vendredi 29 mars 2024
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Santé mentale : cinq ans pour faire mieux à Monaco

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Le mal-être mental touche une personne sur cinq dans le monde, et Monaco n’est pas épargnée. Le gouvernement princier lance donc un plan de 53 actions, réparties sur cinq ans, de 2022 à 2027, sous le pilotage de la direction de l’action sanitaire (DASA), pour améliorer le suivi et l’offre de soins en matière de bien-être et d’équilibre psychologique.

C’est un mal silencieux d’apparence, mais réel. Encore taboues, les maladies mentales n’épargnent pas la principauté, toutes classes sociales confondues. À la différence du handicap mental, qui est le résultat d’une déficience dès la naissance, un « handicap psychique » peut pourtant être évité s’il est pris en charge à temps, avant d’aboutir sur une souffrance irréversible. Les personnes qui subissent de sévères troubles psychiques et persistants souffrent en effet sur plusieurs plans : grand isolement, difficulté à tenir son logement, son emploi, et à maintenir un lien social et familial. Si bien que ce mal aboutit vers d’autres souffrances : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sur dix pathologies jugées préoccupantes chez l’adulte, cinq sont des pathologies psychiatriques, entre trouble schizophrénique, trouble bipolaire, dépression sévère et persistante, trouble personnalité et trouble obsessionnel compulsif.

Une personne sur cinq touchée

S’il est tabou, le mal-être psychologique concerne pourtant un grand nombre personnes, à Monaco comme ailleurs. Il touche environ 20 % de la population dans le monde, soit une personne sur cinq, comme le rappelle le docteur Valérie Aubin, chef de service psychiatrie au Centre hospitalier princesse Grace (CHPG) : « C’est un point qui est confirmé dans toutes les enquêtes et études épidémiologiques qui évaluent la prévalence des troubles mentaux. Et, pour la grande majorité, cela est dû à un retard de diagnostic. » Les troubles psychiques et les addictions peuvent en effet limiter et altérer le développement, mais aussi le comportement à la maison, à l’école, et dans le quotidien, en public. « Le diagnostic et les prises en charge précoces aident ces enfants à mieux s’adapter », ajoute le docteur Aubin. Car l’origine de ces troubles et addictions est nombreuses, notamment à Monaco, si l’on se fie aux récentes enquêtes européennes de l’European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (ESPAD), qui étudient les comportements de santé et les modes de consommation des produits psycho-actifs, mais aussi l’addiction aux réseaux sociaux, aux paris d’argent et aux jeux, chez les adolescents européens âgés de 16 ans, de 35 pays, dont Monaco. La dernière étude en date, de 2019, montre que l’usage du cannabis, de la cigarette électronique, mais surtout des paris sportifs et des réseaux sociaux, ont atteint un niveau préoccupant en principauté, et peuvent être à la source de problèmes de santé psychique et psychologique ensuite.

À la différence du handicap mental, qui est le résultat d’une déficience dès la naissance, un « handicap psychique » peut pourtant être évité s’il est pris en charge à temps

Pandémie et crise environnementale

À cela s’ajoutent les effets de la pandémie de Covid-19 et des différents confinements et restrictions de la vie sociale, qui ont provoqué une « explosion des troubles anxieux, de troubles dépressifs, et d’excès d’usage des réseaux sociaux », selon le docteur Aubin. Sans oublier le contexte politique et environnemental, également à l’origine de troubles. Or, si un certain nombre de troubles sont isolés, la plupart seront cependant récurrents et nécessiteront une prise en charge longue durée dans un cadre protégé, avec des soins psychiatriques et une prise en charge du handicap psychique qu’il suivra. Pour améliorer la prise en charge, il est donc important de connaître le plus tôt possible la nature des principales pathologies existantes, leurs causes, mais aussi leurs symptômes et les traitements.

