vendredi 19 avril 2024
AccueilPolitiqueGratuité des bus : le gouvernement n’est « pas convaincu »

Gratuité des bus : le gouvernement n’est « pas convaincu »

Publié le

À l’occasion des débats autour du budget primitif 2023, les élus du Conseil national ont demandé à ce que le test de gratuité des bus, qui a débutée le 3 octobre 2022, soit prolongé jusqu’au mois de mars 2023. De son côté, le gouvernement s’est montré très réticent.

Le test concernant la gratuité des bus à Monaco a une nouvelle fois alimenté les débats au Conseil national, pendant l’examen du budget primitif 2023. Le 9 décembre 2022, autour de 22 heures, c’est l’élue de la majorité Priorité Monaco (Primo !), Nathalie Amoratti-Blanc, qui a évoqué ce test, en le qualifiant de « réussite » pour les élus, ou « a minima, comme un progrès », affirmant avoir « constaté une augmentation de la fréquentation des bus. » Cette conseillère nationale s’est donc dite convaincue qu’il fallait prolonger ce test de gratuité, « au moins jusqu’au mois de mars 2023 », parce qu’une période de quatre mois, c’est la durée « minimum pour pouvoir appréhender les réels effets et les bénéfices » de cette gratuité. « Cette mesure incitative est un marqueur fort de l’engagement de Monaco pour une principauté durable », a conclu Nathalie Amoratti-Blanc. Pour lui répondre, la conseillère-ministre pour l’équipement, l’environnement, et l’urbanisme, Céline Caron-Dagioni a largement tempéré cet enthousiasme. Elle a commencé par souligner que deux réunions avaient eu lieu avec les élus pour définir les deux critères « objectifs » permettant d’analyser les effets de la gratuité des bus : la fréquentation des bus, mais aussi le report modal du trafic interne à la principauté des véhicules vers le bus, ont été retenus par ces deux institutions. En revanche, aucun seuil équivalent pour ces deux thèmes n’a été trouvé, mais le lancement du test a tout de même été effectué, a rappelé la conseillère-ministre, avant de donner quelques indications sur les premiers résultats de ce test : « Nous n’atteignons même pas le seuil de report modal qui était bien inférieur à celui proposé par le gouvernement aux élus. Aujourd’hui, le report modal est de l’ordre de l’opportunité. Il s’agit de piétons qui prennent le bus à certaines heures de pointe. La mobilité des véhicules en ville est toujours aussi forte qu’avant. Au-delà du temps nécessaire pour changer les habitudes, il faut aussi comprendre pourquoi les gens ne laissent pas leur voiture pour le bus. » Céline Caron-Dagioni a aussi évoqué une utilisation « opportuniste » de cette mesure de gratuité : « Quelqu’un marche, voit le bus gratuit, et le prend pour un arrêt seulement. Cela ralentit donc aussi la vitesse commerciale. »

Thomas Brezzo Conseil National
« Ce n’est pas un test de gratuité des bus de deux mois qui va faire changer les habitudes des gens. Il faut un test beaucoup plus long pour inciter la population à prendre davantage ce moyen de transport. » Thomas Brezzo. Élu Primo !. © Photo Conseil National

« Nous ne sommes pas convaincus, parce que le report modal est un point important. Et, apparemment, ce report modal n’existe pas. Nous avons le droit de ne pas être d’accord avec vous »

