il existe des bénéfices du numérique pour l’environnement. C’est très clair. Et le numérique a aussi un impact environnemental. C’est très clair aussi. C’est pour ça qu’il faut s’intéresser aux bénéfices du numérique pour l’environnement. C’est toujours la même logique : éviter, réduire, et compenser. Par exemple, les abribus sont critiqués, et à juste titre, pour leur consommation énergétique. Réduire la consommation, ça veut dire éteindre ces écrans publicitaires la nuit, et mettre les écrans tactiles en veille la nuit.

«Il existe des bénéfices du numérique pour l’environnement. C’est très clair. Et le numérique a aussi un impact environnemental. C’est très clair aussi »

Annabelle Jaeger-Seydoux. Directrice de la Mission pour la transition énergétique (MTE)

Quels sont les bénéfices apportés par le numérique pour l’environnement ?

Le télétravail est vraiment une solution qu’on promeut largement dans le cadre du Pacte pour la transition énergétique. On invite les entreprises signataires de ce Pacte national à adopter le télétravail. Il existe un triple bénéfice apporté par le télétravail : moins de voitures sur les routes, donc moins d’émissions de GES [gaz à effet de serre – N.D.L.R.], donc moins de trafic, moins de pollution sonore, et surtout, du bien-être pour nos salariés qui s’évitent ces embouteillages matin et soir. Vous allez me dire, là aussi, on n’a pas fait le calcul pour chiffrer la consommation énergétique des ordinateurs mis à disposition des salariés et des plateformes nécessaires pour stocker les données dont ont besoin les salariés. Il y a, peut-être encore, cette naïveté de croire que les bénéfices précédemment cités sont largement plus lourds.

Il y a aussi des côtés négatifs concernant le télétravail, sur l’atomisation des travailleurs et une certaine forme de désocialisation sans le regroupement dans un bureau : ces impacts sociaux sont aussi à prendre en compte dans la transition numérique ?

Bien sûr. Pour avoir beaucoup télétravaillé dans ma vie, je suis assez convaincue de ce que je dis. Vous avez complètement raison, c’est un risque à ne pas négliger lorsqu’on fait trop de télétravail. Si vous perdez pied dans l’entreprise, on risque de se sentir complètement isolé. Aujourd’hui, compte tenu des accords fiscaux avec la France, la réglementation monégasque fait qu’un salarié peut travailler de chez lui trois jours maximum par semaine. Quand on télétravaille une journée par semaine, ce n’est que du bonheur. Donc le télétravail, c’est une solution numérique avec bénéfices environnementaux et sociaux très forts. Je pense aussi à l’application Citymapper, déployée en principauté. J’estime qu’on peut vraiment avoir la chance de ne pas du tout prendre sa voiture. Moi j’utilise cette application même pour faire le choix entre le bus ou y aller à pied.

N’est-ce pas inquiétant d’avoir toujours recours à l’outil numérique pour nous aider à faire le choix le plus rationnel, que ce soit Citymapper pour nous indiquer la marche à pied, ou le compteur Nexio pour nous dire d’éteindre la lumière en partant ?

C’est une bonne question (rires). Si on en vient à Nexio, je vais vous donner un exemple. Je pense être une personne consciente des enjeux environnementaux, donc en effet, chez moi ou dans le bâtiment dans lequel je travaille, on va faire particulièrement attention à l’ensemble des usages, à fermer l’ensemble des thermostats etc. Chez nous, je suis ravie de savoir qu’à 19 heures, tout s’éteint. Alors qu’on sait qu’il y a plein de bâtiments dans lesquels l’énergie continue à être consommée, alors que les bâtiments ne sont plus occupés. C’est une technologie qui le permet. Nous, on a installé des panneaux solaires et un stockage d’énergie. On a un écran qui nous permet de suivre la consommation. Même des gens avertis comme nous sommes, on se prend au jeu, avec cet écran qui nous indique exactement ce qu’on a produit en énergie solaire, et ce qu’on a stocké pendant le week-end. Finalement, l’outil informatique est ultra-pédagogique.

Quels sont les autres bénéfices ?

Avec la Smeg, on a installé des compteurs Smart+ dans les bâtiments les plus énergivores de la principauté. Notamment dans les hôtels, et les parties communes des plus grandes copropriétés. Aujourd’hui, on a à peu près 60 bâtiments qui sont équipés. Pour 2020, on en voudrait une centaine, ce qui couvrira à peu près 25 % de la consommation énergétique de la principauté. Ces compteurs intelligents permettent d’avoir une vision très fine de votre consommation, qui est déclinée sur l’ensemble des usages. Par la prise de conscience par le gestionnaire, par des réglages, sans investissement financier, on a une moyenne de réduction de consommation de 8 % sur un an sur l’ensemble de ces bâtiments. Maintenant, l’étape suivante, c’est que chacun des bâtiments équipés nous présente un plan d’action pour, qu’au-delà des réglages, il y ait de la réduction de consommation, l’utilisation d’énergies renouvelables, etc.

Concernant la neutralité carbone, y a-t-il des premières évaluations qui sont faites sur l’avancement de cet objectif ?

