samedi 20 avril 2024
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Plus de deux milliards d’euros prévus au budget monégasque pour 2023

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Monaco affiche un budget prévisionnel de deux milliards d’euros pour 2023. Les recettes sont en hausse, tout comme les crédits destinés aux dépenses. Mais peut-être pas assez aux yeux des élus de la majorité, qui plaident en faveur d’un certain nombre de dossiers, dont celui du logement, à l’approche de l’élection nationale de février 2023.

Il faut croire que la machine tourne bien. À l’heure où un cycle récessif plane sur l’Europe, le budget de la principauté affiche des prévisions de recettes à un peu plus de deux milliards d’euros, ce qui est encore supérieur à l’exercice 2022, qui se chiffrait tout de même à 1,889 milliard d’euros. C’est ce qui ressort de la présentation du budget primitif 2023, qui sera voté jeudi 15 décembre 2022. Les élus du Conseil national ont pu débattre à son sujet en séance d’ouverture lundi 5 décembre 2022 au soir. Ce rendez-vous a permis de comprendre comment la principauté a réussi à se doter d’un tel résultat excédentaire. Il en ressort ainsi que, si les recettes prévisionnelles du budget sont en hausse de 263,2 millions d’euros par rapport au budget primitif 2022, c’est en bonne partie grâce à la progression des recettes fiscales, qui ont bondi de 233 millions d’euros cette année, dont 197 millions qui proviennent des transactions commerciales. L’impact des grands projets immobiliers de Monaco n’est pas négligeable non plus, avec 61 millions d’euros de TVA immobilière supplémentaires enregistrés en 2022.

« Monaco, malgré sa grande capacité de résilience, n’est pas isolé du reste du monde. La récession annoncée pour 2023, en particulier en Europe, ne manquera pas de nous affecter »

Pierre Dartout. Ministre d’État

Prudence

Attention, toutefois, à la situation économique mondiale, qui appelle à la prudence, comme l’a rappelé le ministre d’État, Pierre Dartout : « Le vote de ce budget s’inscrit dans un contexte géopolitique et économique incertain. Le conflit russo-ukrainien se poursuit et renforce la tendance inflationniste déjà observée depuis la pandémie de Covid-19 […]. Nous en avons tous conscience, il est illusoire d’attendre un retour à la situation antérieure dans les prochains mois, ou même les années à venir. Notre responsabilité est donc de prendre les décisions qui permettront à notre économie de s’adapter aux conséquences de ces deux crises majeures, afin de préserver la pérennité de notre modèle économique et social. Les responsables politiques de tous les pays apprennent à marcher sur un fil, cherchant un équilibre entre maîtrise des dépenses publiques, inflation, et maintien du pouvoir d’achat. Il nous faut garder un œil sur la situation internationale, car Monaco, malgré sa grande capacité de résilience, n’est pas isolé du reste du monde. La récession annoncée pour 2023, en particulier en Europe, ne manquera pas de nous affecter. » Cette réserve est également partagée par Balthazar Seydoux, rapporteur au nom de la commission des finances et de l’économie nationale : « Ces phénomènes, qui ont affecté substantiellement l’année 2022 et généré des niveaux d’inflation inconnus au XXIème siècle, se poursuivent et auront sans doute encore un impact sur la situation économique en 2023. Malgré ce contexte, la situation économique globale de la principauté reste favorable. Depuis 2018, le volume du budget a augmenté de près de 65 %, et, mis à part l’année 2020, celle où le Covid a frappé, notre budget a systématiquement été en excédent durant les cinq dernières années. Ce simple fait est, en soit, une réussite, puisque, dans le même temps, la principauté a poursuivi ses très importants investissements structurels, au premier titre desquels, ceux pour le logement de nos compatriotes. »

Pierre Dartout Ministre d'État
« Les responsables politiques de tous les pays apprennent à marcher sur un fil, cherchant un équilibre entre maîtrise des dépenses publiques, inflation, et maintien du pouvoir d’achat. » Pierre Dartout. Ministre d’État. © Photo Conseil National.

