samedi 27 avril 2024
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Les Monégasques se désengagent-ils de la vie politique ?

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À Monaco, les dernières élections nationales et communales ont été marquées par une forte abstention. Face au désintérêt croissant de nombreuses personnes pour la politique, faut-il s’inquiéter ?

En 2023, les élections nationales et les élections communales se sont soldées par un taux d’abstention record. Au Conseil national, le 5 février 2023, la liste L’Union de Brigitte Boccone-Pagès a très facilement remporté 24 sièges sur 24 face à la liste incomplète Nouvelles Idées Monégasques (NIM) de 14 candidats présentée par Daniel Boeri. Mais un fait n’a pas échappé aux observateurs de la vie politique monégasque : le taux de participation a été de seulement 57,26 %, contre 70,35 % en 2018 et 74,55 % en 2013. Avec 13 points de participation en moins par rapport au scrutin de 2018, cette élection a été l’objet de nombreux commentaires.

Lire aussi | Brigitte Boccone-Pagès : « Nous sommes à l’abri d’un rejet des élus et des corps intermédiaires »

Autre fait notable : depuis la révision constitutionnelle de 2002 qui a fait passer le nombre d’élus à 24 contre 18 auparavant [à ce sujet, lire l’interview de Joël-Benoît d’Onorio : « À Monaco, il n’y a pas de passage en force, comme en France », publiée dans ce numéro de Monaco Hebdo — NDLR], c’est la première fois qu’une liste obtient la totalité des sièges.

En 2023, les élections nationales et les élections communales se sont soldées par un taux d’abstention record. […] Pour les élections nationales, le taux de participation a été de seulement 57,26 %, contre 70,35 % en 2018 et 74,55 % en 2013

« Intérêts »

Cette campagne électorale à bas bruit, comme l’ont souligné un certain nombre de Monégasques sur les réseaux sociaux, n’a pas déclenché l’engouement attendu. Seulement 4 348 Monégasques se sont déplacés pour voter le 5 février 2023, contre 5 089 en février 2018, où trois listes de 24 candidats s’affrontaient, Priorité Monaco (Primo !), Union Monégasque (UM), et Horizon Monaco (HM). Les responsables polit iques des deux listes engagées ont très vite commenté ces résultats électoraux. Le 7 février 2023, Brigitte Boccone-Pagès a estimé dans les colonnes de Monaco-Matin que la légitimité de sa liste d’union Primo !, UM et HM n’avait pas été « fragilisée », car « la baisse de la participation est largement compensée par l’ampleur du résultat ».

Lire aussi | Joël-Benoît d’Onorio : « À Monaco, il n’y a pas de passage en force, comme en France »

De son côté, Daniel Boeri s’est, pour sa part, ému dans Monaco Hebdo du taux de participation « le plus faible que nous ayons connu pour cette élection », et qui « n’aura servi les intérêts d’aucune des deux listes. Toutefois, je crois pouvoir le dire : grâce à la liste des NIM, la démocratie de notre pays a été préservée. Ainsi que notre image à l’international, ce qui est tout aussi important. De ce point de vue, je ne regrette rien. » Estime-t-il avoir commis des erreurs pendant cette campagne électorale ? « Je ne sais pas si l’on peut parler d’erreurs. Nous avons dû partir en campagne très tardivement, du fait des difficultés à constituer la liste, avec un budget limité », a-t-il répondu.

Pour les élections communales, dans la soirée du 19 mars 2024, le taux de participation a été de seulement 39,66 %. Lors du scrutin précédent, le 17 mars 2019, le participation avait été de 46,49 %

Source : Mairie de Monaco

« Participation »

