vendredi 19 avril 2024
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Olivia Keïta-Perse : « Une infection nosocomiale n’est pas synonyme de faute »

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Cheffe du service d’épidémiologie et d’hygiène hospitalière au centre hospitalier princesse Grace (CHPG), le docteur Olivia Keïta-Perse explique à Monaco Hebdo comment s’organisent la surveillance, la prévention et la formation en matière de lutte contre les infections nosocomiales.

Une infection nosocomiale, qu’est-ce que c’est ?

« Nosocomiale » prend sa source dans des racines latines et grecques qui signifient « à l’hôpital ». Une infection nosocomiale, c’est donc une infection qu’on acquiert à l’hôpital. Il y a quelques années, des experts ont voulu étendre cette définition et nous parlons désormais d’infections associées aux soins. Parce qu’il est important de pouvoir attribuer, le cas échéant, une infection à une prise en charge thérapeutique. Ça peut être en ville au cabinet du médecin. Par exemple, une infection articulaire à la suite d’une infiltration. Il peut y avoir une association, ce qui ne veut pas dire qu’il y a eu une faute.

Quels sont les différents types d’infections nosocomiales ?

Nous avons coutume de les classer par site où survient l’infection. Il y a, par exemple, les infections urinaires, les bactériémies c’est-à-dire des infections du sang, les infections du site opératoire, les pneumonies qui sont des infections du poumon… Il existe toutes sortes d’infections, en fonction du site.

Comment surviennent-elles ?

La plupart du temps, il s’agit d’infections bactériennes. Mais elles peuvent aussi être virales. Une épidémie de grippe dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) est une infection nosocomiale. Un résident, qui a une grippe à la suite d’une visite, peut parfois la transmettre au personnel soignant, et vice versa. C’est la raison pour laquelle nous sommes si exigeants par rapport à la vaccination des professionnels de santé.

« Les plus fréquentes sont assez bien connues, car il y a des enquêtes de prévalence tous les ans à l’hôpital de Monaco, et tous les quatre ou cinq ans dans les établissements de santé en France. Dans l’ordre, on trouve les infections urinaires, puis les infections du site opératoire et les bactériémies nosocomiales »

Quelles sont les infections nosocomiales les plus fréquentes ?

Les plus fréquentes sont assez bien connues, car il y a des enquêtes de prévalence tous les ans à l’hôpital de Monaco, et tous les quatre ou cinq ans dans les établissements de santé en France. Dans l’ordre, on trouve les infections urinaires, puis les infections du site opératoire et les bactériémies nosocomiales. Ensuite, ça dépend un peu des hôpitaux.

Pourquoi les infections urinaires sont-elles les plus fréquentes ?

Elles sont plus fréquentes, car, souvent, ces infections nosocomiales sont associées à ce qu’on appelle un geste invasif, c’est-à-dire reliées à du matériel qu’on va mettre en place pour soigner la personne. Il peut s’agir, par exemple, d’un cathéter urinaire ou veineux. Le risque infectieux est lié au geste lui-même. Dans les facteurs de risque d’infections nosocomiales, il y a les facteurs de risque dits extrinsèques, c’est-à-dire ceux qui peuvent être apportés par l’extérieur, notamment par du matériel ou un geste invasif. Et il y a les facteurs intrinsèques, qui sont liés aux patients. Car nous ne sommes pas tous égaux devant le risque d’infection nosocomiale.

C’est-à-dire ?

Les sujets très âgés, ou à l’inverse très très jeunes en néonatologie, sont très fragiles. Les patients qui ont beaucoup de comorbidités, c’est-à-dire plusieurs maladies associées, sont aussi plus fragiles, et sont donc plus exposés à une infection nosocomiale. Il faut donc toujours être très prudent dans l’interprétation des taux d’infections nosocomiales.

« Les sujets très âgés, ou à l’inverse très très jeunes en néonatologie, sont très fragiles. Les patients qui ont beaucoup de comorbidités, c’est-à-dire plusieurs maladies associées, sont aussi plus fragiles, et sont donc plus exposés à une infection nosocomiale »

Quels sont les services les plus à risque, et pourquoi ?

Les services les plus à risque sont les services de réanimation qui accueillent des patients fragiles ou fragilisés. En réanimation, on a un respirateur pour nous aider à respirer, on a des voies veineuses, des perfusions souvent centrales qui sont des facteurs de risque à part entière. Il y a tout un tas de choses qui viennent augmenter le risque. Il existe donc des services plus à risque de par la nature de leur activité ou de par la nature des patients qu’ils recrutent, comme les services de grands brûlés.

