samedi 27 avril 2024
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Institutions monégasques : « Un équilibre simple et subtil », pour Joël-Benoît d’Onorio

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Le professeur de droit, Joël-Benoît d’Onorio, directeur de l’institut Portalis de la faculté de droit d’Aix-en-Provence, vient de publier un livre sur les institutions monégasques(1). Il explique pourquoi à Monaco Hebdo.

Pourquoi vous intéresser à Monaco ?

J’ai été amené à m’intéresser à la vie institutionnelle et politique de Monaco par l’intermédiaire des trois personnalités à la mémoire de qui j’ai dédié mon livre : Monseigneur Sardou, l’ambassadeur Solamito et le président Torrelli, du tribunal suprême. Ils m’ont tous beaucoup appris sur le fonctionnement de l’Etat princier.

Cela vous a été utile ?

Oui, car depuis une trentaine d’années, j’en ai fait profiter mes étudiants d’Aix-en-Provence que je conduis régulièrement en Principauté pour des journées d’information sur les institutions de Monaco. Car dans nos universités on enseigne le droit de différents pays étrangers, mais on ne dit jamais rien de ce petit Etat qui nous est pourtant si proche à plus d’un titre et alors même qu’il est doté d’une organisation particulière qui mérite bien une attention spéciale des juristes.

Il y a eu d’autres prolongements ?

Ces liens expliquent aussi l’invitation faite à mon initiative au Prince Albert II en 2011 pour recevoir à la faculté de droit d’Aix-en-Provence le doctorat honoris causa de notre université et présider la séance solennelle de l’institut Portalis que je dirige.

L’origine de ce livre ?

Mon discours de parrainage du prince Albert m’a fourni l’occasion d’exposer, devant toute la communauté universitaire et le parterre de personnalités locales, les principales caractéristiques de l’Etat monégasque… qu’elles paraissaient découvrir pour l’occasion ! Cela m’a donné l’envie d’approfondir le sujet et d’y consacrer un livre.

L’objectif de ce livre ?

Cet ouvrage a l’ambition de faire apprécier l’originalité du régime monégasque et d’expliquer, pour ainsi dire, les recettes de son extraordinaire pérennité.

Son contenu ?

J’y retrace l’historique de sa formation et de son évolution pour m’attarder sur le XXème siècle, qui a marqué l’entrée de la Principauté dans la modernité institutionnelle et démocratique. J’en ai démonté les mécanismes et fait émerger l’esprit. Tout en espérant avoir été aussi fidèle et aussi clair que possible pour que ces pages soient accessibles non seulement aux juristes et aux dirigeants politiques, mais aussi à toute personne désireuse de comprendre comment est gouverné ce petit peuple, qui fait des envieux dans le monde entier.

Pourquoi le mode de gouvernance de Monaco est si méconnu ?

Monaco a été victime de son succès médiatique : la vie très riche en événements de tous ordres, culturels, artistiques, scientifiques, sportifs… Tout cela a concentré tous les feux de l’actualité en raison même d’une dynastie qui, au milieu du siècle dernier, a suscité un phénomène de « mondialisation » avant l’heure à partir du mariage du prince Rainier III avec la princesse Grace. Ce souverain a été à l’origine d’une véritable renaissance de la Principauté, parvenue à un niveau de célébrité inégalé dans son histoire.

Le rôle des institutions dans cette réussite médiatique ?

Tout ce qui a propulsé Monaco sur la scène internationale à cette époque et jusqu’à nos jours n’a été possible que parce qu’il y avait à la base et en arrière-plan des institutions solides pour permettre au génie multiforme de ce prince de produire tous ses fruits. L’opinion bienveillante s’en est tenue à la manifestation attractive, privilégiée par les médias à paillettes. Pendant que l’opinion malveillante a entretenu à satiété la caricature d’une « principauté d’opérette », qui doit tout à l’ignorance et rien à la réalité.

Comment lutter contre cette caricature ?

Ces pages ont été aussi écrites dans l’intention de dégonfler cette baudruche : Monaco n’a rien à envier aux autres systèmes politiques et juridiques environnants. Il pourrait même leur servir de modèle en certains domaines où il les a précédés, comme j’en donne des exemples dans cette étude.

Le prince Albert est le seul monarque européen à vraiment gouverner son pays ?

C’est en effet le prince qui détermine et conduit la politique tant interne qu’internationale de la Principauté dont il confie l’application à son ministre d’Etat et à son gouvernement, qu’il a choisis et nommés personnellement. Tous ses homologues européens n’ont plus qu’une fonction purement représentative. Seul le prince du Liechtenstein a conservé des pouvoirs effectifs, mais moindres que le souverain de Monaco.

Il n’existe aucun équivalent dans le monde ?

