samedi 20 avril 2024
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Négociations Monaco – Union européenne : Pour Fabrice Notari, « une absence d’accord serait moins préjudiciable qu’un mauvais accord »

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Fabrice Notari, élu de la majorité (Primo !) au Conseil national, président de la commission pour le suivi de la négociation avec l’Union européenne, et candidat à l’élection nationale du 5 février 2023 sous la bannière de L’Union, est tenu informé de ces négociations à travers une commission restreinte. Il a répondu aux questions de Monaco Hebdo, alors que les discussions doivent s’accélérer, pour aboutir fin 2023.

Pourquoi un accord d’association européen serait-il nécessaire pour Monaco ?

Monaco entretient historiquement des liens privilégiés avec la France, le grand pays voisin et ami. Et c’est à travers beaucoup d’accords bilatéraux avec la France, dont la liste serait trop longue à faire ici, que la principauté a développé des liens particuliers avec la communauté européenne, le plus bel exemple étant l’utilisation de la monnaie « euro » dans notre pays. Pour autant, il existe des difficultés d’échange économique avec la communauté et ses membres. On cite souvent les produits fabriqués à Monaco dans des secteurs industriels variés ou pharmaceutiques, ou encore les transports. La conformité aux normes européennes est souvent l’obstacle soulevé, alors que la plupart des produits sont vendus en France qui est, elle-même, soumise aux mêmes normes européennes.

Il est donc question de faciliter les échanges ?

Des discussions sont en effet intervenues afin de faciliter les échanges. Mais, au fil du temps, les conditions politiques ont évolué, et l’Europe a souhaité établir un seul accord avec les trois petits pays Andorre, Saint Marin, et Monaco, pourtant si différents. Il n’a jamais été question pour Monaco de devenir membre de la communauté européenne, mais seulement de trouver un accord de libre échange permettant un cadre clair vers un marché important pour notre économie, c’est cette ouverture vers l’extérieur qui est nécessaire. Mais pas à n’importe quel prix.

Un éventuel accord changera-t-il quelque chose dans la vie quotidienne des Monégasques et des résidents ?

Tout dépend du prix de cet accord, puisque les négociations sont en cours. Et comme le terme l’indique, lorsqu’il y a négociation, il faut forcément que les deux parties fassent des concessions. L’Europe est bâtie sur les quatre libertés : la libre circulation des biens, la libre circulation des capitaux, la libre circulation des services, et la libre circulation des personnes. Les membres doivent absolument les respecter pour adhérer. Mais, lorsque cela devient des dogmes juste pour pouvoir échanger économiquement, cela devient problématique.

« En plaisantant un peu, je pourrais dire que si 447 millions de personnes voulaient s’installer à Monaco, cela poserait un problème très différent que si 9 000 Monégasques allaient s’installer en Europe »

Pourquoi ?

Pour Monaco, le respect de ces « libertés » est assez facile pour certaines, mais d’autres, comme la liberté de circulation des personnes, sont plus difficiles. En effet, la principauté contrôle elle-même aujourd’hui l’établissement des résidents étrangers pour la remise des cartes de séjours, et la priorité nationale est en vigueur pour les professions ou l’obtention de logements. L’Etat monégasque a consenti depuis de nombreuses années de gros efforts financiers pour construire des logements. Il serait dommage que la population, je pense la seule population au monde minoritaire dans son propre pays, ne puisse plus y habiter, ni y travailler librement.

« L’application des textes de loi ou normatifs demanderont un effort incroyable, et impossible, à notre administration, y compris au Conseil national, avec les moyens dont ils disposent, pour réformer notre législation. Nous serions alors obligés d’accepter des textes en l’état, qui ne correspondent pas à notre réalité. » Fabrice Notari. Président de la commission pour le suivi de la négociation avec l’Union européenne. © Photo Conseil National

Cet accord a aussi pour objectif d’accroître l’attractivité économique de la principauté ?

Il est important pour notre économie de trouver un cadre de libre échange avec un énorme marché commun. Il faut aussi pouvoir continuer une ouverture politique sociale et financière avec nos voisins immédiats. Certains secteurs économiques ont plus de facilités à échanger avec des pays lointains d’autres continents qu’avec l’Europe, ce qui n’est pas normal. Il en est de même, par exemple, pour les étudiants qui doivent suivre un cursus qui ne leur est pas accordé dans la continuité normale de leurs études, ou à la fin la reconnaissance de leurs diplômes.

« Sous sa forme actuelle, la priorité nationale pour l’emploi et le logement ne répond pas avec le principe européen de la libre circulation des personnes »

Quelles concessions doit faire Monaco pour conclure cet accord ?

Principalement, la liberté de circulation des personnes est celle qui pose le plus de difficulté. Pour comprendre, et en plaisantant un peu, je pourrais dire que si 447 millions de personnes voulaient s’installer à Monaco, cela poserait un problème très différent que si 9 000 Monégasques allaient s’installer en Europe. Plus sérieusement, des professions réservées aujourd’hui aux Monégasques seraient appelées à subir une pression insoutenable. Quid des logements domaniaux construits par l’Etat à grand frais, et qui seraient, dès lors, ouverts à tous vents ? Sous sa forme actuelle, la priorité nationale pour l’emploi et le logement ne répond pas avec le principe européen de la libre circulation des personnes. Par ailleurs, l’application des textes de loi ou normatifs demanderont un effort incroyable, et impossible, à notre administration, y compris au Conseil national, avec les moyens dont ils disposent, pour réformer notre législation. Nous serions alors obligés d’accepter des textes en l’état, qui ne correspondent pas à notre réalité.

