jeudi 25 avril 2024
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David Wigno : « À Monaco, les réseaux sociaux ne peuvent plus être ignorés »

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Aujourd’hui, quel est le poids d’Internet et des réseaux sociaux dans le débat public à Monaco ? David Wigno, expert en communication publique et politique, travaille sur ce sujet depuis le début des années 2000. Il a répondu aux questions de Monaco Hebdo.

À Monaco, quel est le poids des réseaux sociaux et d’Internet dans une élection ?

À Monaco, étant donné la structure de la sociologie électorale, l’importance des réseaux sociaux est supérieure à celle de la France. Cela s’explique par la typologie de l’électorat. Pour nous, les communicants politiques, on observe à Monaco le développement des réseaux sociaux depuis 2008. On a constaté une accélération considérable pour les élections nationales de 2013, et encore plus forte en 2018.

Quels sont les réseaux sociaux les plus fréquentés par les électeurs monégasques ?

En principauté, les réseaux sociaux se résument essentiellement à Facebook pour les adultes, et très peu Twitter, sauf pour quelques “happy few” qui se concentrent en une cinquantaine de personnes qui échangent autour de la politique monégasque. En France, le taux d’engagement sur Twitter est bien supérieur à Monaco. La principauté est en total décalage sur ce point. En principauté, pour les 15-30 ans, Instagram est majoritaire.

Les réseaux sociaux ont pris le pouvoir chez les électeurs monégasques ?

Monaco garde une mixité, entre le numérique, la presse « papier », les réunions publiques, et la communication envoyée à domicile. Cela s’explique aussi par le fait qu’en principauté, il y a seulement deux consultations démocratiques : les élections pour le Conseil national tous les cinq ans, et pour la mairie tous les quatre ans. En France, il existe une multiplicité des consultations, avec les européennes, les départementales, les municipales, les régionales, les législatives, et la présidentielle. Du coup, lorsque les électeurs français reçoivent les enveloppes préfectorales avec les professions de foi d’une bonne dizaine de candidats, ils ne lisent pas tout. Je n’y crois pas.

« En principauté, les réseaux sociaux se résument essentiellement à Facebook pour les adultes, et très peu Twitter, sauf pour quelques “happy few” qui se concentrent en une cinquantaine de personnes qui échangent autour de la politique monégasque. En France, le taux d’engagement sur Twitter est bien supérieur à Monaco »

Aujourd’hui, en 2022, combien d’électeurs monégasques sont présents sur les réseaux sociaux ?

Sur Facebook, plusieurs milliers de personnes sont exposées à la politique monégasque. En revanche, le taux d’engagement et d’interactions, soit par des “likes”, soit par des commentaires, est assez faible en principauté parce que l’expression de chacun est identifiable par son voisin ou par son collègue. Dans une cité à dimension humaine, on ne peut pas noyer son expression personnelle numérique dans le volume, comme dans les grands pays. Il est donc naturel que chacun fasse preuve d’un minimum de retenue. C’est une discipline collective assez salutaire, en l’espèce.

En principauté, tous les électeurs sont exposés aux réseaux sociaux ?

A Monaco, il y a 8 000 électeurs monégasques. Plus de la moitié de cet électorat s’expose au moins quelques fois à des réseaux sociaux. Ensuite, les modes de partages principaux sont les relais apportés par des messageries comme WhatsApp ou Messenger, par exemple. Cette exposition, indirectement suscitée par un tiers, est très importante. C’est ensuite aux communicants politiques de faire appel, ou non, à ces outils.

À Monaco, les réseaux sociaux pèsent de quelle manière sur une élection ?

En principauté, le taux de présence des électeurs monégasques sur les réseaux sociaux est bien supérieur à celui des autres pays. Parce qu’à Monaco, le nombre de foyers connectés à Internet est supérieur aux autres pays, et le maillage numérique aussi, à cause de l’urbanisme et de la sociologie monégasque. Du coup, on a un taux d’électeurs « exposables » aux réseaux sociaux plus grand que dans les autres pays. Résultats, le poids numérique des réseaux sociaux dans une élection est de plus en plus important à Monaco. Et, on a sans doute une courbe qui monte plus vite que dans les autres pays. Je pense d’ailleurs que, sur ce sujet, Monaco a dépassé la France.

Concrètement, qu’a changé la montée en puissance du numérique dans la communication politique ?

Je suis conseiller en stratégie et en affaires publiques pour le président du Conseil national, qui est l’un de mes clients. Aujourd’hui, quand le Conseil national a un communiqué à diffuser, il le publie d’abord sur les réseaux sociaux, et après il transforme cette publication en un communiqué de presse. On a donc inversé la tendance. Les réseaux sociaux sont devenus prioritaires. Cela est lié au changement de mode de consommation de l’information. Ce phénomène a été accéléré par la crise liée à la pandémie de Covid-19 et aux différents confinements, pendant lesquels les Monégasques ont consommé encore plus d’informations sur les réseaux sociaux.

© Photo DR

« À Monaco, étant donné la structure de la sociologie électorale, l’importance des réseaux sociaux est supérieure à celle de la France. Cela s’explique par la typologie de l’électorat »

Lors des dernières campagnes électorales qui se sont déroulées à Monaco, il y a eu des dérapages sur les réseaux sociaux ?

