vendredi 19 avril 2024
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Alexia Barrier : « Nous devons prendre plus soin de l’océan »

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Femme de défis, Alexia Barrier est aussi et surtout une navigatrice engagée pour la planète. L’Azuréenne raconte à Monaco Hebdo le combat qu’elle mène, notamment aux côtés de la fondation prince Albert II et du musée océanographique, pour la préservation des océans. Interview.

En tant que navigatrice, vous êtes une témoin privilégiée du changement climatique : quel état des lieux dressez-vous de la santé des océans ?

Nous voyons de plus en plus de pollution de macrodéchets. En travaillant avec les scientifiques, je sais que le pire danger aujourd’hui pour l’océan, c’est le CO2 et le microplastique, des choses invisibles à l’œil nu. Mais, comme nous avons pu le voir avec le Covid-19, ce sont les plus petits virus qui peuvent nous atteindre le plus violemment. Il est important de comprendre que cette pollution vient de la terre, et qu’il faut changer nos habitudes de consommateur. Quand nous achetons quelque chose, nous devons réfléchir sur le comment ça a été produit, combien de temps nous allons l’utiliser, et est-ce que nous en avons vraiment besoin ? Parce que le plastique ne disparaît pas comme par magie. Il est juste au fond de l’océan. Cet océan que nous ne connaissons pas beaucoup finalement. Je crois que nous ne connaissons que 12 % de la totalité de l’océan, alors que c’est lui qui nous offre une respiration sur deux, qui absorbe 70 % du CO2 que nous émettons et qui nous donne énormément de ressources nécessaires à la vie. Nous devons prendre plus soin de l’océan. En tant que témoin privilégiée, c’est ma première préoccupation aujourd’hui.

Comment cette pollution a-t-elle évolué au cours de la dernière décennie ?

Il y a une dégradation. Il y a de plus en plus de pollution, et également de plus en plus de phénomènes météo violents, d’ampleur, et qui durent longtemps. Le changement climatique est en route. « Le pire danger aujourd’hui pour l’océan, c’est le CO2 et le microplastique, des choses invisibles à l’œil nu. Mais comme nous avons pu le voir avec le Covid-19, ce sont les plus petits virus qui peuvent nous atteindre le plus violemment »

Vous avez tissé des liens particuliers avec la fondation prince Albert II et le musée océanographique : quelles actions menez-vous à leurs côtés pour sensibiliser à la protection des océans ?

Sur le Vendée Globe, j’avais vraiment la tête dans le guidon et je n’ai pas collaboré, ou proposé de collaboration, aux institutions avec qui je travaille depuis dix ans à Monaco. Avec The Famous Project, je veux vraiment raccrocher les wagons et mener ce projet d’envergure la main dans la main. Car nous avons tous évolué, des programmes ont émergé. Je pense notamment au programme Immersion au musée océanographique, où l’on peut plonger en réalité virtuelle. C’est super intéressant. Il y a donc vraiment des points d’accroche et des projets que nous pourrons envisager ensemble dans les quatre prochaines années.

« Il y a des skippers qui sont 100 % compétition et qui, finalement n’accordent pas trop de temps ou d’intérêt à la préservation de l’océan. Ils peuvent parfois mettre sur leurs voiles « Sauvons la planète », mais derrière, il n’y a pas vraiment d’actions concrètes »

D’où vous est venu cet engagement en faveur de l’environnement ?

J’ai grandi sur la Côte d’Azur [Alexia Barrier est originaire de Biot — NDLR], donc j’ai toujours été au contact de la mer ou de la montagne, avec des parents qui nous ont toujours appris à respecter la nature. Plus tard, en arrivant à Monaco pour tirer mes premiers bords en course en voilier habitable, j’ai connu un peu l’histoire du prince Albert Ier qui m’a vraiment impressionnée. Je me suis alors intéressée aux actions de la principauté et du souverain sur l’océan notamment. D’autres personnes m’ont aussi inspirée, comme Mike Horn en tant qu’explorateur, Jean-Louis Étienne qui a été directeur du musée océanographique [de 2007 à 2008 – NDLR] et différents acteurs de la principauté qui agissent pour l’environnement. C’est assez impressionnant de pouvoir faire autant de choses sur la biodiversité, sur l’océan. Tara Expéditions est aussi un acteur majeur de la préservation de l’océan. Toutes ces personnes m’ont inspirée, au fil des années.