Les élections communales qui se déroulaient quelques semaines plus tard, sont venues confirmer le recul de la participation. Comme lors du précédent scrutin, en 2019, une seule liste se présentait, celle du maire sortant, Georges Marsan. L’Evolution Communale s’est donc imposée, permettant ainsi à Georges Marsan de battre un record de longévité. En effet, il a remporté les élections communales une sixième fois depuis 2003, ce que personne n’avait réussi à faire auparavant. En revanche, dans la soirée du 19 mars 2024, le taux de participation a été de seulement 39,66 %. Lors du scrutin précédent, le 17 mars 2019, le participation avait été de 46,49 %. Pourtant, un certain nombre de leviers avaient été actionnés, afin d’éviter cette chute de près de 7 points. Conscient de ce contexte, avec une seule liste en course et un seul meeting politique le 15 mars 2024 à l’auditorium Rainier III, Georges Marsan avait en effet estimé que, « comme il y a quatre ans, sur le plan électoral, l’enjeu de ce scrutin sera encore la participation, puisque ma liste, L’Evolution Communale, est la seule liste à se présenter. Même si aujourd’hui le vote par procuration est devenu très étendu et très facile avec la nouvelle loi, on observe un désintérêt pour les élections en Europe. Monaco n’échappe pas à la règle ». Comme un symbole, quelques jours avant le scrutin, l’Evolution Communale avait remplacé les neuf points de son projet politique par un slogan : « Le vote est un droit, ne passez pas à côté. » Mais rien n’y aura fait, et les Monégasques se sont donc très peu déplacés pour ces élections communales. « Il y a un phénomène d’érosion dans la participation à chaque élection, a expliqué Georges Marsan à Monaco Hebdo, au lendemain de sa victoire. C’est un constat international. Je le déplore, mais Monaco n’échappe pas à la règle. Traditionnellement, les élections communales ont un taux de participation inférieur aux élections nationales. »

Lire aussi | Georges Marsan : « A chaque élection, il y a un phénomène d’érosion dans la participation »

Politique monégasque Elections Nationales
Le 5 février 2023, le taux de participation pour les élections nationales
a été de seulement 57,26 %, contre 70,35 % en 2018 et 74,55 % en 2013. © Photo L’Union

« Le désengagement électoral est un phénomène quasiment universel. Il est vrai que la population trouve aujourd’hui de multiples moyens d’expression et qu’elle interagit de manière instantanée sur tous les sujets possibles, y compris avec ses représentants »

Brigitte Boccone-Pagès. Présidente du Conseil national

« Investissement »

Le constat est le même du côté du Conseil national et de sa présidente, Brigitte Boccone-Pagès : « Le désengagement électoral est un phénomène quasiment universel. Il est vrai que la population trouve aujourd’hui de multiples moyens d’expression et qu’elle interagit de manière instantanée sur tous les sujets possibles, y compris avec ses représentants », a-t-elle indiqué dans un entretien accordé à Monaco Hebdo [à ce sujet, lire son interview : « Nous sommes à l’abri d’un rejet des corps intermédiaires et des élus », publiée dans ce numéro de Monaco Hebdo — NDLR]. Mais cette élue estime toutefois que le cas monégasque est particulier, et qu’il ne faut donc pas céder au catastrophisme : « Nous sommes heureusement à l’abri d’un rejet, parfois violent ailleurs, des corps intermédiaires et des élus, estime-t-elle. Ne nous basons pas sur le dernier scrutin, avec une configuration un peu particulière, pour tirer des conclusions définitives. » Pour présenter une liste complète pour les élections nationales, il faut réunir 24 candidats, ce qui n’a donc pas été possible en 2023 pour le groupe politique mené par Daniel Boeri. Alors que la principauté comptait 39 050 habitants en mars 2022, il y avait 9 686 Monégasques, 4 423 hommes et 5 263 femmes. Est-il trop difficile de parvenir à réunir 24 personnes motivées par la constitution d’une liste pour les élections nationales ? « Le Conseil national a compté 21, puis 12, puis 18 élus, et ce nombre a été porté à 24, par la sagesse des rédacteurs de la révision constitutionnelle de 2002, a rappelé Brigitte Boccone-Pagès. Est-ce trop ? Sur ce point, je peux vous assurer qu’à 24, nous ne manquons pas de travail au sein de nos douze commissions, qui demandent un énorme investissement de chacune et de chacun, dans toute l’étendue des sensibilités qui représentent bien notre population. » Lors des élections nationales de février 2018, trois listes complètes se sont affrontées, soit un total de 72 candidats, contre seulement 38 cinq ans plus tard.

