samedi 20 avril 2024
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Olivier Cardot : « Après cette crise,
nos revendications reviendront »

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Olivier Cardot, secrétaire général adjoint de l’Union des syndicats de Monaco (USM), a répondu aux questions de Monaco Hebdo sur la situation des salariés pendant la crise sanitaire.

Il dresse un constat froid, invite à tirer les enseignements de cette crise, et se projette déjà dans l’après coronavirus.

Quelles sont les remontées que vous avez eues, notamment sur les licenciements actuels ?

Je suis en étroit contact avec les salariés qui ont été licenciés de l’entreprise Monaco Resources via l’utilisation de l’article 6. Non seulement, cette situation dans laquelle on profite d’une crise sanitaire pour licencier des salariés est infâme, mais il y a aussi un contournement constant du non-respect de la loi de la part de Mme Mitri-Younès, présidente-administratrice-déléguée de Monaco Resources, qui est l’auteure de ces licenciements article 6 (1). Les trois salariés en question, ont été réintégrés momentanément, pendant la crise sanitaire. Mais après la crise, ils seront licenciés. Le gouvernement a fait pression sur cette entreprise, la direction du travail également, l’inspection du travail aussi. Pour l’instant, ils n’infléchissent pas leur position.

Quels sont les recours possibles ?

Malheureusement, ça fait une vingtaine d’années qu’on demande à ce qu’il y ait une motivation pour tous les licenciements. Mais il a fallu une crise sanitaire pour qu’apparemment certains élus du Conseil national, et les plus hautes instances gouvernementales, prennent conscience que c’était inhumain, et je reprends là les propos du conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé, Didier Gamerdinger, dans la presse. Oui, mais ça n’est pas qu’inhumain pendant la crise sanitaire, c’est inhumain toute l’année ! J’espère qu’à la sortie de cette crise sanitaire, on reverra cet article 6, pour inclure l’obligation de motivation pour tous les licenciements. On attend un geste fort du Conseil national, chargé de promulguer les lois ou de les modifier, et du gouvernement, pour les mettre en application.

Que faudra-t-il changer ?

On verra l’enseignement qu’on va pouvoir tirer de cette crise sanitaire. On demande une nouvelle législation sur le contrat de travail en général. Parce qu’à Monaco, l’intérim n’est pas légiféré, les contrats à durée déterminée (CDD) peuvent être mis en place à outrance. On peut être intérimaire plus de 10 ans dans une entreprise, et ne jamais accéder à un CDI. Je le sais, j’en ai fait les frais pendant plusieurs années. Les jeunes qui arrivent à Monaco et qui commencent leur carrière professionnelle, doivent obligatoirement passer par l’intérim pour obtenir un permis de travail. Et après, ils ne doivent surtout rien dire, ou ne pas faire valoir leurs droits dans des entreprises qui ne respectent pas la législation, pour pouvoir prétendre plus tard, peut-être, à un CDI.

Que pensez-vous des premiers dispositifs du gouvernement sur le chômage total temporaire renforcé, la garde d’enfants à domicile etc. ?

La crise sanitaire n’étant pas du fait des salariés, ni des employeurs d’ailleurs, tout le monde devrait pouvoir s’y retrouver. Pour nous, les salaires doivent être maintenus à 100 % du net, et pas à 80 % du net. Et s’il y a besoin, il y a un fonds de réserve constitutionnel (FRC) à Monaco, de plus de 6 milliards d’euros. Et ce fonds de réserve, et là je suis de l’avis de l’élu Union Monégasque (UM) Jean-Louis Grinda, qui s’occupe de ce fonds de réserve constitutionnel au sein du Conseil national, pour que ce soit des fonds publics qui comblent le manque à gagner et des entreprises et des salariés. Là-dedans, nous sommes tout à fait en phase avec les résolutions du Conseil national, telles qu’elles ont été demandées par Stéphane Valeri, et avec l’ensemble des élus, unanimement. Il faut le dire, c’est une première à Monaco. Nous demandons à ce qu’elles soient retranscrites par le gouvernement.

Jean Castellini avait refusé dans un premier temps, mais il semble qu’il se décide à piocher dans le fonds de réserve constitutionnel, finalement ?