Pour l’exercice 2023, les dépenses sont estimées à 2,021 milliards d’euros. Elles sont en légère baisse, de 29,6 millions d’euros, soit – 1,4 % par rapport au budget rectificatif 2022

Excédent

Il n’empêche que les chiffres sont encourageants, notamment ceux relatifs à l’excédent prévisionnel de recettes. Celui-ci augmente de 9,1 millions d’euros en un an, programmes compris. C’est, là aussi, mieux que l’an dernier, où l’exercice 2021 s’était clôturé avec un solde excédentaire de 8 millions d’euros. Le budget primitif 2022 affichait, quant à lui, un excédent de recettes à 2,9 millions d’euros, porté à 8,8 millions dans le cadre du budget rectificatif 2022. Dans le détail, pour 2023, ce budget prévisionnel de 2,030 milliards d’euros de recettes est en hausse de 7,5 % (soit + 141,2 millions d’euros) par rapport au budget primitif 2022 (1,889 milliard d’euros). Les prévisions de dépenses s’élèvent, à 2,021 milliards d’euros, ce qui correspond à une hausse de 7,2 % (soit + 135 millions d’euros) par rapport aux dépenses du budget primitif 2022 (1,886 milliard d’euros). À partir de ces résultats, le gouvernement prévoit de financer le déploiement des autres grands projets en matière de programmes d’équipement, avec la poursuite des opérations de grande envergure, comme le chantier du centre commercial de Fontvieille, ou encore celui du nouvel hôpital. Il est également question de renforcer les moyens pour la mobilité piétonne, mais aussi la transition numérique et la transition énergétique. Les actions pour le social, la culture, le sport, l’éducation et la qualité de vie promettent également d’être soutenues à la vue de ce budget primitif 2023.

« Le conflit russo-ukrainien se poursuit et renforce la tendance inflationniste déjà observée depuis la pandémie de Covid-19 […]. Il est illusoire d’attendre un retour à la situation antérieure dans les prochains mois, ou même les années à venir. Notre responsabilité est donc de prendre les décisions qui permettront à notre économie de s’adapter aux conséquences de ces deux crises majeures »

Pierre Dartout. Ministre d’État

Recettes

Pour comprendre cet excédent qui doit financer ces projets du gouvernement en cours d’année, il faut décortiquer les hausses globales de recettes générées cette année, qui sont en hausse de 15,6 %, soit + 263,2 millions d’euros par rapport au budget primitif 2022. En premier lieu, les droits sur les transactions juridiques augmentent de 7 % en un an, soit 12,8 millions d’euros supplémentaires, grâce à l’augmentation des recettes issues des droits sur les autres actes civils administratifs. Les recettes de TVA contribuent aussi fortement à l’excédent, avec une hausse de 21,9 %, soit 197 millions de plus recueillis en un an. Cette belle évolution s’explique principalement par l’augmentation prévisionnelle de la TVA interne, avec + 136 millions, et de la TVA immobilière, avec + 61 millions. Enfin, l’impôt sur les bénéfices commerciaux a permis de récolter 23,2 millions d’euros supplémentaires, soit une hausse de 17,5 % par rapport à 2022. Ce chiffre pourrait encore augmenter entre temps, les encaissements étant essentiellement constitués d’acomptes. Pour ce qui est des produits et revenus du domaine de l’État, la hausse du domaine immobilier représente un supplément de 1,6 million d’euros. Ces évolutions concernent les parkings publics (+19,6 %) et l’augmentation des droits de stationnement, les recettes générées par les nouveaux parkings ouverts (Cap Fleuri, Louis Chiron, et les Sources), et l’exploitation à venir du parking les Salines dès juin 2023. Les recettes issues des immeubles bâtis (+ 5,9 %) sont aussi prises en compte, et les récupérations des charges locatives (+12,8 %) compte tenu de la livraison de trois nouveaux immeubles domaniaux : Testimonio II et II bis, et le palais Honoria. Les recettes des monopoles concédés par l’État augmentent également, à hauteur de 6,7 millions d’euros, en partie estimées à partir des prévisions de la Société des bains de mer (SBM), et de l’augmentation de ses recettes nettes de 17,2 %. Il faut aussi citer les revenus issus de l’exploitation des ports, et la reprise attendue de l’activité, ou encore du « Pari Mutuel Urbain-Loto » pour les jeux de hasard et les paris sportifs, ainsi que la marge brute générée par Monaco Telecom. Les recettes du domaine financier, d’un montant de 70,3 millions d’euros, augmentent de 17,5 millions d’euros, principalement en raison de la majoration attendue des dividendes versés par Monaco Telecom (+ 16 millions d’euros). Mais attention à ne pas se laisser déborder par les dépenses à venir, prévient Pierre Dartout : « Les chiffres du PIB de 2021 annonçaient déjà une reprise. Celle-ci se confirme au travers des données à notre disposition pour cette année 2022, grâce notamment à une excellente saison estivale. Toutefois, les dépenses ont augmenté pratiquement au même rythme que les recettes, et nous devons nous montrer attentifs à leur maîtrise, rappelle le ministre d’État. Comme vous le savez, la gestion publique se heurte toujours à des situations difficiles, et à des demandes parfois contradictoires ; il convient de trouver le bon équilibre. Ainsi, le respect que le gouvernement vous doit, c’est d’abord de vous exposer, comme nous le faisons régulièrement, tous les aspects des problématiques auxquelles nous sommes confrontés. Comme l’a exprimé récemment à Monaco un auteur américain, M. Alan Friedman : « Il n’y a pas de réponses simples aux problèmes complexes » »

