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Procès des attentats du 13-Novembre :
« Un soulagement que justice ait été rendue »

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La cour d’assises spéciale de Paris a rendu son verdict, mercredi 29 juin 2022, dans le procès des attentats du 13-Novembre 2015. Après dix mois d’audience, des peines allant de 2 ans d’emprisonnement à la perpétuité ont été prononcées à l’encontre des 20 accusés. Adrien, salarié à Monaco, faisait partie des 2 500 parties civiles. Monaco Hebdo a recueilli son témoignage au lendemain de ce jugement historique.

C’est l’épilogue d’un processus judiciaire long et éprouvant pour les survivants et les familles des victimes. Près de sept ans après les attentats du 13-Novembre 2015, la cour d’assises spéciale de Paris a rendu son verdict, mercredi 29 juin 2022, à l’issue d’un procès hors norme. Pendant dix mois, témoins, victimes, experts et accusés se sont relayés à la barre pour tenter de faire toute la lumière sur ces attaques, qui ont fait 130 morts et 350 blessés à Paris et à Saint-Denis.

Peine maximale pour Salah Abdeslam

Parmi les vingt accusés (1), dix-neuf ont été reconnus coupables de tous les chefs d’accusation. Seul Farid Kharkhach a échappé à la qualification terroriste et a écopé d’une condamnation de deux ans d’emprisonnement ferme pour association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie. Une décision jugée « assez légitime » pour Adrien, qui s’appuie sur les témoignages recueillis durant les 148 jours d’audience, et qui rappelle que Farid Kharkhach est « le seul à s’être excusé dès qu’il a eu l’occasion de prendre la parole pendant le procès. Tous les autres se sont plaints de leurs conditions de détention ». À commencer par le principal accusé de ce procès, Salah Abdeslam, qui a été condamné à la perpétuité incompressible, la peine la plus lourde en droit français. Avant ce verdict, ils n’étaient que quatre criminels (Pierre Bodein, Michel Fourniret, Nicolas Blondiau et Yannick Luende Bothelo) à avoir écopé de cette sanction, très rarement prononcée. Le seul rescapé du commando terroriste, reconnu comme « co-auteur » des attentats, passera donc le reste de sa vie derrière les barreaux. Enfin, en théorie, puisqu’en pratique Salah Abdeslam pourra demander une révision de sa peine au bout de trente ans de prison, comme le prévoit la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH). S’il en fait la demande, le condamné aujourd’hui âgé de 32 ans devra, comme le veut la procédure, passer devant un juge d’application des peines. Mais il devra, en plus, se soumettre à une expertise pour évaluer son degré de dangerosité. La décision de mettre fin ou non au caractère incompressible de sa peine reviendra ensuite à cinq magistrats de la Cour de cassation. Les co-accusés du « combattant de l’État islamique » écopent, eux aussi, de lourdes peines. À l’image de Mohamed Abrini, l’« exécutant déserteur », reconnu coupable de complicité de meurtres et de tentatives de meurtres par la cour d’assises spéciale et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans. Une peine de trente ans de réclusion assortis d’une sûreté des deux tiers a été prononcée à l’encontre des « logisticiens » : le Suédois Osama Krayem, le Tunisien Sofien Ayari, et le Belgo-Marocain Mohamed Bakkali. Le convoyeur Mohammed Amri a écopé d’une peine de 8 ans d’emprisonnement, accompagnés d’une période de sûreté des deux tiers. La cour s’est, en revanche, montrée plus clémente avec les « petites mains », Ali Oulkadi, Hamza Attou et Abdellah Chouaa, qui comparaissaient libres, sous contrôle judiciaire.

Le principal accusé de ce procès, Salah Abdeslam, a été condamné à la perpétuité incompressible, la peine la plus lourde en droit français. Avant ce verdict, ils n’étaient que quatre criminels à avoir écopé de cette sanction

Les parties civiles partagées

Présent au Bataclan avec sa compagne au moment de l’attaque terroriste du 13-Novembre 2015, Adrien faisait partie des quelque 2 500 parties civiles de ce procès historique. Et, s’il ne s’est pas présenté devant la cour pour témoigner malgré des souffrances toujours vivaces, ce salarié de la principauté a suivi avec beaucoup d’attention les audiences retransmises via une webradio, spécialement créée pour l’occasion. Selon lui, le verdict rendu mercredi est satisfaisant « dans la mesure où chaque peine a été individualisée », et définie en fonction du degré d’implication des prévenus. Ce trentenaire salue en particulier la lourde condamnation du principal accusé, Salah Abdeslam : « Pour moi, il a perdu toute humanité. Et ce n’est pas avec ce procès qu’il en a regagnée à mes yeux. Ses excuses relèvent beaucoup plus de la stratégie que de l’honnêteté. […] La perpétuité incompressible prononcée à son encontre est, je trouve, parfaitement adéquate à ce pour quoi il était jugé. Que la cour ait pris le parti d’appliquer cette rare condamnation, me fait très plaisir ». Pour d’autres, en revanche, ce procès laisse un goût amer. « Les attentes des parties civiles n’étaient pas toutes les mêmes avant ce procès. Certaines personnes étaient plus dans un esprit de vengeance. Ce que je peux comprendre, car, personnellement, j’ai vécu un événement traumatique, mais je n’ai perdu personne. Et je pense que quand on a perdu quelqu’un, quand on a été blessé physiquement, ou quand la blessure psychologique a un impact beaucoup plus raisonnant qu’elle ne peut l’avoir sur moi aujourd’hui, la dimension peut être tout autre », reconnaît Adrien. Et de poursuivre : « Même si la qualité des débats et la gouvernance du juge Périès ont, à mon avis, été à la hauteur, je comprends que certaines personnes ne soient pas d’accord avec ce verdict. Nous avons vu aussi que les policiers belges ont fait un peu de langue de bois. Certaines théories qui avaient été abandonnées ont été rappelées pendant les débats, mais elles n’ont finalement pas été entendues par la cour. Je peux comprendre que certaines personnes ne soient pas satisfaites ».

