Le président de l’Union des commerçants et artisans de Monaco (Ucam), Nicolas Matile-Narmino a répondu aux questions de Monaco Hebdo.
Par deux fois, il a interpellé le gouvernement, ainsi que les bailleurs privés, ces deux dernières semaines, afin de trouver des solutions à la crise à venir. Et incite chacun à faire un effort.
Après les premières inquiétudes, êtes-vous rassuré par les différentes annonces du gouvernement ?
Ce qu’on a publié a bien aidé à faire réagir le gouvernement. On a beaucoup travaillé avec les experts-comptables qui ont travaillé avec le conseiller-ministre pour l’économie et les finances, Jean Castellini, et des banques. On voit bien que des actions vont être faites. Les salariés, c’est déjà réglé. On espère qu’ils vont arriver à 100 % du salaire, si la France le fait. Pour ce qui est de l’aide aux travailleurs indépendants ou salariés de leurs petites entreprises, ces gens-là aujourd’hui ne savent pas. Mais le gouvernement va travailler dessus et va certainement sortir des chiffres très rapidement. On sait aussi qu’il y a des prêts facilités auprès des banques. Une circulaire est sortie hier [mardi 24 mars — N.D.L.R.] au niveau de l’Association monégasque des activités financières (Amaf). On n’a pas encore les chiffres exacts, mais si vous demandez un montant assez modeste, de moins de 15 000 ou 20 000 euros — nous on espère que ce soit 50 000 — il y a très peu de démarches à faire, à part montrer que vous avez ce loyer à payer. Au-delà, il y a une procédure un peu plus complexe. Les experts-comptables se sont impliqués pour que la banque prête. Bien sûr, elle a la garantie du gouvernement.
Les banques doivent-elles prêter à tout le monde ?
Elles ne prêtent pas les yeux fermés à n’importe qui, n’importe quel montant, il faut qu’il y ait une réalité économique derrière. Donc, au-delà d’un certain montant, l’expert-comptable va valider le plan de trésorerie de l’entreprise. Mais on peut imaginer qu’une entreprise qui fait un certain chiffre d’affaires est structurée et est capable de sortir un plan de trésorerie. On ne parle pas des gens qui vont faire 200 000 ou 300 000 euros de chiffre d’affaires, et qui auront des besoins certainement beaucoup plus modestes que les gens qui font plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires. Il va falloir qu’ils fassent l’effort de montrer la véracité des prêts qu’ils vont demander. Le but, ce n’est quand même pas que l’État fasse des chèques en blanc. Il aura largement de quoi faire après, quand on aura parlé de relance, où là, il faudra peut-être faire des chèques en blanc. Le but, là, c’est quand même de sauver un maximum d’entreprises. L’État et la mairie ont fait beaucoup d’efforts pour les commerçants qui sont dans leurs locaux. Ils leur ont fait cadeau des charges, des loyers. On a le report de TVA, des charges sociales. Maintenant, nous on se bat pour les commerçants qui sont dans le privé. S’il n’y a pas une solidarité des bailleurs privés, vous pouvez imaginer l’hécatombe que ça va être. Les gens ont zéro de chiffre d’affaires.
L’État a appelé « au civisme » des bailleurs privés : cela sera-t-il suffisant ?
On fait tous le maximum pour que ça suffise, vous savez très bien comme moi, que là on parle de la propriété privée et si on doit changer les règles sur la propriété privée, ce qui n’est pas évident, il va falloir que l’État légifère. Le risque pour un commerçant, c’est que s’il n’honore pas le contrat qu’il a avec son bailleur, il peut être mis en défaut. Ça veut dire en défaut de paiement, et s’il ne déclare pas son défaut de paiement dans les 15 jours, c’est le pénal pour lui. Donc il est dans une situation très compliquée. Aujourd’hui, il faut qu’il aille voir la banque, qu’il demande l’argent pour son loyer, en étant sûr qu’il va faire zéro de chiffre d’affaires, se retrouver dans trois mois ou le jour où il pourra recommencer à travailler, avec déjà ça en pertes… Et c’est vrai que moi, je vais plaider pour qu’il y ait un abandon du loyer du propriétaire, étant donné qu’il y a zéro rentrée pour le commerçant. Le commerçant aujourd’hui, s’il était en fin de bail, pourrait faire appel à la commission arbitrale des loyers pour dire : « Ma situation économique a changé, je veux une révision du loyer à la baisse ». Donc, quand tout sera passé et qu’on verra la véracité des loyers, je pense que des fonds de commerce auront peut-être diminué de 20, 30, ou 50 %. Le propriétaire pourra faire ce qu’il veut. Foutre son locataire dehors, car s’il ne paye pas son loyer, il a le droit. J’espère que là, l’État interviendra. Mais sinon, il va dire : « La nouvelle économie du loyer à Monaco, c’est ça, le mec me demande une réduction de son loyer. Pour l’instant, je l’accepte ».