Ces infections nosocomiales ont-elles toutes la même gravité ?

Non, par exemple les infections urinaires sont facilement traitées. Ces infections sont rarement à l’origine d’un décès. Cela dépend aussi de la personne touchée. Une pneumonie en réanimation peut être très grave. Et pour les infections du site opératoire, donc post-chirurgie, cela va dépendre du site infecté et de la nature de l’infection. Cela va de l’infection très superficielle jusqu’à l’infection profonde, qui peut être grave et nécessiter une réintervention. Il faut réopérer le patient pour nettoyer, évacuer les traces d’infection… Il y a donc différentes gravités selon le site infecté et la profondeur de l’atteinte.

Comment prend-on en charge ces infections ?

La plupart du temps, nous utilisons des antibiotiques. Pour la grippe, nous avons le fameux Tamiflu. Pour certaines infections, nous avons des traitements. Pour d’autres, virales, nous n’avons pas de traitement, mais nous avons des mesures de traitements symptomatiques qui peuvent aider.

Comment s’en prémunir ?

Il y a beaucoup de choses. C’est tout un programme, toute une spécialité. Pour éviter la transmission, il faut essayer de les circonscrire. Il existe toute sorte de protocoles et de bonnes pratiques quand on met, par exemple, en place un cathéter. Il y a une désinfection de la peau, une façon de procéder particulière qui doit être suivie à la lettre pour éviter de faire rentrer une bactérie au moment où on place le cathéter. Pour les sondes urinaires, on sait que la manipulation de la sonde, et notamment le fait de brancher le sac collecteur d’urine sur la sonde, peut être une source de contamination. Pour l’éviter, on met un sondage clos. C’est-à-dire qu’on reçoit la sonde avec déjà son collecteur branché, donc il n’y a plus de manipulation à faire… Bref, il y a pléthore de recommandations dans ce domaine car, maintenant, c’est très bien étudié. Au bloc opératoire, ça va de la maîtrise de l’environnement (traitement d’air, habillage du personnel, limitation des mouvements…) à l’antibioprophylaxie.

Olivia Keïta-Perse Infection nosocomiale
© Photo Manuel Vitali / Direction de la Communication

Qu’est-ce que l’antibioprophylaxie ?

Dans certaines pathologies, en cas d’opération, on peut administrer au patient des antibiotiques soit un « flash », soit sur 24 heures, pour éviter qu’au moment de l’incision, il y ait une prolifération de bactéries au site de l’incision. Beaucoup de choses sont mises en œuvre depuis de nombreuses années et ont maintenant une force de preuve dans la littérature scientifique.

Comment le personnel soignant est-il sensibilisé à ces risques ?

Beaucoup de choses sont enseignées dans la formation initiale des infirmières et des médecins. Il y a de la formation continue. Par exemple, à l’hôpital, nous travaillons avec les équipes sur des protocoles, nous faisons des audits de bonnes pratiques pour vérifier que tout a été compris et respecté. Nous participons à des staffs pour expliquer et avoir un retour de ce qui se fait sur le terrain. Les personnels sont vraiment sensibilisés. Nous faisons également des journées à thème, nous communiquons dans les congrès… Il y a dans les hôpitaux des services d’hygiène, des hygiénistes qui sont de mieux en mieux formés. Nous devons beaucoup aux États-Unis qui ont une vraie culture de la prévention. Ce qui était glorifié avant, c’était le traitement. Or, nous nous sommes rendu compte que la prévention coûte d’abord moins chère et elle évite les catastrophes. Travailler en amont n’a rien de dégradant, c’est majeur. La prévention est quelque chose de noble et d’extrêmement important.

« Une enquête de prévalence a été faite en 2022 en France. Les résultats sont attendus pour notre prochain congrès, en mai 2023. Les résultats de la dernière enquête datent de 2017. À l’époque, dans les établissements de même taille, nous étions à 4,98 %, avec les limites du seuil d’interprétation. Au CHPG, nous sommes très en-dessous »

Peut-on être totalement protégé des infections nosocomiales ?

Il n’y a pas de risque zéro, parce que, justement, le patient âgé, diabétique, très malade, a déjà en lui une colonisation urinaire. Il a déjà des facteurs qui font qu’à la moindre exposition, il va s’infecter. Mais ce n’est pas une fatalité. Il y a quelques années l’infection, c’était la « rançon » du succès d’une intervention. Mais aujourd’hui, on limite, on contrôle et on en a de moins en moins. Les taux sont de plus en plus faibles mais il y a probablement une fraction irréductible du risque qui est liée à ces facteurs.