Santé mentale Monaco
© DR

« La majorité des gens juge encore le trouble mental. On le voit chez tous les patients suivis pour une dépression ou un trouble anxieux. La personne va refuser que l’arrêt de travail soit signé par le psychiatre par exemple, car il ne veut pas être identifié comme étant soigné en psychiatrie » 

Valérie Aubin. Chef de service psychiatrie au Centre hospitalier princesse Grace

Stigmatisation et psychophobie

Mais encore faut-il que la parole se libère, pour en arriver au diagnostic. Car, avant d’oser parler de mal-être psychologique et de souffrance psychique, un long combat reste à mener en termes d’acceptation, et de tolérance, sur le plan sociétal : « La majorité des gens juge encore le trouble mental. On le voit chez tous les patients suivis pour une dépression ou un trouble anxieux. La personne va refuser que l’arrêt de travail soit signé par le psychiatre, par exemple, car il ne veut pas être identifié comme étant soigné en psychiatrie. On vit 30 ans en arrière, comme à l’époque où l’on n’osait pas dire qu’on avait un cancer. Les patients doivent pouvoir oser dire qu’ils vivent avec un trouble mental », explique Valérie Aubin. Qu’il s’agisse d’accès à l’emploi, au logement, voire aux soins, le quotidien des personnes concernées est enroué, parfois à cause de leur entourage. Chez les professionnels de santé, on parle en effet de « psychophobie », concernant les personnes atteintes d’un trouble ou d’une pathologie, mais aussi chez celles qui n’ont pas encore été diagnostiquées. Le diagnostic est parfois long à mettre en place, et il arrive que des patients évoluent plusieurs années avec leurs troubles et leur handicap, sans pouvoir mettre un nom précis sur le mal qui les handicape. C’est ce qu’a récemment dénoncé l’association ALTA à Monaco, au sujet des troubles « dys », ces troubles du langage comme la dysphasie dont la présidente, Salomé Fissore, et sa famille, ont mis plus de dix ans à faire diagnostiquer à Monaco. Chaque parcours étant différent, d’autres personnes touchées perdent courage et mettent de côté l’ensemble de leur suivi médical, jusqu’à ne plus se soigner. « Cela finit par les isoler et accroître leur mal-être et leur handicap », glisse Alexandre Bordero, directeur de la Direction de l’action sanitaire (DASA). « Les représentations négatives attachées aux maladies mentales, aux professionnels et aux structures d’accueil constituent un frein à la démarche de recours aux soins. Aucune personne atteinte de troubles psychiques et/ou d’addiction ne doit rester sans prise en charge », note également Virginie Van Klaveren, administrateur principal à la DASA.

L’usage du cannabis, de la cigarette électronique, mais surtout des paris sportifs et des réseaux sociaux ont atteint un niveau préoccupant en principauté, et peuvent être à la source de problèmes de santé psychique et psychologique ensuite

Un plan sur cinq ans

Pour mieux aborder ces questions, un plan santé mental « équilibre psychologique et bien-être » vient d’être enclenché par le gouvernement et Didier Gamerdinger, conseiller-ministre de la santé et des affaires sociales. Ce plan s’inscrit sur les cinq prochaines années, de 2022 à 2027, et vise à apporter une réponse sanitaire et médico-sociale aux personnes en situation de difficulté psychique, tout au long de leur parcours de vie. Au total, 53 actions ont été définies autour de trois axes : promouvoir le bien-être mental, prévenir et repérer précocement la souffrance psychique et les addictions, puis, garantir des parcours de soins coordonnés soutenus par « une offre en psychiatrie accessible, diversifiée et de qualité ». Et, enfin, poursuivre l’amélioration des conditions de vie et d’inclusion sociale, la réinsertion des personnes en situation de handicap psychique, et lutter contre la stigmatisation. « Ce plan ambitieux, rédigé par la direction de l’action sanitaire, a été élaboré de façon novatrice et collaborative dans la mesure où il est issu des réflexions de différents groupes de travail, impliquant tous les acteurs concernés de la principauté », assure le gouvernement. Parmi ces acteurs qui participent au plan santé mental, on note le Centre hospitalier princesse Grace (CHPG), l’office de la médecine et du travail (OMT), la direction des services judiciaires, le Conseil national, la mairie, la direction de la sûreté publique, la direction de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports (DENJS), la direction de l’action et de l’aide sociales (DASO), ainsi que différents professionnels de santé et association monégasques. « Beaucoup des propositions de ce plan ont déjà fait l’objet de demandes budgétaires. On espère, par cette mise en lumière de ces besoins, qu’elles puissent aboutir. Ce qui existe déjà est très positif sur les soins et la prise en charge, nous bénéficions d’un système vraiment performant. Nous devons maintenant nous améliorer sur les volets de la prise en charge au long court, la réinsertion, et la prévention », note Valérie Aubin. Rendez-vous dans cinq ans pour en mesurer les effets.

Pour lire la suite de notre dossier sur le plan de santé mentale du gouvernement monégasque, cliquez ici.