À Monaco, le catholicisme est reconnu comme religion d’État dans sa Constitution de 1962. Mais 60 ans plus tard, comment a évolué le rôle de l’Eglise ? L’abbé Guillaume Paris, vicaire général de l’archevêché de Monaco, explique comment la religion d’État se traduit aujourd’hui, dans une principauté dite « moderne ».
« Deo juvante ». Avec l’aide de Dieu. La devise de Monaco, et de la famille Grimaldi par extension, est particulièrement éloquente. La principauté est catholique, il suffit de relire cette locution latine sur les pièces de monnaie pour s’en rappeler. Monaco et la Bible sont intimement liés, au point de figurer dans la Constitution. L’article 9 de la Constitution de 1962 — la Constitution actuelle — précise en effet que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’État monégasque, qui se reconnaît donc dans ses principes, et les fait siens. Mais que cela signifie-t-il aujourd’hui, en 2022 ?
L’article 9 de la Constitution de 1962 — la Constitution actuelle — précise que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’État monégasque, qui se reconnaît donc dans ses principes, et les fait siens
« Une collaboration saine »
Le principe de religion d’État renvoie à une lointaine histoire, qui remonte aux origines de l’Europe occidentale : « Il remonte à l’organisation de l’Occident au Moyen-Âge et à l’apparition des concepts de l’État moderne, époque où un souverain avait un devoir vis-à-vis de sa religion », rappelle l’abbé Guillaume Paris, vicaire général de l’archevêché de Monaco. Le catholicisme a donc toujours occupé une place centrale dans l’histoire de l’État monégasque, qui lui accordait également un article dédié dans sa première Constitution de 1911. On parle ainsi de « confessionnalité » de l’État. Ce principe est toujours de mise aujourd’hui et, dans le rang protocolaire, l’archevêque vient juste après le ministre d’État. Faut-il comprendre que les conseillers-ministres du gouvernement, et les élus du Conseil national, se réfèrent à l’autorité religieuse avant de légiférer ? Oui, mais pas tout le temps. « Il y a un respect de l’autonomie des institutions. Il existe une collaboration saine lorsque des sujets peuvent relever d’éléments moraux et religieux, sur des sujets de société essentiellement, lorsque cela est nécessaire », explique l’abbé Paris. À Monaco, la sphère religieuse émet donc essentiellement des avis, mais sur certains sujets uniquement.

« Il y a un respect de l’autonomie des institutions. Il existe une collaboration saine lorsque des sujets peuvent relever d’éléments moraux et religieux, sur des sujets de société essentiellement, lorsque cela est nécessaire »
Guillaume Paris, vicaire général de l’archevêché de Monaco
Société
Récemment, le diocèse de Monaco a été consulté sur la question du travail du dimanche, sur celle également du contrat de vie commune, la fin de vie, ou encore sur la levée de la sanction pénale de l’avortement. Le 31 octobre 2019, les élus du Conseil national avaient voté pour un projet de loi qui prévoyait la levée de la sanction pénale de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), alors qu’une femme risquait entre six mois et trois ans de prison avant cette loi, sauf exception pour les situations de viol, de grossesses à risque et de troubles irréversibles du fœtus. « Il ne s’agit pas d’une légalisation ou d’une dépénalisation de l’avortement à Monaco. Mais, avec les élus du Conseil national, nous étions d’accord pour estimer que la peine de prison n’était pas adaptée à une situation où une femme en détresse est contrainte à avorter. Nous préférons développer les accompagnements et les aides, plutôt qu’aboutir à une sanction. » Les médecins, chirurgiens et sages-femmes s’exposent toujours à une peine allant de cinq à dix ans de prison s’ils pratiquent l’avortement d’une patiente à Monaco. Mais il n’y a pas eu de jugement, ni de procédure judiciaire, sur la question depuis le vote de 2019. L’avortement est donc toujours frappé d’illégalité, dans la lignée de la doctrine de l’Église catholique sur le sujet. Pour rappel, l’Église condamne l’avortement « volontaire » depuis le concile d’Elvire, ouvert entre l’an 305 et 306, qui a également décrété l’abstinence sexuelle des prêtres. En 2022, les positions n’ont que très peu évolué sur le sujet, et le pape François condamne toujours l’avortement volontaire. Sur d’autres sujets relatifs aux mœurs, les positions de Monaco semblent, en revanche, plus souples que celles du Saint-Siège.

