mardi 16 avril 2024
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Lutte contre le changement climatique : le Haut Conseil pour le climat demande une accélération

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Dans son quatrième rapport annuel rendu le 29 juin 2022, le Haut Conseil pour le climat estime que, face au dérèglement climatique, et malgré un certain nombre de progrès, la France n’agit pas encore suffisamment.

Évidemment, le tableau n’est pas complètement noir. Mais on reste loin du compte. C’est, en substance, ce qu’indique le Haut Conseil pour le climat dans son quatrième rapport annuel 2022, publié le 29 juin 2022. Alors que l’urgence climatique est là, les politiques tardent, ou n’agissent pas de façon suffisamment forte. La prise de conscience et les solutions mises en place progressent, mais tout cela reste « insuffisant », estime cette instance indépendante créée en France le 27 novembre 2018, et présidée par la climatologue franco-canadienne à l’université britannique d’East Anglia, Corinne Le Quéré [à ce sujet, lire l’interview de Corinne Le Quéré publiée dans ce numéro, — NDLR]. Du coup, le Haut Conseil pour le climat demande une réaction de l’ensemble des pays, tout en expliquant qu’un tel effort pourrait aussi être une solution pour que la France puisse « réduire [sa] forte dépendance […] aux importations d’énergies fossiles et d’engrais minéraux ».

« L’empreinte carbone de la France, due pour moitié aux importations, diminue quant à elle depuis au moins 2010, mais reste 1,4 fois plus élevée que les émissions produites sur le territoire français », souligne cette instance indépendante

Insuffisant

Dans leur rapport de 180 pages qu’ils ont intitulé « Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions », le Haut Conseil pour le climat donne un premier chiffre qui confirme que beaucoup reste à faire. En 2021, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 6,4 % par rapport à 2020. Le retour à une activité quasi-normale, après la paralysie liée à la pandémie de Covid-19 explique en partie cela. Cependant, ces émissions restent plus faibles de 3,8 % par rapport à ce qui a été constaté en 2019. « Le rebond partiel des émissions en 2021 a remis la trajectoire en émission de la France à peu près sur sa trajectoire d’avant la pandémie de Covid-19, en 2019. Donc, les émissions ont diminué en France. Mais nous sommes toujours à un niveau qui se situe en dessous des 2 % par an, plus précisément à 1,9 % sur les deux dernières années », explique Corinne Le Quéré à Monaco Hebdo. Depuis 1990, les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 23 %, mais cela reste insuffisant. Dans un tel contexte, l’Union européenne (UE) a lancé en juillet 2021 son paquet européen « fit for 55 » [« ajustement à l’objectif 55 » — NDLR]. Objectif : réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 1990. L’objectif précédent avait été fixé à 40 %. Il va donc falloir considérablement accélérer pour atteindre ces chiffres, afin de parvenir à multiplier par plus de deux la baisse des émissions, et ainsi atteindre une diminution annuelle de -4,7 %. « Tous les grands secteurs émetteurs connaissent désormais une baisse de leurs émissions, qui est bien établie et structurelle dans les secteurs des bâtiments, de l’industrie et de l’énergie. Et qui reste à confirmer, dans les secteurs des transports et de l’agriculture », souligne le Haut Conseil pour le climat dans un communiqué de presse publié le 29 juin 2022. Les secteurs du bâtiment, de l’industrie et de l’énergie se sont lancés dans une baisse « structurelle » de leurs émissions. « Ces trois secteurs sont bien cadrés par les politiques publiques. Mais, malgré tout, la réduction des émissions pour ces secteurs doit encore accélérer. Le cadre est là, mais le niveau n’est pas encore là », estime Corinne Le Quéré.

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Tende, un village de 2 000 habitants, dans la vallée de la Roya, a également été durement touché par la tempête Alex, le 2 octobre 2020. © Photo Mairie de Breil-sur-Roya

« Inondations »

Pour les secteurs des transports et de l’agriculture, une baisse s’est amorcée, mais elle reste fragile. « L’empreinte carbone de la France, due pour moitié aux importations, diminue quant à elle depuis au moins 2010, mais reste 1,4 fois plus élevée que les émissions produites sur le territoire français », souligne cette instance indépendante. En attendant, les conséquences récentes sont connues, et elles risquent de se répéter. « En France, l’année 2021 a été marquée par plusieurs événements météorologiques remarquables, dont la probabilité d’occurrence ou l’intensité ont été accentuées par le changement climatique dû à l’influence humaine. Du fait d’un hiver doux, le développement précoce de la végétation l’a exposée à un épisode marqué de gel tardif en avril, qui a provoqué d’importants dommages pour les arbres fruitiers et la vigne. Le déficit pluviométrique réapparaît au printemps 2022, après une pause en 2021. Des pluies intenses ont provoqué des inondations dans les zones urbanisées et des dégâts sur les cultures fin 2021 », note le Haut Conseil pour le climat dans son rapport.

