jeudi 25 avril 2024
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Négociations Monaco – Union européennes : pourquoi tant d’inquiétudes ?

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L’année 2023 devrait être une année forte en ce qui concerne les négociations pour l’accord d’association européen, entre Bruxelles et Monaco. La principauté espère pouvoir accéder plus facilement au marché européen, tout en préservant son modèle économique et fiscal. Mais, si une signature ne va pas forcément de soi cette année, les conseillers nationaux craignent qu’un « mauvais accord » ne soit conclu.

Rarement un document, pas encore signé qui plus est, n’aura suscité autant de peurs et de fantasmes que ce projet européen d’accord d’association. Depuis bientôt huit ans qu’il traîne, il est parfois brandi en politique comme une menace à la souveraineté monégasque et à son modèle fiscal. À l’origine, cet accord d’association est pourtant purement commercial : envisagé depuis mars 2015 par le gouvernement monégasque et l’Union européenne (UE), il résulte du besoin de faciliter la vie des entreprises monégasques qui souhaitent exporter leurs produits vers les États européens et leurs 447 millions d’habitants, et également participer à des appels d’offre. En effet, un certain nombre d’entreprises monégasques sont bridées par le fait d’appartenir à un État qui n’est pas membre de l’UE, et qui n’envisage pas de la rejoindre. Ainsi, les entreprises de l’industrie, du négoce de gros et de détails, de l’agroalimentaire, de la chimie, du pharmaceutique, des cosmétiques, de l’intérim, de l’assurance, ou encore des transports, subissent des freins juridiques et administratifs qui ralentissent leur activité. Cela grève donc leur chiffre d’affaires, faute de pouvoir bénéficier des mêmes souplesses que les entreprises des pays membres. Ces entreprises monégasques doivent bien souvent créer une correspondance dans un pays de l’UE, généralement la France, pour intégrer plus facilement le marché européen. Mais ce n’est pas une solution durable, ni tout à fait équitable car, à l’inverse des entreprises monégasques, les entreprises européennes peuvent écouler leurs produits et leurs services en principauté, sans subir autant de contraintes. Le gouvernement a donc envisagé un moyen d’aboutir à la réciprocité, en droit comme dans les faits, par l’intermédiaire d’un accord qui permettrait de résoudre ce déséquilibre.

Envisagé depuis mars 2015 par le gouvernement monégasque et par l’Union européenne, cet accord d’association résulte du besoin de faciliter la vie des entreprises monégasques qui souhaitent exporter leurs produits vers les États européens et leurs 447 millions d’habitants, et également participer à des appels d’offre

Conseil National de Monaco Négociations Europe
« Sans approche idéologique, avec responsabilité et pragmatisme, l’Union Nationale Monégasque ne votera favorablement que si les avantages sont largement supérieurs aux concessions. » Brigitte Boccone-Pagès. Tête de liste pour L’Union nationale. © Photo Conseil National

Monaco ne va (toujours) pas rejoindre l’Union européenne

Qui dit accord ne dit pas globalisation pour autant, et Monaco ne va pas devenir membre de l’UE. Cela a été dit à de multiples reprises, et garanti par le gouvernement monégasque, et son département des relations extérieures et de la coopération, dès le début des discussions européennes. Le prince Albert II l’a aussi garanti, en fixant des limites, des « lignes rouges », à ne pas franchir. Parmi elles : le maintien de la priorité nationale dans tous les domaines, le maintien de l’accès réservé aux Monégasques dans les logements domaniaux, l’accès exclusif pour les Monégasques à certaines professions réglementées, l’autorisation préalable obligatoire à l’installation des résidents et des entreprises sur le territoire monégasque, et enfin le maintien du régime déclaratif pour les Monégasques. Si un accord est signé, il ne doit pas non plus aller à l’encontre de la priorité nationale accordée aux entreprises monégasques dans le cadre de l’attribution des marchés de l’Etat. Il ne doit pas non plus porter atteinte au maintien du dispositif permettant un accès privilégié au logement du secteur protégé d’habitation pour les Monégasques et les enfants du pays. Monaco aurait en effet trop à perdre, et trop peu à gagner, en rejoignant l’UE. Et si le prince Albert II, lors de ses vœux, a fixé début janvier 2023 qu’un « engagement résolu au sein du Conseil de l’Europe, comme dans les discussions en cours en vue d’un rapprochement avec l’UE », était l’une des « priorités déterminantes » pour l’avenir de Monaco, l’absence d’accord est également une éventualité.