Pour l’instant, le gouvernement communique uniquement sur un régime de chômage total temporaire renforcé qui n’apporte que 80 % du net. Depuis 1998, le gouvernement a fait l’impasse sur les grilles de salaires françaises. Donc on peut avoir autant de salaires que de salariés à Monaco. Le seul minima social en activité à Monaco, c’est le SMIC. Or, la loi sur les salaires n’étant plus appliquée depuis 1998, il y a des salaires qui sont infiniment différents entre les catégories de salariés. Notamment dans l’hôtellerie, où il y a un certain nombre de salariés payés au « pourcentage service ». Ils ont un minimum garanti par la Société des bains de mer (SBM). Et après, ils ont des « points de masse », liés à la fréquentation du secteur hôtelier. Aujourd’hui, on peut se poser la question, par exemple, pour le personnel du Café de Paris. Il y a un manque à gagner impressionnant. Beaucoup de salariés comptaient sur des hauts salaires au mois de mai, et là, ils vont toucher 80 % du minimum garanti.

Quelle serait la solution ?

La solution serait de faire une moyenne des salaires sur 12 mois, comme ça a été fait lors des travaux de l’hôtel de Paris, après une bataille syndicale. Dans une SBM, monopole d’État, je pense qu’il serait normal, que Jean Castellini, qui gouverne cette entreprise, soit raisonnable et solidaire, puisqu’on parle beaucoup de solidarité en ce moment, afin que personne ne soit laissé au bord du chemin, pour reprendre les termes du président du Conseil national, Stéphane Valeri. Je pense, que pour une fois, si j’ai une note positive à donner, ce sera au Conseil national. Ce sont de bonnes résolutions, et elles doivent être appliquées par le gouvernement. Pour nous, les salaires doivent être maintenus à 100 %. On ne doit pas faire appel aux congés payés anticipés, c’est totalement interdit. On y veille. Surtout, il doit y avoir du matériel de sécurité distribué aux salariés les plus exposés.

Que pensez-vous de la prime exceptionnelle accordée par l’État ?

C’est une bonne chose, mais il ne faut pas que cette prime fasse l’impasse sur les mesures de sécurité. Pour cette prime, le ministre d’État, Serge Telle, s’est exprimé uniquement pour le public. Or, on parle de « Monégalité ». Il est donc temps de mettre en place ce slogan pour tous. Les primes de 1 000 euros, c’est pour tout le monde. Il y a aussi des salariés du privé qui font fonctionner des entreprises.

Comment voyez-vous l’après coronavirus ?

Après cette crise, il y aura nos revendications qui reviendront sur le devant de la scène. Notamment, le maintien des retraités à la Caisse de compensation des services sociaux (CCSS) et au Service des prestations médicales d’État (SPME). Un salaire minimum à 2 250 euros brut. C’est important, car aujourd’hui, il est discuté au sein du gouvernement, un maintien de salaire à 2 200 euros. Il devrait y avoir un effort de fait pour les salaires inférieurs à 2 200 euros. Cela a été discuté la dernière fois en séance publique du Conseil national (2). Le gouvernement en a pris note. Il y a une prise de conscience que c’est important d’avoir un salaire à 2 200 euros, qui est en fait le salaire médian à Monaco. On se rend compte que notre revendication de 2 250 euros de salaire brut n’est pas si mal, finalement. On a fait de bons calculs. A cela va s’ajouter la revendication sur le contrat de travail. Il faut cesser à Monaco, un des pays les plus riches du monde, d’avoir des contrats précaires. Notamment des CDD à outrance, et de l’intérim. Je sais que M. Gamerdinger est en train de travailler sur un texte encadrant l’intérim, sur lequel nous aurons à nous prononcer. A la sortie de cette crise, il est hors de question que les salariés en payent les conséquences par la suite. Comme en 2008, nous sentons qu’on va encore demander aux salariés de se serrer la ceinture.

1) A nos confères de Monaco-Matin, la direction a répondu par un bref communiqué : « Nous avons la responsabilité de plus de 6 000 employés à travers le monde, dont plus de 50 à Monaco. Notre priorité est de pérenniser ces emplois en maintenant opérationnelles nos infrastructures reconnues stratégiques par tous les États. À Monaco, tous nos employés sont en télétravail, et nous avons pris des mesures d’accompagnement pour les trois personnes citées. »

2) Figurait dans les résolutions du Conseil national : « Pour les personnes placées en chômage total temporaire ou en chômage partiel, maintenir l’intégralité des salaires inférieurs ou égaux au salaire médian monégasque, soit environ 2 200 euros net mensuels, en prenant toutes les dispositions nécessaires pour supprimer un éventuel effet de seuil. »

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