vendredi 29 mars 2024
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Infections nosocomiales : « Pour les victimes, c’est un peu le parcours du combattant »

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Si la reconnaissance du statut de victime et l’indemnisation relèvent bien souvent du parcours du combattant, les patients peuvent heureusement compter sur le soutien d’associations dans leur démarche. C’est le cas, par exemple, de l’aide aux victimes d’accidents médicaux (AVIAM Sud), qui accompagne chaque année une centaine de victimes du pourtour méditerranéen. Ses responsables, Christiane et Gérard Gläntzlen, ont accepté de répondre aux questions de Monaco Hebdo.

Qu’est-ce que l’Aviam ?

Christiane Gläntzlen : L’Aviam est une des seules associations à être agréée par le ministère de la santé français. Il existe d’autres associations qui se prétendent associations de victimes, mais qui sont en réalité des vitrines d’avocats. L’Aviam est une fédération. Il existe plusieurs délégations en France et chaque délégation est indépendante. Nous sommes, nous, en charge du sud de la France, toute la côte Méditerranée et la Corse. Nous sommes bénévoles, et nous travaillons en collaboration avec des médecins et des avocats, mais nous n’avons aucune subvention. Cela nous permet d’être libres, et de ne pas subir de pressions.

Comment êtes-vous arrivés à la tête de cette association ?

Christiane Gläntzlen : Nous avons repris cette association en 2002, suite au décès par chirurgie de notre fille, qui avait 26 ans à l’époque. Elle était mère d’une petite fille de 3 ans et demi. Il s’est avéré que cet accident médical était une faute médicale. Parce qu’il y a eu un procès en correctionnel avec plusieurs expertises qui ont démontré qu’il y avait une faute énorme. Nous avons donc repris l’association de ce fait. Nous nous sommes dit que nous étions à même de défendre les intérêts des victimes d’accidents médicaux car nous nous sommes rendu compte que c’était un peu le parcours du combattant pour les victimes.

Quels sont les rôles et les missions de votre association ?

Christiane Gläntzlen : Nous avons beaucoup appris, parce que nous nous sommes formés et autoformés pour pouvoir accueillir les victimes. D’abord, nous les écoutons et ensuite nous voyons avec elles ce qu’elles souhaitent faire. C’est-à-dire mener une action, contentieuse ou amiable, parce que maintenant il existe un dispositif « loi Kouchner » en France qui permet aux victimes de faire cette transaction amiable. Cela fonctionne de la même façon qu’une action contentieuse, sauf que cette procédure est gratuite, l’expertise également, et ça permet aux victimes de faire établir s’il y a eu une faute ou un aléa. Dans le cas où il s’agit d’un aléa, la victime est indemnisée par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).

« Les infections nosocomiales représentent environ 30 % de nos dossiers »

Comment cela se passe-t-il pour les infections nosocomiales ?

Christiane Gläntzlen : Pour les infections nosocomiales, c’est un peu différent, puisque la loi inverse la charge de la preuve. C’est-à-dire que c’est à l’établissement où a été contractée l’infection de prouver qu’il y a une cause étrangère à cette infection. Et quand ils ne peuvent pas le prouver, c’est à l’établissement d’assumer l’indemnisation des victimes.

Avez-vous déjà été sollicités par des personnes de nationalité monégasque ou résidant en principauté ?

Christiane Gläntzlen : Oui, c’est arrivé une dizaine de fois en vingt ans. En fait, ce sont des personnes qui habitent en France et qui ont été opérées à Monaco. Malheureusement, comme le fait générateur doit s’être passé en France, nous n’avons pas pu leur indiquer une voie. Nous pouvons les aider et les écouter, mais nous ne pouvons pas aller plus loin dans l’accompagnement.

Comment les victimes vous sollicitent-elles ?

Christiane Gläntzlen : C’est assez divers. La plupart du temps, les victimes trouvent nos coordonnées sur Internet ou par le biais des maisons de la justice. Ils peuvent aussi passer par des praticiens ou des assureurs.