En cas d’absence d’accord avec l’UE, Pierre Dartout explique que « toutes les hypothèses doivent être envisagées, le non-accord et l’accord », rappelant que « dans les deux cas, il faudra savoir ce que seront les conséquences, notamment défavorables »

Un non-accord possible, mais une peur tenace

Le ministre d’État Pierre Dartout, lors de ses vœux à la presse, le 18 janvier 2023, a également rappelé qu’un accord ne serait pas signé à tout prix en 2023, même si les discussions sont amenées à se poursuivre : « L’objectif n’est pas de signer un accord d’ici la fin de l’année 2023, mais d’avancer dans les négociations, et d’avoir un niveau d’aboutissement des négociations qui sera satisfaisant. » En cas d’absence d’accord avec l’UE, Pierre Dartout explique que « toutes les hypothèses doivent être envisagées, le non-accord et l’accord », rappelant que « dans les deux cas, il faudra savoir ce que seront les conséquences, notamment défavorables ». Mais, malgré ces déclarations, et malgré les lignes rouges fixées par le prince dans le cadre des négociations, ce sujet d’accord européen cristallise encore les peurs et les tensions chez les élus du Conseil national, dont la plupart sont en campagne pour l’élection nationale du 5 février 2023. Ainsi, la présidente sortante du Conseil national, Brigitte Boccone-Pagès, également tête de liste de L’Union pour l’élection nationale, aborde ce sujet européen d’une manière particulièrement incisive. Lors d’une réunion publique organisée le 17 janvier 2023 sur ce thème, la présidente, s’est posée en rempart face à ce qu’elle considère, avec L’Union, comme une menace pour Monaco : « La question n’est pas « oui ou non à l’Europe ? », ce n’est même pas « oui ou non à un accord ? » qui n’est qu’un instrument. Le sujet central est celui de la pérennité de notre modèle et du respect de notre souveraineté. Je le dis avec sérénité et de manière tranchée : sur ces deux points, nous ne transigerons pas, car il n’est pas question de brader nos spécificités. » La présidente du Conseil national propose alors quelques idées, pour éviter que cette tension politique n’aboutisse à un blocage. Parmi elles : la création d’un comité mixte de suivi de la négociation, entre le Conseil national et le gouvernement. Ou encore, la création d’une étude d’impact qui prendrait en compte les deux hypothèses, à savoir la signature d’un accord ou non, pour évaluer leurs conséquences sur la pérennité du pacte social monégasque, dans un cas comme dans l’autre. Brigitte Boccone-Pagès plaide également pour que cet accord fasse l’objet d’un projet de loi de ratification par le Conseil national : « Sans approche idéologique, avec responsabilité et pragmatisme, l’Union Nationale Monégasque ne votera favorablement que si les avantages sont largement supérieurs aux concessions. Il en va de la préservation de ce que nous sommes, en tant que Monégasques », promet ainsi la présidente. Son opposant à l’élection nationale, et ancien allié dans le groupe politique Priorité Monaco (Primo !) Daniel Boeri, désormais président de la liste des Nouvelles idées pour Monaco (NIM), craint que la signature d’un accord d’association européen ne place la principauté dans une position inconfortable, face au risque d’harmonisation fiscale qu’il engendrerait à terme, selon lui. Daniel Boeri considère en effet que l’emploi et le logement doivent être préservés, tout comme la nature du commerce extérieur de Monaco. Ce n’est décidément pas l’emballement qui prime.

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