« Bonne chance »

Pour le scrutin du 5 février 2023, certains conseillers nationaux ont décidé de ne pas se présenter à nouveau. Interrogé par Monaco Info le 20 novembre 2023, Marc Mourou, conseiller national élu à 31 ans pour la mandature 2018 à 2023, a été interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à ne pas se présenter pour un nouveau mandat. Cet ancien élu, âgé aujourd’hui de 37 ans, a expliqué que « si les conditions ne sont pas réunies, si je ne me retrouve pas dans ce qui est proposé, si ça ne me ressemble pas, rester pour être uniquement assoiffé de gloire, de reconnaissance ou d’honneurs, c’est non ». Il a donc renoncé à être candidat. Et il ne regrette rien : « À partir de là, j’étais très tranquille, très apaisé, et surtout très content de mon choix. Et je le suis encore plus à l’heure actuelle. » Tout en ajoutant : « Dans les prochaines années, j’ai des projets dans le cadre associatif, que je mettrai en œuvre. J’essaierai de toujours rester au service de mon pays ». Toujours dans le cadre de la mandature 2018-2023, on se souvient aussi de la petite phrase lâchée par un autre jeune conseiller national, Pierre Van Klaveren, à l’occasion du vote du budget primitif 2023, dans la soirée du 15 décembre 2022 : « Chers collègues, si je vous disais que j’ai trouvé tous nos débats passionnants et enrichissants, je vous mentirais. Et vous savez maintenant que je ne sais pas mentir. Si je vous disais également que vous me manquerez tous, je mentirais aussi. » Avant d’ajouter : « Ce que je peux vous dire, par contre, c’est que ces cinq dernières années resteront pour moi une expérience inoubliable et extrêmement enrichissante. […] Bonne chance à tous les candidats aux prochaines élections. Bon courage à celles et ceux qui seront élus. »

Lire aussi | Budget primitif 2023 : un “oui” et quelques mises en garde

Marc Mourou a expliqué sur Monaco Info que « si les conditions ne sont pas réunies, si je ne me retrouve pas dans ce qui est proposé, si ça ne me ressemble pas, rester pour être uniquement assoiffé de gloire, de reconnaissance ou d’honneurs, c’est non ». Il a donc renoncé à être candidat. Et il ne regrette rien

Au cours de la même soirée, et après trois mandats, l’élu Horizon Monaco (HM), Jacques Rit, a aussi annoncé qu’il ne rempilerait pas pour cinq ans de plus. Tout en mettant en avant quelques idées pour relancer l’intérêt politique chez les Monégasques, en pointant le mode de scrutin : « Nous observons, une fois de plus, la difficulté rencontrée par des formations politiques de taille modeste, mais cependant tout à fait à l’échelle de la taille de notre pays, pour rassembler 24 candidats, et se présenter aux élections. La loi électorale n’impose, c’est vrai, qu’un minimum de 13 candidats pour constituer une liste, mais les simulations montrent qu’il est impératif d’en présenter 24 pour préserver toutes ses chances de remporter des sièges. Et je souhaite sincèrement à la seule liste en lice pour les prochaines élections [les élections nationales du 5 février 2023 — NDLR] qu’une deuxième liste émerge d’ici là, afin de renforcer la légitimité de tous les futurs élus. »

« Nous observons, une fois de plus, la difficulté rencontrée par des formations politiques de taille modeste, mais cependant tout à fait à l’échelle de la taille de notre pays, pour rassembler 24 candidats, et se présenter aux élections. La loi électorale n’impose, c’est vrai, qu’un minimum de 13 candidats pour constituer une liste, mais les simulations montrent qu’il est impératif d’en présenter 24 pour préserver toutes ses chances de remporter des sièges »