C’est arrivé, en effet. De manière générale, la campagne électorale pour les élections nationales de 2013 a été d’un niveau de tension sans commune mesure avec celle de 2018. En 2013, il y a eu des attaques personnelles, des mises en causes sur la moralité de certains candidats et des procédés notamment homophobes. Monaco mérite mieux que ce genre de comportements qui sont, à l’époque, allés bien trop loin. Il y a eu beaucoup plus de responsabilité et de respect entre candidats en 2018. En 2018, c’était plutôt des “fake news” programmatiques. En principauté, étant donné que tout le monde se connaît, lors des élections nationales de 2013 et de 2018, on a vu apparaître beaucoup de faux profils sur les réseaux sociaux.

Comment encadrer cela ?

Depuis qu’une régulation a été mise en place, auprès des Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) notamment pour pouvoir retrouver identifier les adresses IP, sur commission rogatoire ou sur saisine d’un parquet, cela a permis de faire plafonner cette tendance. Une auto-régulation s’est peu à peu mise en place dans la population. Cela évite d’aller trop loin. Même si ces faux-profils continuent d’exister en période de mandat, je n’ai pas constaté de dérapages trop importants.

Et si c’était le cas ?

Si c’est le cas, on fait une capture d’écran, et on dépose plainte. Sur ce plan, Monaco peut être comparé à d’autres pays. Pendant les compagnes électorales, il y a des publications ou des commentaires parfois assez salés. Mais, pour le moment, on bénéficie encore en principauté d’une communauté qui s’auto-régule.

Aujourd’hui, que pèsent les réseaux sociaux dans une élection ?

Aujourd’hui, le poids numérique d’une démarche élective est devenu très important. Le partage d’un article de presse est devenu plus important que l’article de presse en lui-même. Nous, les communicants, on essaie donc d’avoir un poids numérique le plus important possible. Facebook et Twitter sont importants, LinkedIn est de plus en plus important, et de plus en plus apprécié. Car il y a sur ce réseau une sorte de « fiabilité présumée ». Sur LinkedIn, on est moins sur le registre personnel et émotionnel, et davantage sur le factuel. Chez les jeunes, on constate à Monaco un fort taux d’engagement sur Instagram. Facebook affiche une certaine stabilité, même si, en principauté, énormément de personnes ne veulent pas aller sur Facebook, parce qu’ils ne souhaitent pas être reconnus.

Que faire en cas de diffusion de “fake news” pendant une campagne électorale ?

Pour les “fake news”, la temporalité de l’élection compte. En effet, une campagne électorale va très vite. En cas de “fake news”, on traite cela par des contre-feux, des ajustements, ou des démentis. Un peu comme on le faisait dans le passé, avec des droits de réponse.

Et face à une désinformation d’ordre stratégique ?

Face à une désinformation stratégique venue de la liste d’en face, on réagit avec un communiqué de démenti. On peut aussi envoyer des soutiens numériques identifiés pour commenter la publication adverse, avec des éléments de langage destinés à rétablir la vérité que le candidat, ou la liste, estime être la sienne.

Et en cas de désinformation pure et simple visant à une déstabilisation ?

Face à de la désinformation qui vise à déstabiliser de manière quasi-pénale l’orientation d’une élection démocratique, on peut saisir les autorités compétentes, à savoir à Monaco, la sûreté publique. Pour cela, on peut consigner la publication concernée par huissier.

« Sur Facebook, plusieurs milliers de personnes sont exposées à la politique monégasque. En revanche, le taux d’engagement et d’interactions, soit par des “likes”, soit par des commentaires, est assez faible en principauté, parce que l’expression de chacun est identifiable par son voisin ou par son collègue »

Pendant des campagnes électorales, des profils douteux sont parfois apparus sur les réseaux sociaux ?

Effectivement, des profils extrêmement nocifs ont parfois été identifiés à Monaco sur les réseaux sociaux. Mais, en général, ce sont des démarches individuelles qui ne vont pas jusqu’au bout. Et si ce sont des démarches collectives, comme en principauté la sociologie est extrêmement ramassée, elles seraient immédiatement identifiées par la collectivité monégasque qui s’auto-régule.

Vous êtes inquiet pour les élections nationales de février 2023 ?

Je n’ai pas trop de craintes pour la prochaine campagne nationale, qui se déroulera en février 2023. Parce que sinon, on sentirait déjà un niveau de tension assez élevé. Or, aujourd’hui, le niveau de tension est plutôt faible. Ensuite, bien sûr, tout dépendra de la configuration de la prochaine campagne électorale : une liste, deux listes, trois listes… On ne sait pas trop. Les choses vont se faire au dernier moment.

Le numérique et les réseaux sociaux ont aussi changé la temporalité des messages politiques ?

À Monaco, la campagne électorale pour les élections nationales se met en place au mois de septembre ou octobre, pour une élection au mois de février. Les délais sont de plus en plus courts. Les dynamiques sont de plus en plus réduites, en termes de “timing”. Avant, et on l’a vu en France, qu’elles soient positives ou négatives, les dynamiques de campagne nécessitaient un trimestre pour être mises en place. Aujourd’hui, avec l’appui du numérique et des réseaux sociaux, on peut le faire en seulement trois jours.

Désormais, il est impossible d’ignorer les réseaux sociaux ?

Aujourd’hui, à Monaco, les réseaux sociaux ne peuvent plus être ignorés. Ils peuvent être un vecteur de construction ou de destruction d’image. Il faut donc maîtriser sa parole, la fréquence des publications, tout en tenant un discours cohérent, en phase avec l’évolution de la consommation d’information à vocation publique ou politique. Ceci est valable pour une élection, pour une institution, pour un exécutif, pour une grande entreprise, ou une grande association.