Êtes-vous inquiète pour la santé des océans ?

La prise de conscience existe, mais à différentes échelles de la société. Elle est plus ou moins rapide. J’aimerais que les gouvernements prennent de vraies décisions aujourd’hui. Mais on ne peut pas dire ça, et ne rien faire en même temps. Les citoyens doivent aussi se rendre compte à quel point il peut être sympa et sexy de vivre plus en harmonie avec la nature, que ça nous apporte plein de choses bénéfiques. Ça m’inquiète, mais quand je parle aux écoliers, aux collégiens, je me rends compte qu’il y a quand même un changement de mentalité dans les nouvelles générations, et cela me donne énormément d’espoir. C’est la raison pour laquelle je continue à les embarquer dans mes aventures maritimes, parce que nous effectuons un travail qui apporte de vrais changements de la société.

Vous comptez donc beaucoup sur l’engagement de la jeune génération ?

La jeune génération est très impliquée, et elle a déjà conscience de ce qui se passe. Y compris chez les plus petits, au CP. Ils essaient aussi de convaincre leurs parents de modifier leurs comportements. Ces jeunes ont plein d’idées et plein de questions aussi. Et avec 4MyPlanet [association créée par Alexia Barrier — NDLR], l’un de nos sujets principaux, c’est aussi de donner la parole aux enfants, de les écouter, de leur donner un espace d’expression. Parce qu’ils ont beaucoup de choses à apporter pour ce nouveau monde que nous sommes en train de créer ensemble.

Alexia Barriere
© Photo Alexia Sailing Team

Quelles actions menez-vous auprès des plus jeunes ?

Je passe beaucoup de temps dans les écoles. Parfois, les gens pensent que je me dédouble ou que je me détriple, puisque je suis à la fois sur le volet entrepreneur, sportif, mais aussi associatif. Des enfants ont suivi mon bateau lors du Vendée Globe. Tous les matins ils se réveillaient avec leur chocolat chaud et leur tablette pour voir où j’étais. Quand ils me rencontrent en vrai, j’essaie de leur faire comprendre que ce que l’on fait quand on navigue ce n’est pas de la téléréalité, ce n’est pas du « fake » [du faux — NDLR], c’est du vrai. Je leur montre aussi que je suis intéressée par ce qu’ils peuvent nous apporter. C’est un vrai échange.

Comment parler de protection environnementale aux enfants ?

Avec 4MyPlanet, nous avons des kits pédagogiques. Nous parlons de la navigation, des différents bateaux, du parcours… et il y a quelques pages sur la pollution, le plastique. Nous abordons différentes thématiques, comme l’environnement, l’électricité, car quand nous sommes sur un bateau, nous sommes en totale autonomie. Nous fabriquons notre propre eau potable et notre propre électricité. Montrer qu’il est possible de vivre avec des ressources limitées est un très bon exemple pour comprendre qu’on peut changer. Nous pouvons aussi leur lancer de petits challenges. Par exemple, pendant le Vendée Globe, je leur avais demandé de ne pas utiliser de plastique pendant une semaine. À la fin, je leur ai expliqué que ce n’était pas grave s’ils n’avaient pas réussi, parce qu’il est quasiment impossible de vivre sans plastique dans notre société. Mais ce petit challenge leur a permis de prendre conscience que ce qu’ils ont, ce qui leur appartient, ce qu’ils touchent, ce qu’ils veulent, ce qu’ils achètent… a un impact sur la planète.