Aujourd’hui, il y a de moins en moins d’infections à l’hôpital ?

Oui, très clairement. Nous progressons dans la prévention. Mais nous avons aussi des techniques de plus en plus invasives. Et donc qui dit technique invasive, dit risque infectieux. Car dès qu’on intervient, on a un risque. Il y a donc un équilibre à trouver entre la technologie, la nouvelle technique et le traitement de patients de plus en plus fragiles. Il y a vraiment cette espèce de dualité entre les nouvelles technologies qui sont mises en œuvre pour traiter des patients de plus en plus fragiles parce qu’on veut sauver tout le monde, et l’exposition de ces personnes au risque infectieux, que l’on maîtrise certes de mieux en mieux mais qui existe.

Vous êtes à la tête du service d’épidémiologie et d’hygiène hospitalière au CHPG : quelles sont vos missions ?

Il y a de la formation et du suivi. Nous élaborons des protocoles, nous réalisons des évaluations avec des audits. Nous recueillons des données sur l’environnement par exemple : les contrôles de l’eau, de l’air, après travaux… Il existe tout un programme de prévention qui touche aux soins, à la formation, à l’élaboration de protocoles conjointement avec le personnel. Nous travaillons également main dans la main avec le laboratoire d’analyses. Ils peuvent nous alerter sur tel ou tel germe, qui survient chez tel patient, dans tel service. Nous travaillons avec les professionnels, avec les chirurgiens notamment, les médecins. C’est un travail à temps plein (rires).

L’hôpital est-il contrôlé par des organismes extérieurs et indépendants ?

Les contrôles de l’extérieur sont essentiellement limités au contrôle technique. Par exemple, dans une salle d’opération, nous faisons des contrôles particulaires pour vérifier le traitement d’air. Ce sont des sociétés extérieures qui s’en occupent. Après, venir voir comment se comportent certains soignants, c’est fait en interne.

Combien de cas d’infections nosocomiales recensez-vous, en moyenne, au CHPG ?

La diffusion de taux est un peu compliquée. Ce que je peux vous dire, c’est que nous sommes en-dessous en termes de prévalence. Si nous faisons une photographie du nombre de patients infectés à l’hôpital, le taux est très bas, en-dessous de la moyenne des établissements français de même catégorie.

Quel est le taux français ?

Une enquête de prévalence a été faite en 2022 en France. Les résultats sont attendus pour notre prochain congrès, en mai 2023. Les résultats de la dernière enquête datent de 2017. À l’époque, dans les établissements de même taille, nous étions à 4,98 %, avec les limites du seuil d’interprétation. Au CHPG, nous sommes très en-dessous.

Quelle est la procédure en cas d’infection nosocomiale ?

Cela dépend de l’infection. S’il s’agit d’une infection urinaire, on va traiter le patient, il n’y a pas de conséquences. Souvent, on lui retire sa sonde et cela suffit à enlever l’infection. Ensuite, il y a des maladies à déclaration obligatoire. Elles ne sont bien sûr pas toutes nosocomiales. Par exemple, un patient qui a une légionellose doit être déclaré à la direction de l’action sanitaire (DASA). En cas d’épidémie, ce qui est excessivement rare, nous mettons en œuvre des moyens de contrôle, qui passent par l’isolement des patients, le traitement… Nous avons des étapes à suivre. Mais globalement, devant une infection nosocomiale, nous avons surtout en première intention le traitement du patient.

Comment est établi le degré de responsabilité en cas d’infection ?

C’est toute la question de la loi que je ne souhaite pas trop commenter. Car je suis médecin, pas juriste. Mais en cas d’infection nosocomiale, il existe plusieurs niveaux de responsabilité. Il y a une responsabilité civile, une responsabilité professionnelle et une responsabilité pénale en cas de faute prouvée. Et cela est décliné pour l’infirmier, pour le médecin… Ce qui est important de comprendre pour le public, mais aussi pour le personnel, c’est qu’infection nosocomiale n’est pas synonyme de faute. Il faut que le personnel ait conscience que de temps en temps, un patient peut être infecté, sans que l’on en soit responsable. Le savoir, et l’avoir en tête, permet d’être beaucoup plus ouvert aux évaluations. Quand nous nous rendons dans les services, nous ne nous positionnons pas en censeur. Nous évaluons comment faire mieux pour le patient, qui est très à risque de s’infecter. Y compris si on n’a pas fait de faute. Cette culture de qualité est fondamentale. Si on ne l’a pas compris, on reste dans son coin à théoriser, d’être accusé d’une faute qu’on n’a pas commise.