L’ensemble des mesures prises pour faire face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie « pourraient avoir des conséquences structurelles sur la trajectoire d’émissions à long terme, et nuire à l’atteinte des objectifs climatiques sectoriels, si ces mesures sont maintenues sur le long terme », indique le Haut Conseil pour le climat

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© Photo Mairie de Breil-sur-Roya

Directive européenne

Ce document détaille ensuite la situation secteur par secteur. Premier secteur en termes de pollution, les transports ont encore beaucoup de progrès à faire. « Les émissions du secteur des transports ont augmenté de 11,5 % en 2021 par rapport à 2020 pour atteindre 126 Mt éqCO2 (31 % des émissions nationales), mais restent 6,9 % sous leur niveau de 2019, selon les données préliminaires d’émissions », indique ce rapport. La hausse du nombre de voitures électriques (9,8 %) dans le total des immatriculations de voitures neuves en 2021 ne suffit pas. « La date de fin des ventes des véhicules thermiques, pour 2040 en France, est trop éloignée pour émettre un signal clair aux constructeurs automobiles, et n’est pas alignée avec le nouvel objectif européen », estime le Haut Conseil pour le climat. Enfin, la « stratégie de décarbonation de l’aérien n’est pas engagée, malgré les démonstrateurs technologiques et industriels », ce qui pèse beaucoup sur le bilan final. Dans le secteur de l’agriculture, qui compte pour 19 % des émissions, le bilan est contrasté. Si les émissions de l’agriculture affichent une trajectoire « respectant, à ce stade, les budgets carbones sectoriels fixés par la Stratégie Nationale Bas Carbone révisée (SNBC2), […] l’objectif de réduction du secteur pourrait doubler avec la prise en compte du paquet européen « Ajustement à l’objectif 55 »», souligne ce rapport. Du coup, dans le meilleur des scénarios, seulement la moitié des objectifs de diminution des émissions seraient atteints en 2030. Dans le secteur des bâtiments, qui représente 18 % des émissions en France, une baisse est en cours : « Les émissions du secteur des bâtiments ont diminué de 1,9 Mt éqCO2 par an sur le premier budget carbone (2015-2018), mais de 0,2 Mt éqCO2 par an seulement sur la période 2019-2021. La baisse annuelle devra dépasser les 3-4 Mt éqCO2 visés par la SNBC2 sur la période 2022-2030, pour anticiper l’ambition du nouveau paquet « Ajustement à l’objectif 55 »». En France, la règlementation environnementale du bâtiment neuf RE2020 « structure les stratégies des acteurs de la construction », note le Haut Conseil pour le climat, tout en soulignant qu’elle devra être alignée, suite à la révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments.

Énergies renouvelables

L’énergie, qui pèse pour 11 % des émissions s’affirme comme le « seul secteur dont les émissions réalisées sont significativement inférieures » aux objectifs. Mais les « mesures d’efficacité énergétique et de sobriété restent insuffisamment déployées », pendant que le réseau électrique français n’est pas « adapté à l’augmentation des capacités de production liée à l’électrification croissante des usages (mobilité, bâtiment, industrie), et à la nécessaire diversification des vecteurs énergétiques renouvelables ». Enfin, le déploiement des énergies renouvelables est jugé « insuffisant pour atteindre les objectifs 2030 actuels, qui seront renforcés par la nouvelle loi climat européenne ». En attendant, en 2021, l’énergie nucléaire a produit 69 % de l’électricité en France. Problème : « Le vieillissement du parc réduit son taux de disponibilité » et « les investissements annoncés dans le renouveau du parc prendront plus d’une décennie à se concrétiser », prévient le Haut Conseil pour le climat. Et il ne faut pas espérer une solution rapide en misant sur les énergies renouvelables. « Le développement de l’hydrogène décarboné pourrait permettre de répondre à des besoins de décarbonation ciblés (processus industriels, transport aérien et maritime, et éventuellement transport routier poids lourds), mais selon des échelles de temps qui restent incertaines », précise ce rapport.

