jeudi 25 avril 2024
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Jeune patronne à Monaco, Salomé Fissore a dompté sa dysphasie

Publié le

Diagnostiquée tardivement d’une dysphasie, un lourd trouble du langage, Salomé Fissore, 21 ans, a réussi à vivre avec son handicap, et à le maîtriser. Depuis novembre 2021, elle a même ouvert son propre salon de soins masculins, So Gent, à Monaco. Elle raconte son parcours à Monaco Hebdo.

C’est une femme accomplie, une cheffe d’entreprise qui, à première vue, n’éprouve aucune difficulté à mener sa barque. Salomé Fissore dirige le nouveau salon de soins luxe pour hommes So Gent, situé sur le boulevard des Moulins, qu’elle a ouvert à seulement 21 ans, en novembre 2021. Pourtant, si on lui avait dit, quelques années auparavant, qu’elle serait jeune patronne à Monaco, elle n’y aurait pas forcément cru. La faute à un trouble, qui l’a quasiment privé de parole toute son enfance, et son adolescence. Salomé a en effet été diagnostiquée d’une dysphasie à l’âge de 18 ans. C’est ce qu’on appelle communément un trouble « dys », un trouble du langage, qui limite fortement la parole et l’expression orale. Mais avant que ce diagnostic ne soit clairement établi, personne ne savait dire pourquoi Salomé n’évoluait pas comme la plupart des jeunes de son âge. Le quotidien d’alors, elle s’en souvient, n’avait rien de simple : « Je n’ai pas eu de vraie conversation avec mes parents avant 18 ans. Mes idées étaient là, à l’intérieur, les mots aussi. Mais ils ne sortaient pas. Ça me fait encore mal, rien que d’y penser… »

« Je n’ai pas eu de vraie conversation avec mes parents avant 18 ans. Mes idées étaient là, à l’intérieur, les mots aussi. Mais ils ne sortaient pas »

Salomé Fissore. Patronne de So Gent

Difficile diagnostic

C’est à peine si on s’en rend compte aujourd’hui, tant Salomé s’exprime bien. Mais, à l’époque, même les spécialistes n’arrivaient pas à déceler l’origine de ses problèmes. Et, sans diagnostic, sans remède, ni méthode, impossible pour elle de suivre une scolarité classique : « J’ai poursuivi ma scolarité jusqu’à la troisième, mais ça n’a plus été possible après. J’avais trop de difficultés à suivre les cours. Donc mes parents ont décidé de me déscolariser. C’est surtout à la maison que j’ai beaucoup décompensé », se souvient la jeune femme. Avec l’aide de ses parents, Éric et Alexandra, accompagnée par plusieurs professeurs, Salomé poursuit sa scolarité à domicile. Elle se forme à la gestion, à la comptabilité, au management et au marketing. Elle travaille aussi avec sa marraine, Frédérique Marsan, au sein de son institut Dry Bar Monaco, installé sur l’avenue princesse Grace. L’idée de travailler dans cet univers commence à germer, mais pas au point de s’octroyer le droit de rêver de monter sa propre affaire : « Tant que je ne savais pas ce que j’avais, j’étais continuellement stressée et angoissée à l’idée de ne pas comprendre ce qu’on me disait. Je n’avais pas trop de rêves. Je voulais avant tout persévérer pour réussir et évoluer, car le quotidien n’était pas évident. Je me souviens de ma mère, qui était souvent en pleurs, car elle ne savait pas comment m’aider. » Et c’est finalement sa mère qui a réussi à trouver ce qui handicapait Salomé au quotidien, à force de se documenter : « Comme les spécialistes ne trouvaient rien, ma mère a fini par faire ses propres recherches. Elle n’en dormait plus la nuit tellement elle voulait comprendre. Car elle voyait bien que je faisais des blocages. Puis, elle a fini par trouver : c’était la dysphasie. Elle en était certaine. On a alors fait un bilan auprès d’un professionnel, pour vérifier que c’était bien de ça dont il s’agissait. Et ça l’était. »

« M’exprimer, argumenter, développer mes idées, c’était compliqué avant. Mais, au fur et à mesure des thérapies, la rééducation est allée très vite »

Salomé Fissore. Patronne de So Gent

Rapides progrès

« M’exprimer, argumenter, développer mes idées, c’était compliqué, avant. Mais, au fur et à mesure des thérapies, la rééducation est allée très vite », se souvient Salomé. Une fois diagnostiquée dysphasique, pas moins de cinq thérapeutes travaillent à ses côtés pour la faire progresser : un orthophoniste pour la compréhension orale et écrite, un psychologue pour travailler la confiance en soi et maîtriser l’anxiété, un neuropsychologue pour travailler la mémoire, un ergothérapeute pour la vision spatiale, et un orthoptiste pour la rééducation des yeux. Vient ensuite la lecture : « Lire est devenu mon médicament, c’est un vrai plaisir et c’est très important pour moi. Des biographies, du policier, des livres jeunesse avant cela. Tout y passe. » Salomé se met même au théâtre et elle prend plaisir à jouer devant un public. Ce qui, avec du recul, est une sacrée victoire : « J’ai commencé avec le théâtre des Muses, puis j’ai rejoint la compagnie Florestan. Ça m’aide pour la confiance et l’articulation. Avant j’étais stressée et angoissée à l’idée de monter sur scène, mais beaucoup moins désormais. Aujourd’hui je suis heureuse, et j’ai davantage confiance en moi. J’ai même réussi à passer mon permis. » Et c’est grâce à cette confiance gagnée que Salomé a décidé de se lancer dans sa première aventure entrepreneuriale d’envergure, en ouvrant son salon, So Gent, destiné exclusivement aux hommes : « Quand je travaillais à l’institut de ma marraine, je me suis rendu compte que les hommes étaient friands de soins, mais très discrets. J’ai donc voulu créer un établissement où ils puissent se relaxer et se relâcher totalement. » Pour son affaire, Salomé a recruté un maître cireur, deux coiffeurs barbiers, et un spécialiste des soins du visage, des massages, et de l’épilation.

Une association

Avant de créer son entreprise, Salomé avait également monté une association, baptisée ALTA, pour « association liée aux troubles des apprentissages ». Co-fondée avec les parents de Salomé et sa marraine, en août 2020, cette association a pour objectif de sensibiliser le grand public aux différents troubles du langage et neurodéveloppement, mais aussi à aider les familles à trouver des informations sur les démarches à effectuer lorsque certains signes apparaissent. Enfin, cette association entend améliorer le parcours de soins des enfants, des jeunes et adultes du secteur. « Il y a encore des progrès à faire à Monaco, notamment en matière de formation, pour faciliter les diagnostics en milieu scolaire. Et il nous faut davantage de praticiens compétents, car il en manque vraiment », estime Frédérique Marsan. Mais les choses commencent à évoluer : depuis le 10 novembre 2021, une ordonnance souveraine permet aux orthophonistes de s’associer avec « un ou deux » orthophonistes associés. Cette décision a été prise pour augmenter le nombre de praticiens à Monaco, et répondre aux demandes des familles. Et, comme le rappelle Salomé : « Même si on a un handicap, on peut réussir dans la vie. Il faut juste persévérer. »

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