Il peut aussi y avoir des négligences ?

Oui, bien sûr. Il peut y avoir des cas où les gens ont mal fait leur travail. Ou en tout cas, ont fait une erreur dans la procédure, ou n’ont pas tout bien fait.

Quelles sont les suites, et quel est votre rôle, dans ce cas ?

Quand une infection attire notre attention parce qu’elle est inhabituelle, nous allons sur le terrain pour évaluer et revoir un peu les procédures : est-ce qu’il n’y a pas eu de dérives sur l’application des protocoles ? Est-ce qu’on continue à toujours tout bien faire ? Est-ce qu’on a un changement de produit ? Si nous avons affaire à des cas groupés, par exemple, nous pouvons être amenés à mener une véritable enquête « policière ». Nous allons déjà regarder le profil du patient, les raisons de son opération, s’il s’agit d’une chirurgie comment il a été opéré, par qui, quels protocoles ont été mis en œuvre… Nous allons dérouler toute cette enquête, pour essayer de retrouver des pistes d’amélioration des pratiques.

Comment le professionnel médical vit-il ces évaluations et ces « enquêtes » ?

C’est assez variable. C’est aussi du ressort de l’hygiéniste de les faire accepter, justement non pas comme une faute. J’ai la chance dans l’établissement d’avoir des collègues qui, au contraire, viennent me voir pour comprendre ce qui a pu se passer et voir ce que l’on pourrait améliorer… Il y a une vraie coopération, et un climat de confiance. Je le répète, nous ne sommes pas des censeurs, nous sommes là pour mettre en place des protocoles adaptés. Parfois, ça peut aussi être le hasard. Ce n’est pas forcément une mauvaise pratique.

Et par rapport aux victimes et à leur famille, quel rôle jouez-vous ?

Je peux être sollicitée dans le cadre d’une commission de médiation, par exemple, car je fais partie de la commission de médiation et d’amélioration de la prise en charge. Je suis médiateur médical, ce qui suppose une formation. Des personnes peuvent vouloir en savoir plus. Nous disposons d’un service dédié pour les patients ou leur famille [à ce sujet, lire notre encadré ci-contre – NDLR]. Il reçoit les familles à leur demande et les accompagne dans leur demande d’information, d’explication, de rencontre avec un chirurgien, un médecin, une équipe… Et moi, je peux à l’occasion être sollicitée. Mais ça reste extrêmement rare, heureusement.

Laure Santori
© Photo Stephane Danna / Direction de la Communication

Infections nosocomiales : « Chaque situation fait l’objet d’une analyse spécifique et d’une réponse graduée »

Directrice adjointe en charge de la qualité, gestion des risques et du contentieux au Centre hospitalier princesse Grace (CHPG), Laure Santori présente son rôle auprès des victimes, ou leurs proches, en cas d’infection nosocomiale.
« Dans le cadre de mes fonctions, je prends connaissance de l’ensemble des courriers de réclamations et des plaintes adressés au directeur du CHPG. Chaque situation est prise en considération et fait l’objet d’une analyse spécifique et d’une réponse graduée. Une fois les investigations menées auprès des professionnels concernés, une réponse est apportée, soit par courrier, soit lors d’un entretien. Très souvent, un échange en présence des professionnels concernés permet à chacun de rétablir la relation de confiance. Dans les situations particulières où le patient demande une réparation financière pour un préjudice qu’il estime avoir subi, le dossier est transmis à l’assureur de l’établissement en vue d’une analyse médico-légale. Dans le cadre d’une procédure amiable, le plaignant peut demeurer accompagné dans ses démarches, s’il le souhaite, par le directeur adjoint en charge de la qualité, gestion des risques et du contentieux. Concernant les situations spécifiques des infections nosocomiales, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, il est possible que les personnes considérant être victimes d’infections nosocomiales, ou leurs ayants droits, préfèrent intenter une action à l’encontre du CHPG. Dans tous les cas, nous demeurerons attentifs à la qualité de l’information et des échanges avec les patients, dans une démarche de respect, de confidentialité et d’écoute visant à favoriser le dialogue et la médiation. »

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