mercredi 24 avril 2024
AccueilActualitésSociétéÀ Monaco, la liberté de culte ne se discute pas

À Monaco, la liberté de culte ne se discute pas

Publié le

Si la religion catholique est la religion d’État à Monaco, la Constitution garantit toutefois le pluralisme religieux, et la liberté de culte. Une particularité qui permet à différentes confessions de coexister en principauté. C’est d’ailleurs sur ce point constitutionnel que l’association pour le culte des Témoins de Jéhovah a pu obtenir leur reconnaissance officielle à Monaco, le 19 novembre 2022.

« Le salut est pour tous, même les plus petits. » Cette phrase de Monseigneur Bernard Barsi (1942-2022) restera dans les mémoires. Disparu le 28 décembre 2022, et inhumé en la cathédrale de Monaco le 4 janvier 2023, l’ancien archevêque de la principauté ne manquait pas d’éloquence, et sa pensée reste plus que jamais d’actualité. Dans une interview accordée à Monaco Hebdo en février 2011, il expliquait que « l’Église est ouverte, sans secrets ». Tout en ajoutant que l’Église « a le respect de ceux qui ne pensent pas comme nous ». Cette déclaration renvoyait directement à la liberté de culte de la principauté, principe immuable du système monégasque, qui résonne particulièrement alors que la communauté des Témoins de Jéhovah, ou plutôt leur association, a été officiellement reconnue à Monaco le 19 novembre 2022, après bientôt deux années de combat judiciaire. C’est en partie en respect de ce principe que cette décision a été rendue, poussée par le tribunal suprême et la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Élément clé du système monégasque, le principe de liberté de culte permet de pratiquer librement sa religion, et de construire, ou d’occuper, des lieux de culte. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas incompatible avec la « confessionnalité » de l’État.

Élément clé du système monégasque, le principe de liberté de culte permet de pratiquer librement sa religion et de construire, ou d’occuper, des lieux de culte. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas incompatible avec la « confessionnalité » de l’État

Une seule religion d’État, mais plusieurs religions tolérées

À Monaco, le catholicisme est au cœur de la Constitution. L’article 9 de la Constitution de Monaco du 17 décembre 1962 le dit bien : « La religion catholique, apostolique et romaine est religion d’État ». Présente sur tous les pans de la vie monégasque, malgré une apparente discrétion, la religion catholique garnit le calendrier de fêtes qu’on ne célèbre même plus dans les pays voisins. Et sa devise, Deo Juvante, « avec l’aide de Dieu » dans sa locution latine, est la devise même de la famille princière, la famille Grimaldi (1). Mais cela n’empêche pas d’autres religions d’exister librement en principauté, tant qu’elles respectent les principes fondateurs de l’État catholique. L’article 9 de la Constitution signifie que Monaco reconnaît explicitement le rôle, l’apport, et les fondements de la religion catholique dans son identité et son Histoire. Mais le fait que Monaco reconnaisse une religion comme religion d’État ne signifie pas que le pays est une théocratie pour autant. Au contraire, Monaco est une monarchie constitutionnelle qui reconnaît la liberté des cultes et leur exercice public. C’est un principe qui est, lui aussi, reconnu dans la Constitution de 1962. Il s’agit cette fois de l’article 23, qui dispose que « la liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toutes matières sont garanties ». Il revient alors au tribunal suprême de garantir la liberté de manifester sa religion. C’est d’ailleurs ce que cette institution a fait pour permettre à l’association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah d’exister officiellement à Monaco depuis le 19 novembre 2022. Le tribunal suprême s’inspire directement de la réglementation européenne en matière de liberté de culte, vis-à-vis des États qui ont des liens spécifiques avec une religion dominante. La CEDH souligne que le statut de religion d’État ne saurait s’accompagner du refus d’un pluralisme religieux, ni d’une quelconque concurrence avec des minorités religieuses. La religion d’État ne peut pas, en effet, porter atteinte à la liberté religieuse. Et ce, pour des raisons culturelles et historiques, comme le rappelait François Mabille, chercheur au Centre national de recherche scientifique (CNRS) et directeur de l’observatoire géopolitique du religieux à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), dans une précédente interview avec Monaco Hebdo, en septembre 2022 : « Au XXème siècle, à l’heure de la globalisation du religieux, et en raison de la charte des Nations Unies qui promeut la liberté religieuse, la religion d’État change de contenu, au moins en Europe : c’est la dimension culturelle et patrimoniale d’une religion qu’un État reconnaît, et non plus sa valeur normative et socialement contraignante ».

Le fait que Monaco reconnaisse une religion comme religion d’État ne signifie pas que le pays est une théocratie pour autant. Au contraire, Monaco est une monarchie constitutionnelle, qui reconnaît la liberté des cultes et leur exercice public

Juifs, Anglicans, Protestants, et Jéhovah

« L’Église a le respect de ceux qui ne pensent pas comme nous », déclarait également Mgr Barsi en 2011 à Monaco Hebdo. En principauté, si la grande majorité des croyants est catholique, la pluralité est de mise. Rien qu’au sein de la communauté catholique, plusieurs familles coexistent, et des messes sont célébrées à la fois en portugais, en anglais, en italien, en polonais, ou encore en tagalog, un dialecte philippin, et bien sûr en monégasque, quelques fois dans l’année. Suivent ensuite les protestants luthériens, et les anglicans. Les Anglo-Saxons de Monaco peuvent en effet se rendre à l’église anglicane St Paul’s Church, située le long de l’avenue de Grande-Bretagne. Chez les orthodoxes, qui réunit les cultes grecs et roumains, le patriarcat de Moscou a fondé la paroisse orthodoxe russe des saints martyrs royaux en 2019. Ils se réunissent depuis à la salle de culte de la rue Notari. La communauté juive est elle aussi représentée à Monaco par l’intermédiaire de l’association cultuelle israélite de Monaco (ACIM), dont la synagogue Edmond Safra est située avenue de la Costa. En revanche, il n’existe pas, à ce jour [Monaco Hebdo bouclait ce numéro le 10 janvier 2023 — NDLR], de lieu de culte pour les bouddhistes et les musulmans à Monaco. La dernière association cultuelle à s’être enregistrée en principauté reste celle des Témoins de Jéhovah. Mais ils n’envisagent pas d’ouvrir une salle de prière à Monaco dans un futur proche.

Pour lire la suite de notre dossier « Liberté de culte : mode d’emploi », cliquez ici.

1) « Deo Juvante » a été la devise à Lambert Grimaldi (1420-1494). En 1458, il a déjoué un complot imaginé par sa belle-mère, Pomeline Fregose (1387-1468). En retour, les habitants des seigneuries de Monaco, Menton et Roquebrune lui ont prêté un serment de fidélité.