Jacques Rit. Ancien élu du Conseil national

Convaincre

Du côté de la mairie, Georges Marsan avait rappelé au lendemain des élections communales que près d’un tiers de sa liste avait été renouvelée, par rapport à 2019, tout en assurant ne pas avoir rencontré de difficultés particulières pour attirer de nouveaux candidats. « J’ai choisi ceux qui me paraissaient les meilleurs pour notre ville, à la fois par leurs compétences et par leurs expertises. Face à nous, aucune autre liste ne s’est constituée. Je ne pense pas que ce soit par manque d’intérêt pour la politique, mais davantage par difficulté à ce que les gens puissent trouver du temps à consacrer à la vie publique », avait-il alors expliqué. Que faire pour convaincre et pousser davantage de Monégasques à s’impliquer dans la vie politique de leur pays ? « Le vote est un droit, et pas une obligation. L’éducation civique pourrait, peut-être, retrouver un peu plus de place à l’école pour les prochaines générations. Il est toujours bon de rappeler d’où viennent les droits démocratiques, et considérer que rien n’est jamais acquis. […] L’éducation civique est importante. Toutes nos assemblées élues ont désormais un conseil des jeunes. Ce sont des bonnes pratiques, qui peuvent susciter des vocations », avait alors avancé Georges Marsan. Le lancement du Conseil national des jeunes, dont la toute première session s’est déroulée dans l’Hémicycle le 29 mars 2021 est un autre levier qui a été activé en principauté. Douze jeunes, des classes de cinquième à celles de seconde, ont été sélectionnés pour représenter la jeunesse monégasque au Conseil national. En 2021, les premiers thèmes de travail ont été la protection de l’environnement, la solidarité, la transition numérique, et enfin l’accès au sport de haut niveau et à la culture.

Georges Marsan Victoire Mairie de Monaco 2023
Le 19 mars 2023, le taux de participation pour les élections communales a été de seulement 39,66  %. Lors du scrutin précédent, le 17 mars 2019, le participation avait été de 46,49 %. © Photo Ed Wright Images / Mairie de Monaco

Numérique

Au-delà de ces initiatives, la difficulté à animer le débat politique est un écueil qui n’est pas facile de contourner. Si les électeurs peinent à identifier les enjeux du scrutin, ils ont d’autant plus de mal à se déplacer pour aller voter. En France, la prise de distance vis-à-vis des formes traditionnelles d’expression politique gagne du terrain. Les jeunes générations se tournent moins que leurs aînés vers l’engagement politique partisan. Désormais, l’expression d’un désir n’est plus nécessairement politisée. Elle peut s’exprimer par d’autres biais, comme on l’a vu pendant la pandémie de Covid-19. Depuis, en France, une certaine défiance semble s’être installée face aux politiques. Près d’un Français sur deux ne croit pas aux statistiques officielles, ce qui ne permet pas ensuite de pouvoir discuter sur des bases chiffrées partagées par tous. Cette défiance a souvent été portée par les réseaux sociaux, avec parfois des dérives complotistes. Bien sûr, difficile de calquer cette situation sur l’électorat monégasque, même si, depuis le Covid-19, le poids du numérique, pour s’informer notamment, est aussi conséquent qu’en France. Reste à savoir s’il faut donner un sens politique à l’abstention. Ce n’est pas nécessairement le cas du côté français, où, lors des dernières élections, ce sont les groupes de personnes les moins politisés qui se sont abstenus. À Monaco, l’identification à une famille ou un groupe politique étant moins marquée, il est difficile de forcément prêter une dimension politique à l’abstention. Même s’il faut désormais composer avec.

Election nationale du 5 février 2023 : seulement 57,26 % de participation

Electeurs inscrits : 7 594
Nombre de votants : 4 348
Taux de participation : 57,26 %
Bulletins nuls : 254
Bulletins blancs : 146
Total des suffrages valablement exprimés : 81 003
Limite des 5 % pour accéder à la proportionelle : 4 050,15
Quotient électoral : 10 125,38
Répartition des 24 sièges
Nombre de sièges obtenus par L’Union : 24
Nombre de sièges obtenus par les NIM : 0

Elections communales du 19 mars 2023 : les chiffres

Nombre d’électeurs inscrits : 7 605
Nombre de votants (enveloppes présentes dans l’urne) : 3 016
Taux de participation : 39,66 %
Nombre de bulletins blancs : 110
Nombre de bulletins nuls : 75
Suffrages exprimés : 2 941
Majorité absolue : 1 471
Quart des électeurs inscrits : 1 902