« Aujourd’hui, l’État m’empêche de travailler. Par un décret, l’État m’a demandé de fermer mon commerce »
Mais l’État a dit qu’il serait là en cas de défaut de paiement pour les commerces ?
Oui, mais qu’est-ce qu’il va se passer ? Je demande de l’argent pour mon loyer. J’ai un loyer important. Je paye 120 000 euros à mon bailleur. Je lui paye ces 120 000 euros de loyer, je fais zéro de chiffre d’affaires. J’essaie de remonter ma boîte. On repart avec un chiffre d’affaires, au début de 30, 40, ou 50 %. Et ça dure sur 12 à 18 mois. Ça veut dire que peut-être dans 18 mois on n’a même pas récupéré le chiffre d’affaires qu’on faisait avant. Et j’ai continué à payer mon loyer à plein, plus les trois mois où je n’ai rien fait. Je me retrouve avec une dette importante, car, évidemment, si l’économie se contracte, au départ vous ne repartez pas à 100 %. Peut-être dans certains domaines, mais il va y avoir des dégâts collatéraux. Conclusion de tout ça : le type va s’endetter, et au bout d’un moment ne plus pouvoir payer. Il risque d’y en avoir, je ne sais pas, 30, 50 %. Mais vous imaginez ce que ça fait en argent ? Il suffit de faire un ratio par rapport au chiffre d’affaires de tous les commerces monégasques. Vous prenez 10 ou 20 % qui ne s’en sortent pas, les dettes qu’ils ont pu accumuler sur 18 mois… Vous imaginez le carnage !
Au début de la crise, le conseiller-ministre pour l’économie et les finances, Jean Castellini, a annoncé 50 millions de garantie : c’est suffisant ?
Je pense que ce n’est plus un débat. Je pense que M. Castellini a donné un chiffre pour donner un chiffre. S’il faut mettre 100, il mettra 100, s’il faut mettre 200, il mettra 200. Il mettra ce qu’il faut pour sauver le maximum d’acteurs. Car ces acteurs, sont aussi des acteurs de TVA. N’oublions pas que Monaco n’a pas d’autres rentrées que les transactions qu’elle fait, la TVA, et l’impôt sur les bénéfices. Ils ont donc tout intérêt à relancer l’économie le plus rapidement possible, pour que nous, on puisse payer notre TVA et nos impôts sur les bénéfices, sinon ils n’ont plus de rentrées fiscales. Ils ne vont pas faire de l’impôt sur la fortune ou de l’impôt sur les salaires. Ça n’existe pas. Aujourd’hui, on n’en est qu’au début, on ne sait pas comment va être la bataille. On sait juste qu’on est arrêté, mais on n’a aucune idée de ce que ça va coûter. Surtout, que nous, on n’est qu’un confetti dans une histoire mondiale. Quand on va voir dans 15 jours la catastrophe sanitaire que ça va faire aux États-Unis, et qu’eux vont plonger plus bas que terre… Je ne sais pas si ce n’est pas ça qui va encore durcir la sortie de crise. Si ça pouvait ne durer qu’un mois… Quand on va rouvrir, ça ne va pas se faire d’un coup. Le risque est systémique. On ne pourra pas rouvrir, je pense, avant fin mai-début juin 2020, mais ça n’engage que moi.
Allez-vous maintenir les salaires à 100 % ?
Dans mon entreprise, c’est ce que je vais faire pour le mois de mars. Après, le mois d’avril, ça dépend de ce qu’il va se passer. Vous pouvez imaginer que 20 % des salaires quand vous avez zéro de chiffre d’affaires, c’est de l’argent [l’État et Pôle emploi prennent en charge 80 % du salaire net pour les salariés en situation de chômage total temporaire renforcé — N.D.L.R.]. On a des baisses de 100 % du chiffre d’affaires. Les commerçants ont zéro de rentrée. Il faut tous qu’on fasse des efforts. Et c’est mon propos par rapport aux bailleurs. Tout le monde doit se mettre autour de la table et faire des efforts. Ce mois-ci, à titre personnel je maintiens les salaires. Ça me coûte, mais je le fais. J’espère aussi que par ce biais, je vais inciter mes salariés à revenir travailler quand on pourra assurer les conditions de travail optimales au niveau de la sécurité.
En tant que président de l’Ucam, vous appelez les entreprises à faire de même ?
Comme pour leurs loyers, de faire le mieux possible et qu’on puisse en discuter dans la mesure du raisonnable. Moi, j’ai fait un effort pour mes salariés car c’est ma richesse. Est-ce que je serai capable de faire un effort sur deux mois, trois mois ? C’est beaucoup d’argent, je ne sais pas si je peux me le permettre. En tout cas, le premier mois, oui.