« Je ne sais plus à combien de rapports du GIEC et à combien de COP nous sommes. Si en bateau, j’agissais de la même manière que les dirigeants des grands pays, ça ferait longtemps que je me serais pris une falaise, un rocher, ou que j’aurais coulé. À un moment donné, il faut agir et arrêter de se poser trop de questions »

Vous intervenez à travers votre association 4MyPlanet : quel est son objectif ?

J’ai créé 4MyPlanet il y a douze ans. À l’époque, je partais pour ma première tentative de tour du monde au départ de Monaco avec le soutien de la fondation du prince Albert, de l’institut océanographique et du Yacht Club de Monaco. J’arrivais d’une course transatlantique que nous avions gagnée en équipage. Et au lieu d’être contente d’avoir gagné la course, j’étais écœurée par le nombre de déchets près des côtes anglaises. Du coup, lorsque j’ai construit ce projet de tour du monde en solitaire pour m’entraîner, je me suis dit qu’il fallait aussi, et surtout, que ce soit pour contribuer à la préservation de l’océan. J’ai donc créé 4MyPlanet avec deux volets principaux : la science et l’éducation.

Quand on est navigateur ou navigatrice, on est forcément engagé ?

Tous les navigateurs ne s’engagent pas concrètement. Tous y sont sensibles, puisque c’est notre terrain de jeu. Nous passons parfois 200 jours par an sur l’eau. En revanche, il y a des skippers qui sont 100 % en compétition et qui, finalement, n’accordent pas trop de temps ou d’intérêt à la préservation de l’océan. Ou en tout cas, ne s’engagent pas vraiment pour ça. Ils peuvent parfois mettre sur leurs voiles « Sauvons la planète », mais derrière il n’y a pas vraiment d’actions concrètes. Moi, ce qui m’intéresse ce sont les actions concrètes, de voir que les choses évoluent, et d’être au contact des scientifiques et des jeunes. Cela m’intéresse autant que la compétition. Je ne ferais plus de compétition si je n’avais pas 4MyPlanet.

Selon vous, les dirigeants en font-ils assez pour la protection des océans ?

Je ne sais plus à combien de rapports du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat — NDLR] ; et à combien de COP [conférence des parties – NDLR] nous sommes. Si en bateau, j’agissais de la même manière que les dirigeants des grands pays, ça ferait longtemps que je me serais pris une falaise, un rocher, ou que j’aurais coulé. À un moment donné, il faut agir et arrêter de se poser trop de questions. Les faits sont là, nous avons des chiffres. Des éminents scientifiques nous conseillent avec bienveillance. Il y a, je pense, pas mal de choses faciles à mettre en œuvre sur les sujets du plastique et de la mobilité notamment. Et cela pourrait vraiment apporter une grande respiration à notre jolie planète bleue.

Les partenaires et les sponsors des courses de voile sont-ils sensibles à cette cause ?

Il est clair que les partenaires qui s’engagent à nos côtés ont des valeurs communes. Nous ne leur demandons pas d’être parfaits en termes de RSE [responsabilité sociétale des entreprises — NDLR], mais d’avoir, en revanche, une vraie volonté d’évolution et de progression. Les partenaires de la voile ont besoin de contenus, et de travailler sur ces valeurs en externe pour leur image et leur notoriété mais aussi en interne, pour changer les habitudes de fonctionnement. C’est donc un accélérateur. Quand on voit un skipper se démener sur son bateau en solitaire, je pense que ça donne aussi envie aux collaborateurs d’essayer de s’impliquer et de faire bouger les choses. La voile, c’est vraiment un sport qui facilite les changements profonds dans les sociétés.

Si vous aviez un message à faire passer, ce serait lequel ?

À l’occasion de la Journée mondiale de l’océan [cette interview a été réalisée mercredi 8 juin 2022 — NDLR], mon message c’est de prendre soin de ce navire qui nous fait voyager dans l’univers en étant des citoyens « consomacteurs » et de prendre soin les uns des autres.

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