vendredi 26 avril 2024
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François Mabille : « On constate un réel pluralisme religieux à Monaco »

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François Mabille, chercheur au Centre national de recherche scientifique (CNRS) et directeur de l’observatoire géopolitique du religieux à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), explique à Monaco Hebdo les particularités du concept de « religion d’État », notamment à Monaco, rare modèle du genre en Europe.

Historiquement, à quand remonte le principe de « religion d’État » ?

Ce principe est sans doute aussi ancien que les religions elles-mêmes et la constitution des systèmes de gouvernements, de la cité aux Empires, jusqu’aux États modernes. Historiquement, on pense bien sûr à l’acte important et fondateur du décret de Théodose Ier (11 janvier 347 après J.-C. – 17 janvier 395 après J.-C.), qui fait du christianisme la religion d’État de l’empire romain en 392 puis, au XVIème siècle, à l’anglicanisme et aux différentes confessions protestantes déclarées religions d’État dans l’empire germanique par la paix d’Augsbourg.

Ce principe a-t-il été un jour une norme en Europe occidentale ?

Plutôt que de parler de « norme », je préfère dire que cela est constitutif de l’histoire de l’Europe. Le continent européen est le premier à avoir été totalement évangélisé, en différentes phases, avec les régions qui faisaient partie de l’empire romain dans un premier temps, puis les conversions des souverains de l’Europe du Nord et de l’Europe orientale. Avec la Réforme [amorcée au XVIème siècle — NDLR] et les guerres de religions, les aléas de l’histoire des Empires et de la formation des États, les identités politiques et religieuses sont entremêlées. Au XXème siècle, à l’heure de la globalisation du religieux, et en raison de la charte des Nations Unies qui promeut la liberté religieuse, la religion d’État change de contenu, au moins en Europe : c’est la dimension culturelle et patrimoniale d’une religion qu’un État reconnaît, et non plus sa valeur normative et socialement contraignante. Pour l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui protège la liberté « de pensée, de conscience et de religion », il s’agit de protéger les individus dans leur liberté de choisir leurs croyances. La liberté individuelle religieuse de l’individu prime donc sur les aspects communautaires et ritualistes des religions.

« Six pays européens ont encore une religion d’État : le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Grèce (orthodoxie), la Grande-Bretagne (anglicanisme en Angleterre, presbytérianisme en Écosse) et Malte (catholicisme) »

Qu’implique le principe de religion d’État dans le fonctionnement des États qui y adhèrent, ou qui y ont adhéré ?

Six pays européens ont encore une religion d’État : le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Grèce (orthodoxie), la Grande-Bretagne (anglicanisme en Angleterre, presbytérianisme en Écosse), et Malte (catholicisme). Mais les cinq premiers distinguent très clairement l’État des religions, reconnaissent une totale liberté religieuse et une séparation entre religions, loi, et politique. Rappelons également que d’autres États connaissent un régime concordataire : Allemagne, Autriche, Espagne, Italie, Portugal, Luxembourg, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie et France – en Alsace-Moselle. C’est-à-dire qu’ils ont signé un traité de droit international, par lequel ils gèrent un certain nombre de questions avec le Saint-Siège.

Certains de ces pays ont une particularité ?

L’Allemagne est un cas intéressant : la Bavière catholique a passé un concordat avec le Vatican, mais il existe dans toute l’Allemagne des accords entre les länder et les confessions catholiques, luthériennes, évangéliques, israélites… La Bulgarie fournit un autre exemple significatif : l’article 13 de sa Constitution stipule : « 1. Les cultes sont libres. 2. Les institutions religieuses sont séparées de l’État. 3. La religion traditionnelle en République de Bulgarie est le culte orthodoxe. 4. Les communautés et institutions religieuses, ainsi que les convictions religieuses ne peuvent être utilisées à des fins politiques. » Et l’article 37 précise que la « liberté de conscience, la liberté de pensée et le choix de culte ou de convictions religieuses ou athées sont inviolables. L’État contribue au maintien de la tolérance et du respect mutuel entre les personnes confessant différentes religions, entre les croyants et les athées ».

« Le poids culturel de l’Église catholique, s’effaçant ici, comme ailleurs, progressivement, il y a fort à parier que c’est de plus en plus le caractère culturel et patrimonial historique qui constituera le lien entre l’État maltais et le catholicisme »

Seuls Malte et Monaco adhèrent encore au catholicisme d’État, aujourd’hui en Europe : comment l’expliquer ?

L’histoire des îles maltaises est profondément liée au catholicisme, et ce lien spécifique explique que dans la Constitution établie en 1964 lors de l’indépendance, la religion catholique romaine, omniprésente, est établie comme religion officielle du nouvel État, le plus petit d’Europe, avec des privilèges accordés à l’Église catholique. Mais, en même temps, est reconnue aux citoyens la liberté religieuse, ce qui explique que la République de Malte a pu entrer dans l’Union européenne (UE). Si l’influence de l’Église explique la législation du pays sur la fécondation in vitro ou l’avortement, toujours pas autorisés, en revanche le gouvernement maltais a ratifié la législation sur le divorce. Le poids culturel de l’Église catholique, s’effaçant ici, comme ailleurs, progressivement, il y a fort à parier que c’est de plus en plus le caractère culturel et patrimonial historique qui constituera le lien entre l’État maltais et le catholicisme. L’article 9 de la Constitution de Monaco du 17 décembre 1962, stipule que « la religion catholique, apostolique et romaine est religion d’État ». Mais l’article 23 dispose que « la liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toutes matières sont garanties », et l’on constate un réel pluralisme religieux à Monaco, le tribunal suprême du Rocher étant le gardien de la liberté de manifester sa religion.

Le pluralisme religieux est-il garanti ?

L’un et l’autre des États rentrent dans les observations de la convention européenne à propos des États qui ont des liens spécifiques avec une religion dominante. La Cour européenne souligne : « Il existe, dans la pratique des États européens, une grande variété de modèles constitutionnels régissant les relations entre l’État et les groupes religieux […]. Il convient d’accorder une certaine marge d’appréciation aux États contractants dans le choix des formes de coopération avec les différentes communautés religieuses », mais « cette marge d’appréciation va toutefois de pair avec un contrôle européen ». C’est dire qu’un statut de religion d’État ne saurait s’accompagner du refus d’un pluralisme religieux, voire d’une concurrence avec des minorités religieuses, et ne peut porter atteinte à la liberté religieuse.

Si le catholicisme d’État est en perte de vitesse en Europe, et dans le monde, d’autres religions s’imposent-elles davantage en modèle de gouvernance ?

Depuis la fin de la guerre froide, qui signe également la fin des grandes idéologies politiques, le religieux fournit à la fois un substitut idéologique et un imaginaire de continuité pour des États soumis à de multiples dérégulations. Bien sûr, chacun a en tête l’influence de l’islam, sunnite ou chiite, dans de nombreux pays. Mais au Brésil, en Inde, en Russie, en Hongrie, ou encore en Pologne, on constate l’existence d’un populisme, où l’élément religieux est important, voire un retour du nationalisme religieux.