A qui avez-vous adressé cet appel ?
Au gouvernement et à la presse. Moi, je suis bailleur et locataire. J’ai la double casquette. Si les bailleurs croient qu’ils vont pouvoir passer entre les gouttes, ils rêvent. S’ils veulent garder leurs locataires, il va falloir qu’ils fassent des efforts pour les garder. Peu importe s’ils ont beaucoup d’argent ou pas. Le locataire, que peut-il faire ? Une requête auprès de la commission arbitrale des loyers pour demander une baisse des loyers étant donné que ses conditions économiques ont complètement changé. Et ça va même plus loin. Aujourd’hui, l’État m’empêche de travailler. Par un décret, l’État m’a demandé de fermer mon commerce. Donc je vais payer mon loyer, car sinon je perds ma propriété commerciale. Mais je vais faire une requête auprès du bailleur, car il ne me donne pas les conditions nécessaires dans lesquelles je peux l’exploiter.
Donc ce sera à l’État de payer en dernier recours ?
Non, ce sera à l’État de légiférer. De savoir qui va prendre en charge quoi. Ce n’est pas normal : les bailleurs sont tous gagnants et les commerçants tous perdants, ou l’inverse. Tout le monde doit faire un effort. Ce n’est pas une question de bailleur ou locataire. Il y a effectivement des contrats. Je ne peux exploiter. Ce n’est pas votre faute, ce n’est pas non plus la mienne. On demande que l’État réfléchisse à ça, qu’on fasse un moratoire. On discute de ce qui est juste de faire pour tout le monde.
Vous appelez les bailleurs privés à participer « à l’effort de guerre » ?
De se mettre à table avec leurs locataires et de trouver des solutions pérennes pour le moyen terme. Il ne faut pas réfléchir individuellement. Il faut que tout le monde en sorte le mieux possible. Ce n’est l’intérêt de personne que le marché soit complètement déstabilisé. Sinon, les gens vont attaquer leurs bailleurs pour faire baisser leurs loyers et ils auront certainement gain de cause. Personne ne veut entendre ce que je dis mais, il faut que, sur une période donnée, que le gouvernement devra déterminer, indexer le loyer sur le chiffre d’affaires. Il faut trouver des solutions, car il y aura une minorité de gens qui auront les moyens de continuer.
Comment voyez-vous l’après coronavirus ?
J’ai toujours pensé que Monaco était un paradis. Mais on peut faire beaucoup mieux en termes de commerce. Et écouter ce qu’à l’Ucam on a toujours dit : arriver à avoir une offre commerciale, comme on l’a fait dans le luxe, à la hauteur du joyau qu’on est. Dans un monde idéal, il faudrait repenser notre façon de consommer. J’espère que ça va nous faire prendre conscience qu’il vaut mieux nourrir nos agriculteurs que de faire venir des bananes de l’autre bout du monde. J’ai toujours été pour un commerce local équitable et pour un pollueur-payeur. Moi le premier. Mes fleurs viennent du monde entier, malheureusement, parce qu’on n’a pas su garder les producteurs locaux. Avec la flambée de l’immobilier, ils ont tous vendu leurs serres pour faire des immeubles. Je donne toujours cet exemple. Dans mon métier, on paye les produits le même prix qu’il y a 40 ans. Il n’y a pas eu d’inflation. Est-ce que c’est normal ? Non. Aujourd’hui, on peut aller au bout du monde pour 300 euros. Est-ce que ça a un sens ? Est-ce que ça a un sens de payer la fleur qui vient d’Afrique à 20 centimes, alors qu’on a fait travailler des travailleurs dans des normes d’hygiène inacceptables ? Est-ce que c’est logique ? J’espère que ça, demain, ce ne sera pas logique.
L’APM ne s’exprime pas, pour le moment
Contactée, l’association des propriétaires de Monaco (APM) refuse de s’exprimer publiquement, pour l’instant. Son président, Gérard Porasso, a précisé qu’il serait sans doute amené à le faire d’ici peu. L’APM n’a, pour l’heure dans sa ligne de mire, que le projet de loi n° 1006, comme l’indique sa page Facebook, qu’elle estime être une « spoliation ». Ce projet de loi prévoit de renforcer le secteur immobilier protégé. « Ce projet de loi a pour objectif d’endiguer la disparition programmée du secteur protégé. Il met en place, pour cela, un mécanisme permettant de procéder, au fil des travaux de promotion immobilière, à son renouvellement », indique la présentation du projet de loi sur le site web du Conseil national. Ce projet de loi a été déposé en séance publique le 2 décembre 2019.