« À l’époque de l’ouverture des casinos, est-ce que l’Église a été questionnée ? Ce sont des choses qui sont relativement anciennes. Le jeu est risqué, car on peut en être esclave et on peut se ruiner. Mais est-ce que l’Église voudrait une interdiction totale aujourd’hui ? C’est une question de point de vue »
Guillaume Paris, vicaire général de l’archevêché de Monaco
Jeux d’argent et prostitution
À Monaco, la prostitution est, par exemple, légale. Toute femme majeure est en effet autorisée à se prostituer à Monaco, à condition de ne pas reverser l’argent récolté à un tiers, et à condition de ne pas racoler sur la voie publique. Ce sujet n’est pourtant pas en odeur de sainteté vis-à-vis de l’Église, qui conçoit la sexualité davantage dans sa fonction de reproduction. Mais, surtout, l’Église condamne la marchandisation du corps : « Une personne ne peut jamais être mise en vente », a ainsi écrit le pape François en préface du livre Femmes crucifiées. La honte de la traite racontée par la rue, écrit par le père Aldo Buonaiuto en 2019, qui vient en aide aux victimes de la prostitution dans le monde. À l’occasion de la Journée contre la traite des êtres humains, le 30 juillet 2019, le pape François avait aussi comparé la prostitution à « une maladie de l’humanité, un mode erroné de penser de la société ». Un an plus tôt, lors d’une réunion pré-synodale, le pape qualifiait également de « criminel » le client de la prostitution, qui « revient à torturer une femme », en y ayant recours. Des mots forts et évocateurs, mais qui n’ont pourtant pas ouvert la voie au débat depuis, à Monaco, sur une quelconque pénalisation de la prostitution en principauté. En ce qui concerne les jeux d’argent et les casinos, manne financière conséquente de la Société des bains de mer (SBM), qui a réalisé 530,5 millions de chiffre d’affaires sur la saison 2021-2022, pour l’ensemble de ses activités, l’Église émet également des réserves. Le Catéchisme de l’Église catholique (CEC), l’ouvrage de référence du Saint-Siège, qui résume et enseigne les préceptes du catholicisme, estime dans son n° 2413 que « les jeux de hasard ou les paris ne sont pas, en eux-mêmes, contraires à la justice. Ils deviennent moralement inacceptables lorsqu’ils privent la personne de ce qui lui est nécessaire pour subvenir à ses besoins et à ceux d’autrui. La passion du jeu risque de devenir un asservissement grave. » Mais l’Église n’a pas, non plus, un avis ferme et définitif sur la question, comme le rappelle l’abbé Paris : « À l’époque de l’ouverture des casinos, est-ce que l’Église a été questionnée ? Ce sont des choses qui sont relativement anciennes. Le jeu est risqué, car on peut en être esclave et on peut se ruiner. Mais est-ce que l’Église voudrait une interdiction totale aujourd’hui ? C’est une question de point de vue. » Reste que les Monégasques sont interdits de casinos en principauté depuis le XIXème siècle, sous décision du prince Charles III (1818-1889), qui ne voulait pas que les nationaux s’y ruinent.
Il ne reste plus que la République de Malte à faire figurer le catholicisme comme religion d’État dans sa Constitution. D’autres États ont eux aussi une religion d’État, comme l’Angleterre avec l’anglicanisme, la Suède avec le protestantisme, et la Grèce avec l’orthodoxie

Liberté de culte
Bien que le catholicisme soit la religion d’État de Monaco, toutes les décisions prises en principauté ne relèvent pas, pour autant, d’une concertation avec le Saint-Siège. La principauté demeure un État souverain et autonome. La confessionnalité est un concept théorique : dans le concret, le seul véritable lien avec le Vatican relève d’accords bilatéraux, de droit international, qui régissent certains aspects de la pratique religieuse à Monaco, tels que l’entretien et le soutien de l’activité de l’Église, l’instruction religieuse, et l’enseignement catholique. Le quarantième anniversaire de la dernière convention a d’ailleurs été célébré à Monaco en juillet 2021, avec la visite du secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin. Mais ce type d’accords ne touche pas spécialement les Monégasques et les résidents dans leur quotidien en principauté : « Cela ne préserve pas Monaco des influences de la société occidentale, et des influences de déchristianisation, qui nous touchent également. Il faut faire en sorte que la confessionnalité ne soit pas qu’une espèce de folklore, quelque chose de purement culturel. Notre mission est d’annoncer l’Évangile, et de continuer à le faire », rappelle l’abbé Paris. En termes de foi, et de pratique religieuse, les Monégasques et les résidents sont libres de conscience et de culte. Il existe ainsi, sur le sol monégasque, un temple protestant, une église anglicane, et une synagogue, qui fonctionnent chacune de manière autonome, assure Guillaume Paris : « Quand des associations à dimension religieuse se créent, le gouvernement en informe l’archevêché qui rend un avis technique, pour éviter le développement de dérives sectaires. Mais c’est tout de même très rare. » Plus que de brider l’exercice d’autres cultes, la confessionnalité garantirait plutôt leur exercice, selon l’abbé Paris : « Même si cela parait paradoxal, la confessionnalité semble davantage garantir le respect des croyances de chacun, car la foi n’est pas cantonnée dans la sphère privée. Elle a une dimension publique. Elle est prise en compte, et elle permet de manifester sa croyance, même si ce n’est pas celle de la religion d’État. » Et cette particularité devient très rare en Europe, puisqu’il ne reste plus que la République de Malte à faire figurer la catholicisme comme religion d’État dans sa Constitution. D’autres États ont, eux aussi, une religion d’État, comme l’Angleterre avec l’anglicanisme, la Suède avec le protestantisme et la Grèce avec l’orthodoxie. L’Espagne, l’Italie, ou encore le Portugal, avaient une religion d’État par le passé également, mais elle a disparu lorsqu’ils sont passés à la République. Ils sont toujours concordataires cependant, et reconnaissent la religion catholique comme celle de la majorité. Mais le concept pur de « religion d’État » a disparu de leurs Constitutions depuis la fin du XXème siècle. La Constitution monégasque est donc une denrée rare en son genre en Europe, qui garantit une certaine forme de stabilité politique, estime l’abbé Paris : « Monaco est à la fois un État moderne, et à la fois un État doué d’une profonde stabilité de ses institutions politiques par le biais de la religion d’État, qui n’a rien d’archaïque pour autant. »