Balthazar Seydoux
© Photo Conseil National.

« L’augmentation régulière du coût de la construction du nouveau CHPG est une source d’inquiétude pour notre Assemblée […]. Cette augmentation de plus de 80 %, sur des montants aussi importants, a un impact très substantiel pour nos finances publiques. Au regard de la complexité de ce chantier, les élus s’interrogent sur le respect de la date de livraison de la phase 1 en 2025, telle qu’elle est prévue »

Balthazar Seydoux. Rapporteur pour la commission des finances et de l’économie nationale

Dépenses

Pour l’exercice 2023, les dépenses sont estimées à 2,021 milliards d’euros. Elles sont donc en légère baisse, de 29,6 millions d’euros, soit –1,4 % par rapport au budget rectificatif 2022. Cette somme se décompose en 72,5 millions d’euros pour les dépenses de fonctionnement, soit près de 35,9 % du total, 47,1 millions d’euros pour les interventions publiques, soit 23,3 %, et 82,5 millions d’euros pour l’équipement et l’investissement, ce qui représente environ 40,8 % du total des dépenses. Les dépenses d’équipement et d’investissement représentent d’ailleurs la part la plus importante des dépenses publiques. Les crédits d’équipement inscrits à ce budget primitif 2023 restent, en effet, très largement consacrés à la poursuite des opérations du plan national pour le logement des Monégasques, qui entreront dans leur quatrième année pleine de travaux pour un montant total de 236,6 millions d’euros, hors matérialisation des échanges. En marge des inscriptions nécessaires pour mener à son terme les opérations en cours, ce budget consacre également un effort d’investissement dans des opérations présentant un enjeu stratégique pour l’avenir. Ainsi, l’urbanisation des délaissés de la SNCF se poursuivra sur les îlots Pasteur et Charles III, pour un montant total de 126 millions d’euros, soit plus de 6 millions en un an, ainsi que la construction du nouveau centre hospitalier princesse Grace (CHPG), pour un montant estimé à 94 millions d’euros au programme triennal d’équipement public. Ce chiffre pose cependant question, et il inquiète les élus de la majorité, selon Balthazar Seydoux : « L’augmentation régulière du coût de la construction du nouveau CHPG est une source d’inquiétude pour notre Assemblée. » Au départ, ce chantier était estimé à près de 600 millions d’euros. « Cette augmentation de plus de 80 %, sur des montants aussi importants, a un impact très substantiel pour nos finances publiques. Au regard de la complexité de ce chantier, les élus s’interrogent sur le respect de la date de livraison de la phase 1 en 2025, telle qu’elle est prévue. » Sur ce point, Pierre Dartout a tenu à rappeler que « nous ne pouvons pas comparer les euros de 2015 à ceux de 2023. L’actualisation joue sur cette opération un rôle déterminant. D’autre part, nous avons dû constater, pour le lancement de la phase 1, des difficultés à faire jouer pleinement la concurrence sur ce projet. Enfin, les crises actuelles renchérissent considérablement la facture ». Cependant, le ministre d’État maintient que ce projet de nouveau CHPG est une « absolue nécessité » et il assure que « la phase 1 sera réceptionnée fin 2025. Les premiers patients seront admis au premier semestre 2026. » Mais ce n’est pas le seul point sur lequel le gouvernement et la majorité du Conseil national ne s’entendent pas entièrement.