Pourquoi viennent-ils vous voir ?

Christiane Gläntzlen : Souvent, ils nous contactent parce que les préjudices sont suffisamment importants et ils estiment avoir droit à des explications. Ils attendent donc souvent de l’expertise qu’elle établisse une éventuelle responsabilité. Ensuite, ils attendent une indemnisation parce que parfois, les préjudices sont tellement importants que ça bouleverse toute une vie et toute une famille. Il n’y a pas plus de victimes aujourd’hui. Mais elles sont de plus en plus informées, et elles savent qu’il y a possibilité d’obtenir gain de cause.

« Nous avons repris cette association en 2002, suite au décès par chirurgie de notre fille, qui avait 26 ans à l’époque. Elle était mère d’une petite fille de 3 ans et demi. Il s’est avéré que cet accident médical était une faute médicale »

Concrètement, quelles aides leur proposez-vous ?

Christiane Gläntzlen : Nous leur proposons une aide psychologique et juridique. Nous leur suggérons tout d’abord de récupérer leur dossier médical complet. Pour cela, nous leur envoyons un modèle de courrier. Ensuite, nous leur donnons l’éventail des possibilités. Si les préjudices sont suffisamment importants, nous leur proposons soit le contentieux, soit de préférence la commission de conciliation et d’indemnisation puisque cette procédure est rapide et gratuite. Si les préjudices sont relativement faibles, nous leur proposons de faire une transaction avec l’assureur. C’est quelque chose qui fonctionne parce que les assureurs, pour éviter une procédure contentieuse un peu lourde, acceptent parfois de transiger et de faire une proposition.

Avez-vous des conseillers juridiques au sein de votre association ?

Christiane Gläntzlen : Oui, bien sûr, nous avons des avocats avec qui nous travaillons en collaboration qui ne défendent que les victimes. Nous avons aussi des médecins de recours, mais ils ne font pas partie de l’association. C’est un carnet d’adresses que nous mettons à disposition et nous orientons les personnes qui le souhaitent, parce que la commission de conciliation et d’indemnisation, par exemple, ne nécessite pas forcément la présence d’un avocat. Mais, si les personnes le souhaitent, nous leur indiquons plusieurs coordonnées. En revanche, nous suggérons tout le temps la présence d’un médecin de recours au moment de l’expertise. Parce que l’expertise étant contradictoire, la partie adverse vient souvent avec le représentant, le médecin et l’avocat de l’assureur. Donc, pour éviter que la victime ne se retrouve seule face à eux devant l’expert, nous leur suggérons de prendre un médecin de recours.

Vos services sont gratuits ?

Christiane Gläntzlen : L’association demande 50 euros d’adhésion la première année, et 25 euros les années suivantes.

Les services de l’avocat sont à la charge de la victime ?

Christiane Gläntzlen : Oui, tout à fait. Sauf s’ils ont une protection juridique, qui peut intervenir pour les aider financièrement. C’est d’ailleurs l’une des premières questions que nous leur posons.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles sont confrontées les victimes ?

Christiane Gläntzlen : La principale difficulté, c’est l’expertise. En termes de responsabilité médicale, l’expertise est particulière, dans le sens où il faut que ce soit un praticien qui exerce encore, et qui, lui-même, peut se retrouver mis en cause dans un autre dossier pour un accident médical. L’indépendance est sujette à caution. Parfois même avec le même assureur. Si, par exemple, l’expert a le même assureur que le médecin mis en cause, on peut se poser la question de la partialité.

« Nous sommes bénévoles, et nous travaillons en collaboration avec des médecins et des avocats, mais nous n’avons aucune subvention. Cela nous permet d’être libres, et de ne pas subir de pressions »

Certaines victimes sont-elles contraintes de renoncer, faute de moyens financiers suffisants ?