Oui, dès lors que vous prenez des engagements internationaux, pris dès les accords de Kyoto [en 1992 — N.D.L.R.], puis réitérés à la COP21, vous êtes obligés de communiquer tous les deux ans aux Nations unies, un rapport de l’évolution de vos émissions de gaz à effet de serre. On en est à une réduction d’à peu près 15 % de nos émissions, par rapport à 1990. Plus on va aller vers des “smart buildings” [bâtiments intelligents (1) — N.D.L.R.], plus on va pouvoir piloter la consommation énergétique de son immeuble, entre la consommation que vous produisez, et celle que vous stockez pour aller vers des bâtiments neutres.

Sur le modèle politique à venir, certains prônent la sobriété numérique et énergétique : est-ce que cela peut être envisagé à Monaco ?

Oui, obligatoirement. Dès que vous développez une nouvelle route, vous n’allez pas réduire le trafic, vous allez multiplier le nombre de voitures sur les routes. C’est exactement la même chose avec le numérique. Plus vous allez développer les bandes passantes et les capacités numériques, plus vous allez favoriser de nouveaux usages. Aujourd’hui, l’impact numérique le plus énergivore, ce sont les vidéos. Plus vous allez avoir des bandes passantes élevées, plus vous allez avoir la tentation de regarder plus vite et plus facilement des vidéos. Oui, la sobriété numérique, c’est quelque chose qu’on doit avoir en tête, et je pense que ce n’est pas antinomique avec la principauté.

Avec la 5G non plus ?

Oui, avec la 5G aussi. C’est vrai que la 5G va clairement permettre de nouveaux usages, qui seront énergivores, de fait. Donc, si vous n’avez pas un usage raisonné et modéré dans ce contexte-là, c’est sûr qu’on va multiplier les consommations. Il ne faut pas se mentir. Dans le Pacte national, déjà en saison 1, c’est-à-dire dans les premiers gestes que l’on proposait, tant aux particuliers qu’aux entreprises, on encourageait à éteindre les objets en veille, etc. Dans la saison 2, pour les gens déjà engagés, on rajoute des nouvelles actions, et on attire particulièrement leur attention sur les usages numériques. Éviter les pièces jointes, nettoyer les boîtes emails, nettoyer les listes de diffusion, sur les sites Internet éviter les “plug-ins” [petits logiciels qui se greffent à un programme principal pour lui conférer de nouvelles fonctions — N.D.L.R.]. Ce sont des recommandations numériques que l’on diffuse auprès des signataires du Pacte.

«A Monaco, on est dans une politique très incitative, et pas du tout punitive. La philosophie de la transition environnementale monégasque, c’est le libre arbitre de chacun, et son choix individuel»

Annabelle Jaeger-Seydoux. Directrice de la Mission pour la transition énergétique (MTE)

Quelles autres recommandations faites-vous ?

Ces petits gestes sont nécessaires. Mais quand on fait le bilan carbone, on se rend compte que c’est la production qui est le plus impactant. Donc, l’une des premières recommandations, c’est d’allonger la durée de vie des ordinateurs. Il faut aussi préférer un ordinateur portable plutôt qu’un ordinateur fixe. Augmenter la part des smartphones professionnels et personnels dans le parc, c’est-à-dire éviter d’avoir deux smartphones. Échanger des documents via une plateforme, plutôt que par email. Et mettre en place des métriques opérationnelles. Donc oui, la sobriété numérique a sa place ici plus qu’ailleurs, parce que sinon, on va évidemment multiplier nos usages et nos consommations, comme c’est en train de se passer partout dans le monde. Le poids du numérique aujourd’hui, c’est 4 % des émissions de GES mondiales. Elles pourraient être doublées d’ici 2025, soit la part actuelle des émissions des voitures. Aujourd’hui, les 4 %, c’est déjà plus que le trafic international des avions. Donc, on est sur des choses lourdes, qu’il ne faut pas négliger. Mais maintenant, on en a parfaitement conscience. Il n’est donc pas question qu’on se fasse épingler sur le fait qu’on fait n’importe quoi, et qu’on n’a pas su maîtriser la consommation énergétique de notre développement numérique.

Comment vous sentez-vous à la lecture des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), alors que ceux-ci nous recommandent de changer radicalement de modèle de société, face à une urgence qu’ils estiment absolue ?

A titre personnel, je me sens dans une position schizophrénique, comme dans ma vie professionnelle. Mais je pense qu’on est un peu tous pareil. C’est pour ça qu’on doit tous s’interroger sur la cohérence de ce qu’on met en place. Et c’est vrai que c’est compliqué de vivre avec ça. Je fais des efforts d’un côté, que je vais complètement annuler en faisant un choix de vacances au bout du monde. A Monaco, on est dans une politique très incitative, et pas du tout punitive. La philosophie de la transition environnementale monégasque, c’est le libre arbitre de chacun, et son choix individuel.

1) Selon la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie d’Ile-de-France (DRIEE), le concept de “smart building” correspond à « l’intégration de solutions actives et passives de gestion énergétique, visant à optimiser la consommation, mais également à favoriser le confort et la sécurité des utilisateurs du bâtiment tout en respectant les réglementations en vigueur ».

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