« Les élus peuvent se satisfaire de la disparition provisoire de la pénurie d’ici à la fin de l’année 2023. Néanmoins, l’avenir du logement des Monégasques n’est pas garanti, et il continue d’alimenter les débats entre le Conseil national et le gouvernement »

Balthazar Seydoux. Rapporteur pour la commission des finances et de l’économie nationale

« Désaccords »

Les résultats positifs de ce budget prévisionnel génèrent aussi des désaccords entre le Conseil national et le gouvernement, « ou plus simplement, des différences d’approches entre nos deux institutions », précise Balthazar Seydoux. En premier lieu, parmi ces interrogations, le logement. « Les élus peuvent se satisfaire de la disparition provisoire de la pénurie d’ici à la fin de l’année 2023. Néanmoins, l’avenir du logement des Monégasques n’est pas garanti, et il continue d’alimenter les débats entre le Conseil national et le gouvernement. » Autre divergence de point de vue : la mobilité. « Notre économie a rebondi rapidement après la levée des dernières restrictions dues à la pandémie de Covid-19. Mais la reprise s’accompagne d’une congestion du trafic routier dans notre pays et aux abords, faisant de la mobilité une contrainte majeure pour la qualité de vie dans notre pays. » L’inquiétude des élus est aussi notable en ce qui concerne le pouvoir d’achat : « L’État a mis en œuvre une série de mesures pour limiter l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat des salariés de la principauté en 2022, qu’il s’agisse du privé ou du public. Néanmoins, les perspectives d’augmentations de prix sur l’ensemble des biens et des services continuent de faire de cette question un sujet central de nos débats. » Les élus insistent donc sur un certain nombre de priorités à mettre en avant au sujet de ce budget primitif 2023. À savoir, la présentation par le gouvernement « d’une ou plusieurs opérations domaniales livrables d’ici à 2026, comme il s’y est engagé dans le cadre du budget rectificatif 2022 ». Également, une décision sur « une solution de transport public structurante, de préférence souterraine, afin de pouvoir la mettre en œuvre dans les plus brefs délais. » Les élus demandent aussi au gouvernement une augmentation des moyens de l’État, « en particulier humains, afin d’assurer un meilleur contrôle des coûts et des délais des chantiers publics », ainsi que pour « accroître la protection de la qualité de vie des résidents de Monaco ». Sur le plan des nouvelles technologies, les conseillers nationaux réclament une « mise en œuvre plus efficace de l’identité numérique, et un usage accru des outils numériques pour simplifier l’ensemble des démarches administratives. » Enfin, les élus de la majorité demandent la mise en œuvre effective du fonds d’indemnisation des victimes d’infractions intrafamiliales dès 2023, accompagné d’un dépôt d’un projet de loi avant la fin de l’année 2022. Sur l’ensemble de ces points, Pierre Dartout entend laisser du temps au temps, par souci d’équilibre : « Les mesures qui ont été prises sous l’autorité du prince souverain nous permettent ce soir d’envisager l’avenir avec sérénité, plutôt que de devoir gérer l’urgence. Malgré les échéances qui nous animent tous, que ce soit selon une logique individuelle ou de groupe, nous devons garder en tête le fait que la chance de ce pays est de pouvoir s’inscrire dans le long terme, sans se laisser détourner de sa route par les embûches du moment. La force des institutions que nous représentons, et la stabilité de notre système politique incarnée par notre chef d’État, sont un gage de sécurité pour toute la principauté. Elles sont l’un des premiers facteurs d’attractivité pour les résidents et investisseurs qui font le choix de Monaco, participant ainsi à produire une grande partie des richesses du pays. Il est donc de notre devoir à tous ici de préserver ce précieux équilibre. Cela passe notamment par la qualité de nos débats à venir. » Les échanges se poursuivront sur ces bases vendredi 9 décembre 2022 car, il faut le rappeler, il s’agit d’un budget primitif qui, par définition, peut encore évoluer, les recettes étant parfois sous-estimées, et les dépenses surévaluées. Pour rappel, le budget rectificatif de 2022 avait été voté avec un excédent prévisionnel de 8,8 millions d’euros le 18 octobre 2022, alors qu’il avait été estimé à près de 2,9 millions au moment de l’examen du budget primitif 2022.