La question des salariés qui viennent chaque jour travailler à Monaco se pose aussi ?

Monaco a un cadre particulier, là aussi unique, avec la venue chaque jour de plus de 50 000 pendulaires européens, soit plus que sa population résidente. Il ne faut pas faire de concessions qui pourraient être à rediscuter plus tard, si cette situation favorable pour la liberté de circulation devait évoluer dans le temps.

Ces négocations ont débuté en mars 2015 : quels obstacles ont été rencontrés lors de ces négociations, qui expliquent une telle durée de discussions ?

Des obstacles divers et variés. Principalement, je dirais que le sujet des trois petits États n’était pas, on s’en doute, le sujet le plus important lorsque la Commission européenne a dû faire face au Brexit, à la rupture des discussions sur un accord similaire avec la Suisse, ou à la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, les élections européennes, et de nouvelles têtes au sein de la Commission, du Parlement ou simplement le changement des négociateurs suite à ces élections ou des départs à la retraite, ont fait que les négociations ont pris du temps. Il faut aussi surtout veiller à ne pas faire quelques concessions qui semblent évidentes, ou sans réels impacts aujourd’hui, mais qui ouvriraient des possibles évolutions du texte dans les prochaines années, et qui ne seraient alors plus sans effets importants pour notre modèle de société.

Au Conseil national, quel est le rôle de la commission restreinte et bénéficie-t-elle de suffisamment de transparence ?

Lors des négociations, il est important de garder un caractère de confidentialité sur les échanges qui se tiennent. C’est le propre de toute négociation, tant que les concessions de chacun ne sont pas encore entérinées. Pour autant, « information » ne veut pas dire « acceptation ». Lors de ces réunions en commission restreinte, le Conseil national a très souvent fait part de son désaccord sur des dispositions qui étaient envisagées pour répondre aux quatre dogmes mis en avant par les négociateurs européens.

Cette confidentialité des échanges ne risque-t-elle pas de braquer, à terme, les élus du Conseil national ?

On peut souligner que le Conseil national en entier a lui aussi bénéficié d’une information régulière à travers des commissions plénières d’étude. Mais le caractère de certaines concessions en cours de discussions ne pouvait être abordé. Cela pourrait conduire à une forme de mise devant le fait accompli, qui conduirait, si l’accord est figé un jour, à un refus par le Conseil national de voter la ratification du texte définitif de cet accord, avec toutes les conséquences graves que cela pourrait avoir pour l’Europe, pour la principauté de Monaco, pour le Conseil national et, bien sûr, pour notre population.

Comment jugez-vous les relations entre le Conseil national et le gouvernement dans ce dossier ?

Le Conseil national a confirmé, en tant que partenaire institutionnel et représentant de la population et des résidents, qu’il serait majoritairement contre un accord qui ne respecterait pas les « lignes rouges » [fixées par le prince Albert II — NDLR]. Mais le Conseil national affirme aussi que le gouvernement pouvait s’appuyer sur lui pour affirmer avec force les positions défendant nos spécificités.

Comment a évolué la position des négociateurs européens vis-à-vis de Monaco depuis mars 2015 ?

Cela n’engage que moi, mais, malheureusement, la position des négociateurs n’a pas évolué. La seule nouveauté, c’est la pose d’un ultimatum par la Commission européenne pour conclure la négociation avant la fin de l’année 2023. Mais ce n’est pas la première fois qu’un tel ultimatum est prononcé, car Bruxelles, lorsque de nouvelles élections européennes approchent, souhaite boucler avant de repartir pour un tour avec une nouvelle équipe, dont ils ne connaissent pas l’orientation politique à venir.

« Le risque, malheureusement, consisterait aussi à s’exposer à des mesures de rétorsion de la part de l’UE, vexée de l’échec de la négociation. Il faut donc continuer à défendre nos spécificités, sans briser la négociation »

Quelles seraient les conséquences en cas d’absence d’accord avec l’Union européenne ?

Là encore, cela n’engage que moi, mais il me semble qu’une absence d’accord serait moins préjudiciable qu’un mauvais accord, où les concessions accordées seraient trop importantes, et remettraient en cause notre équilibre actuel, notre modèle de société, notre équilibre social et financier. Nos spécificités font la force de notre principauté et son attractivité. Perdre cela pour rentrer dans un moule qui correspond à des pays très différents, et de tailles très différentes, conduirait à nous rendre insipides.

Les conséquences seraient également politiques ?

Le risque, malheureusement, consisterait aussi à s’exposer à des mesures de rétorsion de la part de l’UE, vexée de l’échec de la négociation. Il faut donc continuer à défendre nos spécificités, sans briser la négociation, et à faire mieux connaître notre pays, pour le faire mieux comprendre. Il faut affirmer notre souveraineté pour garder nos atouts actuels.

Pour revenir au début notre dossier « Négociations européennes : pourquoi tant d’inquiétudes ? », cliquez ici.