Christiane Gläntzlen : Oui, ça arrive. Mais l’aide juridictionnelle au contentieux peut intervenir. En revanche, pour saisir la commission de conciliation et d’indemnisation, l’aide juridictionnelle ne fonctionne pas. Dans ce cas, les personnes qui souhaitent un avocat ou un médecin de recours, ou les deux, doivent faire l’avance des fonds. Elles peuvent par la suite éventuellement les récupérer si elles obtiennent gain de cause. Sachant que l’Oniam peut indemniser jusqu’à 750 euros les frais de représentation, si cela conclut à un aléa.

Votre association apporte-t-elle une aide financière aux victimes ?

Christiane Gläntzlen : Non, ce n’est pas possible, parce qu’avec 50 euros d’adhésion, nous ne pouvons pas faire grand-chose.

Combien d’adhérents comptez-vous aujourd’hui ?

Christiane Gläntzlen : Nous avons 1 400 adhérents, sachant que tous ne recotisent pas forcément les années suivantes. À partir du moment où ils sont indemnisés, la plupart ne renouvellent pas leur cotisation. Nous sommes un peu comme une association de consommateurs. Dès que les gens ont réglé leur problème, c’est fini.

De quels types d’accidents médicaux est-il question en général ?

Christiane Gläntzlen : L’infection nosocomiale est une des complications. Ensuite, les personnes peuvent présenter des complications qui sont anormales par rapport aux complications habituelles d’une intervention. Par exemple, une personne qui se retrouve en fauteuil roulant après l’opération d’une prothèse de genou, parce qu’il s’est passé un certain nombre de choses.

Quelle part représentent les infections nosocomiales dans les cas que vous défendez ?

Christiane Gläntzlen : Ce n’est pas la majorité des cas. Les infections nosocomiales représentent environ 30 % de nos dossiers.

Vous arrive-t-il parfois de refuser des dossiers ?

Christiane Gläntzlen : Oui, ceux qui nous mentent ou affabulent, car il y a des menteurs. Nous pouvons aussi refuser des dossiers psy très complexes. Car il est difficile de faire la part des choses quand les personnes nous décrivent leurs complications par rapport à un traitement ou à des soins psy. Nous sommes un peu en difficulté sur ces dossiers.

Pourquoi ?

Gérard Gläntzlen : D’abord, parce que les contraintes d’un médecin psy ne sont pas du tout les mêmes qu’en médecine générale. Quand nous demandons un dossier médical en médecine traditionnelle, c’est assez bien normé. Les professionnels savent ce qu’ils doivent fournir. En psy, c’est vraiment succinct et difficile à établir puisque les médecins ne sont pas obligés de donner les notes personnelles. Or, en psy, il n’y a pratiquement que des notes personnelles et le reste, ce sont des ordonnances.

Est-il difficile de se faire reconnaître comme victime ?

Gérard Gläntzlen : Ça dépend s’il s’agit de l’hôpital public ou d’un établissement privé. L’établissement public relève du tribunal administratif, donc c’est beaucoup plus long. Il faut compter au minimum trois ans. Les établissements privés relèvent eux du tribunal de grande instance, et c’est un peu plus court. Encore que parfois ça peut durer aussi très longtemps, selon la complexité du dossier. Ce qui est certain, c’est que le tribunal administratif, c’est trois ans minimum.

Christiane Gläntzlen : Et la difficulté au contentieux, c’est que même si les personnes obtiennent gain de cause en première instance, la partie adverse peut faire appel. Ce qui rallonge encore les délais.

« La médecine se décrédibilise toute seule. Même si on nous taxe de casser les vocations possibles des jeunes pour être médecin, ou de démolir la médecine, ce n’est pas le cas. Nous ne démolissons pas la médecine, on indexe les gens qui font de la médecine business, que ce soient les laboratoires comme les médecins, par rapport à d’autres qui font leur travail consciencieusement, avec beaucoup de dévouement »

Comment coûtent les frais de justice ?