On ne connaît pas beaucoup d’exemples similaires dans le monde. Sauf peut-être quelques monarques arabes. Mais l’avantage de la monarchie monégasque est de gouverner un authentique Etat de droit garantissant les libertés fondamentales. La différence n’est pas mince…

Comment la monarchie monégasque a fait évoluer son droit constitutionnel ?

Les grandes étapes sont connues et s’étalent sur un court demi-siècle qui a suffi pour mettre Monaco à l’heure des standards européens. La première constitution de 1911 octroyée par le prince Albert Ier a eu le mérite de transformer cette monarchie plutôt paternaliste en une monarchie constitutionnelle où le prince tenait néanmoins les rênes de son Etat.

Et ensuite ?

Cette constitution connaîtra de nombreuses vicissitudes, voire des suspensions, jusqu’à ce qu’en 1962 le prince Rainier fasse ici aussi œuvre marquante et salutaire en promulguant un nouveau texte plus complet et plus équilibré pour harmoniser les prérogatives de la couronne et les aspirations de la population exprimées par les élus du Conseil national.

Et ça a marché ?

Ce système a bien fonctionné pendant 40 ans avant d’être quelque peu modifié en 2002, d’abord à l’initiative du Prince lui-même rencontrant les souhaits de ses sujets. Puis à la demande du Conseil de l’Europe pour préciser certains points préalablement à l’adhésion de Monaco à cette grande institution continentale.

Avec quelle logique ?

Le prince a eu l’intelligence de ne faire droit qu’aux requêtes européennes qui ne venaient pas altérer la répartition des pouvoirs en Principauté et ne contrevenaient pas à la spécificité ou à la tradition juridique du pays.

Comment s’équilibre le dialogue entre le prince, le gouvernement et les élus du Conseil national ?

Cet équilibre est aussi simple que subtil : il est propre au génie monégasque. Le pouvoir exécutif appartient au prince et à son gouvernement, le pouvoir législatif au prince et au Conseil national, le pouvoir judiciaire au prince et aux cours et tribunaux.

Mais c’est le prince qui décide, au final ?

Le prince est donc au confluent de la trilogie des pouvoirs équitablement répartis. Mais, s’il exerce pleinement le pouvoir exécutif, il n’exerce que partiellement le pouvoir législatif, en début et en fin de processus, par l’initiative des lois et leur sanction-promulgation. Et il ne s’immisce aucunement dans le pouvoir judiciaire qu’il a tout entier délégué à un corps de magistrats indépendants.

Quelle est la clé de cet équilibre ?

Cet agencement fonctionne correctement tant que chacun reste bien dans son rôle, sans empiéter sur le domaine de l’autre, comme c’est clairement énoncé dans la constitution.

La constitution monégasque est un régime mixte, entre parlementaire et présidentiel ?

Ce régime est effectivement mixte, dans la mesure où il n’est pas parlementaire. En effet, comme dans un régime présidentiel, le gouvernement procède exclusivement du prince et ne peut être renversé par le Conseil national. Ce régime n’est pas présidentiel non plus car le Conseil national peut être dissous en cours de mandat par le prince, comme dans un régime parlementaire. Toute l’originalité de la constitution de Monaco est là. Et ça fonctionne très bien ainsi.

La cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estime que le procureur général et ses substituts ne sont pas indépendants vis-à-vis du pouvoir exécutif ?

Cette jurisprudence, au demeurant discutable et discutée, a visé la France, mais nullement Monaco. A cet égard, la Principauté représente un exemple. Puisque, contrairement à ce qui se passe ailleurs, la justice échappe au gouvernement pour constituer un secteur entièrement à part, qui relève du prince seul.

C’est ce point qui pose problème ?

Mais le prince n’interfère jamais. Il laisse la magistrature accomplir librement sa mission conformément à la constitution et aux lois. C’est un avantage considérable que la commission de Venise du Conseil de l’Europe n’a curieusement pas souligné dans son rapport de 2013 dont j’ai regretté dans mon livre la médiocrité, les lacunes et les incohérences.

La constitution monégasque doit encore évoluer ?

J’ai suffisamment critiqué les ingérences extérieures, européennes, voire françaises, dans les affaires constitutionnelles de Monaco pour ne pas tomber, à mon tour, dans ce travers. Ce domaine relève de la souveraineté exclusive des Monégasques et de leur prince, seuls compétents pour dire ce qui leur convient le mieux et décider des changements opportuns ou des évolutions nécessaires.

Vraiment aucune piste ?

Un juriste étranger, même professeur des universités, doit avoir la modestie de se borner à analyser et à commenter. Sans se substituer à ceux à qui il n’a pas de leçon de droit à donner.

(1) Monaco, monarchie et démocratie de Joël-Benoit d’Onorio (Presses universitaires d’Aix-Marseille), 256 pages, 20 euros.