Pierre Dartout. Ministre d’État

Coût

Cette gratuité a aussi un coût pour les finances de l’État, a indiqué Céline Caron-Dagioni. Cet élément est l’un des arguments qui contribue à expliquer la fin de ce test, prévue pour le 2 janvier 2023, après avoir débuté le 2 octobre 2022. Un argument balayé par l’élu Primo ! Thomas Brezzo, qui a jugé que « trois millions d’euros par an ne représentent pas grand-chose au regard de l’intérêt que véhicule cette mesure pour l’image de la principauté, qui se veut favorable à la préservation de l’environnement. Le coût ne doit pas être une excuse pour dire que nous ne pouvons pas mettre en place cette mesure ». Si la conseillère-ministre pour l’équipement, l’environnement, et l’urbanisme a admis que l’impact sur le budget de l’État de cette gratuité n’était pas le seul élément à prendre en compte, elle a également précisé que ce choix ne coûterait pas 3 millions d’euros, mais « plus de 5 millions d’euros par an, car il faut aussi prendre en compte les fortes recettes estivales. De plus, ces 5 millions d’euros seront soumis à réévaluation, puisque les personnels bénéficient d’évolutions de salaires. De plus, aux heures de pointes, les usagers des bus estiment que le service est dégradé. Il faudrait donc, en plus, rajouter des lignes supplémentaires gratuites. On sera donc à 5 millions au plancher, voire à 5,5 ou à 6 millions d’euros par an, selon l’évolution des coûts. C’est soutenable, mais ce n’est pas anodin. »

« On peut comparer cette somme de 6 millions pour un an de gratuité des bus à celle qui est consacrée au relogement des Monégasques de l’immeuble le Bel Air : nous en sommes déjà à 12 millions d’euros. Donc la somme n’est absolument pas un argument »

Brigitte Boccone-Pagès. Présidente du Conseil national

« Leviers »

Les résultats des questionnaires proposés aux usagers de la compagnie des autobus de Monaco (CAM), et imaginés par le gouvernement et les conseillers nationaux, feront l’objet d’une réunion entre les élus et Céline Caron-Dagioni début 2023. Ces questions ont notamment pour objectif de chercher à cerner les raisons qui poussent le gens à ne pas délaisser leur voiture pour prendre les bus, même s’il est gratuit. « On verra alors si le prix est vraiment incitatif, ou s’il y a autre chose. D’après les premières remontées d’information, ce n’est pas le prix qui pose vraiment problème, même si quand c’est gratuit, tout le monde est content. En revanche, les chauffeurs de la CAM ressentent une certaine dégradation du rôle qu’ils peuvent avoir, parce que les gens ont moins de respect pour eux quand ils entrent dans le bus », a raconté la conseillère-ministre pour l’équipement, l’environnement, et l’urbanisme. Nathalie Amoratti-Blanc a repris la parole, estimant que tant qu’il n’y aurait pas de parkings relais de grande capacité aux entrées Est et Ouest de Monaco, il n’y aurait pas de changement des habitudes en faveur des bus de la CAM. « Même si le bus est gratuit, les voitures continuent d’affluer le matin à Monaco-Ville pour laisser les enfants à l’école. Il y a donc autre chose à comprendre pour pouvoir accompagner cette mobilité. Il faut comprendre quels sont les leviers à actionner pour que la population de la principauté accepte d’abandonner sa voiture un peu plus souvent au parking », a ajouté Céline Caron-Dagioni.

Musclé

Mais pas question de lâcher, a promis la présidente du Conseil national, Brigitte Boccone-Pagès : « Nous donnons rendez-vous à Madame Céline Caron-Dagioni pour revenir sur ce sujet en janvier 2023, car nous tenons à cette mesure. On peut comparer cette somme de 6 millions pour un an de gratuité des bus à celle qui est consacrée au relogement des Monégasques de l’immeuble le Bel Air : nous en sommes déjà à 12 millions d’euros. Donc la somme n’est absolument pas un argument. » Puis Brigitte Boccone-Pagès s’est adressée au ministre d’État, Pierre Dartout, pour connaître son avis. « J’ai bien compris que vous étiez déterminée. Et j’ai bien compris aussi que, nous-mêmes, nous ne sommes pas convaincus, comme l’a expliqué Céline Caron-Dagioni, parce que le report modal est un point important. Et, apparemment, ce report modal n’existe pas. Nous avons le droit de ne pas être d’accord avec vous », a répondu Pierre Dartout. Prenant acte de cette position, la présidente du Conseil national n’a pas désarmé, bien au contraire : « Rendez-vous dans quelques semaines, alors. Parce que là, il va se passer quelque chose. » Le début d’année 2023 s’annonce musclé.