Christiane Gläntzlen : Ça dépend des avocats et des régions. À Paris, les honoraires sont plus chers qu’en province.

Faut-il, selon vous, revoir les procédures ?

Christiane Gläntzlen : Nous sommes rentrés dans cette association par rapport à notre fille. Les choses étaient pourtant très claires, la faute du chirurgien a très vite été établie. À l’époque, le système de l’Oniam n’existait pas encore donc le dossier est passé en correctionnel. Aujourd’hui, il ne passerait plus en correctionnel. C’est très rare aujourd’hui qu’un médecin soit poursuivi en correctionnel à cause d’une erreur médicale. La loi de mai 2005 est apparue et a permis de faire en sorte que, pour que les familles ou les victimes soient indemnisées, il n’y ait plus lieu de passer par le tribunal pénal pour accélérer les procédures. Aujourd’hui, on ne passe plus que par la procédure civile. Sauf exceptionnellement, si les gens déposent plainte au pénal.

Certaines victimes renoncent-elles à demander réparation en raison de la lourdeur des procédures ?

Gérard Gläntzlen : Ça peut arriver. Mais nous sommes là pour les aider. Quand on voit le rapport d’expertise, on leur dit si le dossier est bon ou pas, on leur explique… S’ils veulent y aller malgré tout, on les aide aussi, mais différemment. Il n’y a pas d’abandon. Certains peuvent abandonner en cours de route, mais ça vient plutôt de leur entourage. Ils sont un peu découragés par leur famille proche. Mais d’eux-mêmes, c’est très rare.

Des associations comme la vôtre ne participent-elles pas d’une certaine façon à la décrédibilisation de la médecine ?

Gérard Gläntzlen : La médecine se décrédibilise toute seule. Même si on nous taxe de casser les vocations possibles des jeunes pour être médecin, ou de démolir la médecine, ce n’est pas le cas. Nous ne démolissons pas la médecine, on indexe les gens qui font de la médecine business, que ce soient les laboratoires comme les médecins, par rapport à d’autres qui font leur travail consciencieusement, avec beaucoup de dévouement. Et ils sont payés et sont considérés de la même façon. Il y a une vraie injustice vis à vis de ceux qui font bien leur boulot, qui heureusement sont beaucoup plus nombreux. Mais il faut bien chasser ceux qui le font mal, les détecter et les signaler. Les gens intéressés existent et ils font du dégât. Un document de la fédération hospitalière de France chiffre à 50 000 morts par an suite à ce qu’on appelle des événements indésirables graves.

Quel regard portez-vous sur vos 20 années à la tête de l’association ?

Gérard Gläntzlen : La loi a beaucoup évolué au niveau des droits des patients. Le problème, c’est que les professionnels de santé ne sont pas sanctionnés.

Christiane Gläntzlen : Il y a des lois qui, quand elles ne sont pas appliquées, ne sont pas sanctionnées. Et ça, les patients le comprennent mal. Par exemple, il y a souvent des personnes pour qui l’obligation d’information n’a pas été respectée, mais elle n’est pas sanctionnée.

Gérard Gläntzlen : Les patients ne connaissent pas bien leurs droits. Il y a une quinzaine d’années, on avait posé la question : comment peut-on faire pour que les droits des patients soient respectés ? La réponse a été simple : les usagers ne connaissent pas leurs droits. Ils ne vont commencer à s’en préoccuper que si un jour, ils ont un pépin.

Combien de personnes œuvrent au sein de votre association ?

Gérard Gläntzlen : Ça varie d’une région à une autre. À l’Aviam Sud, nous avons quelques adhérents qui nous donnent un coup de main, mais il faut bien reconnaître que nous sommes deux à faire fonctionner la machine pour une simple raison : il faut avoir une certaine expérience des dossiers. Et en matière de droit, en cas d’erreur, on pourrait y aller de notre poche. Nous sommes donc très prudents. Certaines régions, comme la Bretagne, ont des équipes un peu plus constituées.

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