jeudi 25 avril 2024
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Gratuité des bus – Guillaume Rose : « Depuis le début, le gouvernement s’est plié de mauvaise grâce à notre demande »

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Alors que les bus de la principauté sont redevenus payants depuis le 3 janvier 2023 (1), le Conseil national n’entend pas relâcher sa pression sur le gouvernement pour obtenir leur gratuité. « À aucun moment, il n’a été recherché un vrai compromis », assure à Monaco Hebdo l’élu de la majorité et président de la commission environnement et qualité de vie du Conseil national, Guillaume Rose, qui estime que le gouvernement n’a pas vraiment joué le jeu dans ce dossier. Interview.

Lors des dernières séances budgétaires en décembre 2022, le Conseil national a réclamé une prolongation du test de la gratuité des bus jusqu’au mois de mars 2023 : pourquoi avez-vous formulé cette demande ?

Les critères de mesure fixés par le gouvernement ne correspondaient en rien à une réalité atteignable. C’était bien évidemment volontaire. Le Conseil national n’a cessé de dénoncer ce parti pris, notamment par ma voix. À mes yeux, le gouvernement a souhaité profiter de l’approche de la période électorale pour se débarrasser vite d’une question épineuse.

Qu’aurait pu apporter cette nouvelle prolongation ?

Nous aurions aimé que cette prolongation laisse au Conseil national suivant la possibilité de discuter d’une pérennisation d’un essai qui, de notre point de vue, avait fonctionné.

« Le gouvernement s’en est tenu aux critères qu’il avait unilatéralement fixés. Il a surtout veillé à ne pas ouvrir le débat »

Malgré votre demande, le test de la gratuité des bus a pris fin, comme prévu, le 2 janvier 2023 : quelle est votre réaction ?

Depuis le début, le gouvernement s’est plié de mauvaise grâce à cette demande du Conseil national. À aucun moment, il n’a été recherché un vrai compromis. La date du 2 janvier ne correspondait pas à ce que nous souhaitions, mais aucune possibilité de discussion ne nous a été offerte.

Le gouvernement vous a-t-il expliqué les raisons qui l’ont poussé à ne pas accéder à votre demande ?

Le gouvernement s’en est tenu aux critères qu’il avait unilatéralement fixés. Il a surtout veillé à ne pas ouvrir le débat. La décision était prise en amont et c’était manifeste. La période d’essai a été considérée d’emblée comme un immense effort gouvernemental destiné à apaiser les demandes des élus. Plus question alors de faire un nouveau pas vers l’autre.

Bus Gratuit Monaco
« Le Conseil national poursuivait deux objectifs : diminuer la tentation des résidents de prendre leur voiture pour les déplacements intra-muros, et améliorer la qualité de vie en instaurant le réflexe de l’accès au bus sans aucune formalité, ce qui favorise la fluidité de la circulation de ces bus et donc la fluidité en général. » Guillaume Rose. Président de la commission environnement et qualité de vie du Conseil national. © Photo Raphaël Brun / Monaco Hebdo

Lors d’une conférence de presse organisée fin septembre 2022, la conseillère-ministre de l’équipement, de l’environnement et de l’urbanisme, Céline Caron-Dagioni avait clairement laissé entendre qu’il n’était pas question de pérenniser la gratuité des bus en principauté : comment avez-vous accueilli ses déclarations intervenues avant même le début de l’expérimentation ?

L’absence de volonté du gouvernement de sérieusement étudier la question a été exprimée en amont, puis réitérée pendant et après l’expérimentation. Je pense que cela restera un échec manifeste du dialogue entre Conseil national et gouvernement. Malheureusement pas le seul de cette mandature, lorsque l’on pense par exemple au projet de loi sur les éligibilités sur lequel le Conseil national souhaitait pourtant le consensus… Je formule le vœu que la prochaine mandature recueille plus de respect dans sa recherche de dialogue. Le plan logement ne doit pas rester une exception.

« Une enquête a été réalisée, dont nous n’avons pas eu communication des résultats. Mais, selon nos propres réseaux, cette expérimentation était clairement en voie de devenir un vrai succès. Les bonnes habitudes naissaient »

Le test de gratuité des bus a été lancé début octobre 2022, sans que des seuils d’analyse objectifs soient clairement définis pour juger de l’efficacité de la mesure : quels étaient les points d’achoppement entre le gouvernement et le Conseil national ?

C’est assez simple. Le Conseil national poursuivait deux objectifs : diminuer la tentation des résidents de prendre leur voiture pour les déplacements intra-muros, et améliorer la qualité de vie en instaurant le réflexe de l’accès au bus sans aucune formalité, ce qui favorise la fluidité de la circulation de ces bus et donc la fluidité en général. Pour cela, il fallait du temps. Que les habitudes puissent être prises. Le gouvernement ne souhaitait pas que nous en arrivions là, il a donc commencé par fixer une durée courte d’expérimentation, puis instauré un critère de maintien qui n’avait aucun rapport avec la gratuité des bus. Chacun sait que la diminution notable du trafic à Monaco dépend principalement de la quantité de travailleurs pendulaires qui utilisent leur voiture pour venir travailler à Monaco. Or, s’ils ne disposent pas de parkings-relais à l’entrée de Monaco, ces mêmes pendulaires ne sont pas concernés par nos bus, gratuits ou pas. C’est normal : une fois arrivés à la frontière de la principauté, comment rentrent-ils chez eux ? Le gouvernement a démontré un réel talent pour arriver à faire semblant de ne pas s’être posé cette question.