Attentats 13 novembre Adrien
« Le fonds de garantie a la fâcheuse habitude de faire passer les victimes pour des personnes qui essaient de profiter du système. Alors que ce sont eux qui sont venus nous voir après les attentats pour nous informer que nous avions droit à une indemnisation. » Adrien. Rescapé du Bataclan. © Photo Clément Martinet / Monaco Hebdo

« Pour moi, Salah Abdeslam a perdu toute humanité. Et ce n’est pas avec ce procès qu’il en a regagnée à mes yeux. Ses excuses relèvent beaucoup plus de la stratégie que de l’honnêteté »

Adrien. Rescapé du Bataclan

« Un soulagement »

S’il n’attendait rien du verdict de ce procès comme il l’avait confié dans nos colonnes avant le début des audiences, Adrien se félicite tout de même d’avoir enfin obtenu des réponses à ses nombreuses questions. « J’avais envie d’en savoir plus. Non pas sur les accusés, mais sur le déroulé exact de l’attaque et de l’intervention de la police pour savoir mieux me situer dans la « timeline » [chronologie – NDLR] de l’évènement. J’ai obtenu quelques réponses avec les témoignages des agents de la BRI, et surtout du policier de la BAC [brigade anti-criminalité – NDLR] qui est entré en premier dans le Bataclan », explique-t-il, conscient que certaines de ses interrogations resteront à tout jamais sans réponse. Qu’à cela ne tienne, le jeune homme s’y était préparé : « Je n’ai pas attendu que le procès ait lieu pour que ma vie avance. Vu que je n’espérais pas grand-chose, j’aurais d’ailleurs tendance à dire que ça ne m’aide pas spécialement à faire le deuil. Mais je ne suis pas sûr que je me sentirais dans le même état si ça s’était mal passé », admet Adrien, le regard tourné vers l’avenir. « C’est un soulagement que ce procès soit fini et que la justice ait été rendue. […] Je me sens mieux. J’ai envie d’aller de l’avant, de me réapproprier autant que possible ma vie, et d’avoir de nouvelles perspectives. Et surtout, de ne pas me définir comme une victime au quotidien, mais d’être quelqu’un de lambda, insiste-t-il. J’ai envie d’avancer avec ce bagage sans l’oublier, sans le renier, sans faire comme si cela n’avait jamais existé. Mais, au contraire, d’en tirer une certaine force, en se disant que j’ai été capable de passer outre cette étape et de continuer à vivre malgré tout ».

« Les attentes des parties civiles n’étaient pas toutes les mêmes avant ce procès. Certaines personnes étaient plus dans un esprit de vengeance. Ce que je peux comprendre, car, personnellement, j’ai vécu un événement traumatique, mais je n’ai perdu personne »

Adrien. Rescapé du Bataclan

La lente indemnisation des victimes

La page judiciaire s’est donc refermée mercredi soir, mais une autre demeure toujours ouverte : celle de l’indemnisation. Comme plus de 2 600 victimes directes ou indirectes des attentats du 13-Novembre 2015, Adrien et sa compagne ont sollicité le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Mais près de sept ans après les faits, le couple n’a toujours pas reçu la moindre indemnisation de la part de l’État français. « Le processus n’est pas fini. Le problème vient du fait qu’aujourd’hui, le fonds de garantie a la fâcheuse habitude de faire passer les victimes, qui ont pris un avocat, et qui réclament une meilleure valorisation de leur indemnisation, pour des personnes qui essaient de profiter du système. Alors que ce sont eux qui sont venus nous voir après les attentats pour nous informer que nous avions droit à une indemnisation », confie d’un ton amer ce salarié monégasque. Face à cette lourdeur administrative, certaines victimes n’hésitent d’ailleurs plus à renoncer à leurs droits. « J’en ai fait la demande [d’indemnisation — NDLR], car un psychologue militaire m’avait conseillé de prendre tout ce qu’on me proposait, parce que cela participait justement à la résilience. Mais, aujourd’hui, on essaie de me décrédibiliser, en minimisant systématiquement l’impact de l’attentat sur ma vie, en disant que ce n’est pas clair, que ce n’est pas évident ». Alors, le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) compterait-il ses sous ? Dans une brochure de 21 pages publiée sur son site Internet (2), cet organisme financé essentiellement par un prélèvement obligatoire sur les contrats d’assurance de biens, présente le mode de calcul des préjudices. Celui-ci repose sur un certain nombre de critères, et notamment sur l’évaluation des souffrances sur une échelle de 1 à 7, avec des montants spécifiques accordés à chaque degré. Une méthode de calcul pas toujours bien vécue par les victimes : « Pour le coup, cela a tendance à nous ramener en arrière, car on passe du statut de victime à celui de profiteur. Et c’est terrible ». Depuis 2015, le Fonds de garantie a versé plus de 225 millions d’euros à 6 324 victimes du terrorisme.

1) Sur les 20 accusés, seuls 14 étaient physiquement présents dans le box des accusés. Les 6 autres, absents, étaient jugés par défaut, car présumés morts ou encore en fuite.

2) À lire sur : https://www.fondsdegarantie.fr/wp-content/uploads/2019/07/Guide-pour-l-indemnisation-des-victimes-dactes-de-terrorisme_juillet2019.pdf