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« En France, l’année 2021 a été marquée par plusieurs événements météorologiques remarquables, dont la probabilité d’occurrence ou l’intensité ont été accentuées par le changement climatique dû à l’influence humaine. » Le Haut Conseil pour le climat. © Photo Mairie de Breil-sur-Roya

« Les politiques d’adaptation souffrent d’un manque d’objectifs stratégiques, de moyens, et de suivi pour mettre en œuvre rapidement les actions nécessaires. En l’état, la France n’est pas prête à faire face aux évolutions climatiques à venir, qu’il s’agisse de stress chroniques liés à l’assèchement des sols ou d’événements extrêmes (submersions marines et inondations) »

Le Haut Conseil pour le climat

Puits naturels

Deux gros sujets viennent contrarier les efforts réalisés en faveur du climat. Le premier est lié au contexte international, avec la guerre en Ukraine. Face à la hausse des prix de l’énergie, le remplacement du gaz russe par du gaz naturel liquéfié (GNL) pourrait générer « à la fois des actifs échoués, et une augmentation de l’empreinte carbone de la France ». Plus globalement, l’ensemble des mesures prises pour faire face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie « pourrait avoir des conséquences structurelles sur la trajectoire d’émissions à long terme, et nuire à l’atteinte des objectifs climatiques sectoriels, si ces mesures sont maintenues sur le long terme », souligne ce rapport. Le second dossier qui inquiète, c’est l’absorption du CO2 par des puits naturels, comme, par exemple, les forêts ou les prairies. La baisse a été forte entre 2013 et 2019, avec un décrochage de 72 %, avant une hausse de 14 % en 2020, par rapport à 2019. Le Haut Conseil pour le climat explique cette situation par trois phénomènes : « Une diminution de la production biologique, une augmentation de la mortalité, et l’accroissement des prélèvements ». Face à ce constat, Corinne Le Quéré estime que la gestion des forêts « a vraiment besoin d’être revue, soutenue, et améliorée. Il faut replanter des arbres, pour gérer les forêts, de manière à ce qu’elles se régénèrent sur le long terme ».

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La « stratégie de décarbonation de l’aérien n’est pas engagée, malgré les démonstrateurs technologiques et industriels », ce qui pèse beaucoup sur le bilan final (ici l’aéroport de Nice). © Photo Aéroports de la Côte d’Azur

Gouvernance

Au rayon des bonnes nouvelles, la présidente du Haut Conseil pour le climat se félicite que la lutte en faveur du climat a été placée en France sous l’autorité de la Première ministre, Elisabeth Borne. La gouvernance pour le climat change de mains, et cela va dans le bon sens, jugent ces experts. À ce jour, trois ministères français ont déjà publié des plans climat : il s’agit du ministère de la transition écologique, du ministère de l’économie, et du ministère de l’agriculture. « Cela signifie que le gouvernement français est en train de mettre en place, ou a déjà mis en place, une déclinaison de sa stratégie nationale bas carbone au niveau de ses ministères. Cela va s’accélérer, avec le report de la responsabilité sous la Première ministre, car, du coup, tous les ministères seront concernés. Il faudrait maintenant que ces plans soient revus », estime Corinne Le Quéré. Car, pour le Haut Conseil pour le climat, aujourd’hui, la situation est très claire : « Les politiques d’adaptation souffrent d’un manque d’objectifs stratégiques, de moyens, et de suivi pour mettre en œuvre rapidement les actions nécessaires. En l’état, la France n’est pas prête à faire face aux évolutions climatiques à venir, qu’il s’agisse de stress chroniques liés à l’assèchement des sols ou d’événements extrêmes (submersions marines et inondations) ». Il reste donc encore beaucoup à faire, mais tout n’est pas négatif. À commencer par l’existence même du Haut Conseil pour le climat, et l’écoute qu’on lui accorde. Comme le souligne Corinne Le Quéré, même si cette instance indépendante n’existe que depuis 2018, sa voix semble porter de plus en plus, et personne ne vient contester ses conclusions. Il faut dire que les treize membres du Haut Conseil pour le climat sont des climatologues, des géographes, des agronomes, ou des économistes, qui sont « désignés pour cinq ans, et choisis pour leur expertise scientifique, technique, et économique dans le domaine du climat », rappelle un communiqué de presse. Si l’avis de ces membres n’est pas discuté, ils continuent de s’alarmer, de rapport en rapport. Sans constater pour autant de changements suffisamment radicaux pour enrayer un dérèglement climatique qui continue d’avancer, inexorablement.