Depuis quelque temps, il n’est plus vraiment question de ces seuils, mais de réaliser un travail d’image en faveur de Monaco : pourquoi ce revirement ?

Si la question est : devions-nous soutenir une action à tout prix pour qu’on parle de la préoccupation de fluidifier la circulation du Conseil national ? La réponse est « non ». Si notre expérimentation avait mené à un échec, nous l’aurions reconnu. Du point de vue des deux critères énoncés plus haut, elle était, à nos yeux, un succès. Une enquête a d’ailleurs été réalisée, dont nous n’avons pas eu communication des résultats. Mais, selon nos propres réseaux, cette expérimentation était clairement en voie de devenir un vrai succès. Les bonnes habitudes naissaient.

Le gouvernement met en avant le faible report modal de la voiture vers les transports en commun : partagez-vous ce constat, et comment l’expliquez-vous ?

Comme je l’expliquais précédemment, les critères du gouvernement pour juger d’une notable diminution de la circulation incluaient sans vergogne les entrées de véhicules dans Monaco. On ne peut partager un constat aussi peu objectif.

Comment convaincre les plus réfractaires aux transports en commun ?

Tout est une question de prise d’habitude. Les vélos électriques ont gêné les conducteurs de voitures et même de deux roues au début, maintenant ils s’habituent à les voir sur la route. Il en est de même pour les trottinettes. Avant de disposer de cartes de bus gratuites, les retraités prenaient souvent leur voiture ou se faisaient transporter par leurs proches. Maintenant ils forment la principale clientèle des bus et ils ont gagné en mobilité. Les bons réflexes ne s’acquièrent pas en un jour, mais il n’y a qu’un sens à l’Histoire.

La principauté ne se heurte-t-elle pas à une certaine réalité sociologique ?

Si cette réalité sociologique est que notre croissance engendre de la circulation, je crois qu’il faut comprendre que Monaco ne reviendra pas à une population de résidents et de travailleurs au niveau de celle des années 80, où il y avait une meilleure qualité de vie et moins d’embouteillages. Si nous y revenons un jour, cela voudrait dire que notre modèle économique, politique et sociétal a complètement échoué, et que nous n’attirons plus personne. Qui le souhaiterait ? Tout ce que nous pouvons faire par rapport à notre réalité sociologique est de limiter les dégâts par une série de mesures croisées, fortes et déterminées. La gratuité des bus en faisait partie. De ce côté-là on repart à zéro…

La question du coût de la gratuité, estimé à environ 5 ou 6 millions d’euros par an, a aussi été évoquée par le gouvernement : est-ce, à vos yeux, un argument suffisant pour justifier la fin de la gratuité ?

Aujourd’hui, la Compagnie des autobus de Monaco (CAM) est largement déficitaire. L’État doit déjà considérablement mettre la main à la poche, ce qui est tout à fait normal, et qui se fait dans le monde entier, car les transports en commun doivent être accessibles à tous pour qu’une économie fonctionne normalement. Je pense à titre tout à fait personnel que le véritable coût d’une complète prise de contrôle par l’État de la CAM, condition probable préalable à la vraie gratuité, ne serait donc pas aussi élevé qu’on le présente aujourd’hui. Une fois indemnisés les administrateurs payants inhérents à une société privée, les coûts d’exploitation de cette société publique deviendraient mécaniquement bien inférieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui. Inutile de dire que l’État en a largement les moyens.

Rendre pérenne la gratuité des bus pourrait aussi avoir des conséquences sur certains salariés de la CAM : comment éviter la casse sociale liée à l’adoption d’une telle mesure ?

Cette possibilité plaiderait pour une prise en main par l’État de ce service public, et je n’ai jamais entendu de personnel travaillant pour une société d’État à Monaco se plaindre de leur employeur…

« L’absence de volonté du gouvernement de sérieusement étudier la question a été exprimée en amont, puis réitérée pendant et après l’expérimentation. Je pense que cela restera un échec manifeste du dialogue entre Conseil national et gouvernement. Malheureusement pas le seul de cette mandature »

En 2021, le gouvernement a déployé un système de dématérialisation des titres de transports, avec le lancement d’une application mobile et la mise en place de bornes à l’intérieur des bus : la gratuité des bus n’aurait-elle pas dû être expérimentée avant ces investissements ?

Elle était réclamée par le président Stéphane Valeri depuis le début de la mandature [en février 2018 — NDLR], mais, là non plus, nous n’avons pas eu la maîtrise du calendrier.

Depuis le 3 janvier 2023, le gouvernement a décidé d’opter pour la dématérialisation totale des titres de transports : qu’en pensez-vous ?

Je pense, bien sûr, que c’est une avancée. Malheureusement, c’est une demi-mesure de plus parmi d’autres petits pas. Résoudre les problèmes de qualité de vie réclame des mesures croisées et plus déterminées.

Avec la fin de ce test, avez-vous fait une croix sur la gratuité des bus en principauté ?

Certainement pas ! Et si les Monégasques accordent leurs suffrages à la liste d’Union, ils pourront compter sur le Conseil national pour faire aboutir, parmi d’autres, cette revendication, que je continuerai, à titre personnel, à porter, si j’ai le privilège d’être réélu. Je suis persuadé que l’avenir nous donnera raison.

Que prévoyez-vous pour obtenir gain de cause ?

La patience et la détermination. Celles du Conseil national fort et uni, qui pourrait sortir des urnes.

1) A ce sujet, lire notre article Les bus gratuits, c’est fini, publié dans Monaco Hebdo n° 1269.