vendredi 26 avril 2024
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Témoins de Jéhovah à Monaco – Cédric Galès : « La reconnaissance a son importance »

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Cédric Galès, président de l’association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah, revient sur la reconnaissance officielle de son culte à Monaco depuis le 19 novembre 2022, et sur les projets qu’il entend mener avec sa communauté, déjà présente en principauté depuis plusieurs décennies. Interview.

Quel est votre parcours ?

J’ai 45 ans, je suis père de famille et marié depuis une vingtaine d’années. Nous avons deux garçons de 16 ans, des jumeaux. Sur le plan professionnel, je travaille dans le secteur financier à Monaco depuis une vingtaine d’années aussi.

Comment avez-vous rejoint l’association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah, avant d’être nommé président ?

J’étais un membre de cette association dès le départ, et j’ai repris la présidence lorsque mon prédécesseur a dû déménager pour des raisons professionnelles, assez récemment.

Étiez-vous Témoin de Jéhovah avant de rejoindre cette association ?

J’ai été élevé dans une famille de Témoins de Jéhovah. Mes parents le sont. Ils m’ont enseigné la Bible quand j’étais petit. Mais c’est à 17 ans que j’ai décidé moi-même de devenir Témoin de Jéhovah. Pas avant, car choisir une religion n’est pas quelque chose de neutre. Bien évidemment, en tant que parents, nous avons la responsabilité d’élever nos enfants avec ce qui nous semble être les valeurs appropriées pour qu’ils puissent s’épanouir plus tard. Par contre, on ne peut pas choisir la religion à leur place. C’est pour cette raison qu’on laisse à nos enfants le soin de choisir la religion à laquelle ils veulent adhérer. Pour ma part, c’est un chemin raisonnablement long qui m’a permis de me faire ma propre opinion, et de vraiment réfléchir avant pour savoir si c’est ce que je voulais faire.

Cédric Galès Témoins de Jéhova
« Nous avons eu un accord amiable avec la principauté, qui a décidé de reconnaître notre culte. En aucun cas nous n’avons eu besoin d’aller plus loin. » Cédric Galès. Président de l’association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah. © Photo Clément Martinet / Monaco Hebdo

Comment se distingue votre culte du catholicisme et du protestantisme ?

Tout d’abord, les Témoins de Jéhovah sont des chrétiens. Nous acceptons la Bible comme la parole de Dieu. On considère également que la Bible raconte de nombreuses histoires sur les relations de Dieu avec son peuple et avec l’humanité. Mais on considère également que la Bible est un livre qui est un peu le mode de vie de l’homme moderne. Elle contient énormément de principes qui ont duré et ont passé avec succès l’épreuve du temps. Même aujourd’hui, au XXIème siècle, elle nous permet d’avoir une vie peut-être plus équilibrée, stable, et d’être heureux, tout simplement. Nous sommes chrétiens, la figure centrale de notre culte est la personne de Jésus Christ, c’est l’exemple que nous voulons suivre. On s’attache à étudier son enseignement, à essayer de le comprendre du mieux qu’on le peut. Et puis, ensuite, essayer de vivre tant bien que mal l’exemple qu’Il nous a laissé. À ce titre-là, on se considère vraiment comme des chrétiens.

« Les Témoins de Jéhovah sont présents à Monaco depuis 50 ans, avec des familles et des nouveaux résidents, qui vont et qui viennent »

Combien êtes-vous actuellement ?

Les Témoins de Jéhovah représentent une religion internationale, présente dans 240 pays aujourd’hui avec Monaco. Elle compte 8,6 millions de pratiquants environ. C’est un mouvement religieux qui est minoritaire, et le cas de Monaco ne fait pas exception. On s’organise au niveau de chaque pays, là où l’on peut obtenir une reconnaissance juridique et légale. Ce qui permet aux Témoins de vivre dans leur localité et d’avoir un lien étroit avec elle, en l’occurrence Monaco, mais aussi de pouvoir exercer librement et de manière officielle leur culte. Nous n’avons pas envie d’être considérés comme une religion des caves ou une religion cachée. Au contraire, de par notre nature, nous sommes des gens qui allons vers les gens. C’est pour ça que nous désirions être reconnus.

Depuis quand les Témoins de Jéhovah sont présents à Monaco et combien sont-ils ?

Pour ce qui est du nombre, nous ne tenons pas de registre. Mais les Témoins de Jéhovah sont présents à Monaco depuis 50 ans, avec des familles et des nouveaux résidents, qui vont et qui viennent. Il y a aussi un certain nombre de personnes qui sont intéressées par notre message, mais qui ne sont pas forcément Témoins de Jéhovah. Nous sommes 8,6 millions actifs dans le monde, et plus de 21 millions qui assistent à nos offices. À l’époque où nous publions La Tour de garde, notre publication périodique officielle, exclusivement sur « papier », le tirage était fixé à 42 millions. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus tournés vers le numérique, et nous sommes traduits en plusieurs centaines de langues. Ce qui nous importe, c’est de rendre le message de l’Évangile accessible à tous ceux qui sont intéressés. Même s’ils ne deviennent pas Témoins de Jéhovah, nous sommes convaincus que le message de l’Évangile peut leur apporter quelque chose de positif.

« L’association est un instrument juridique qui présente l’avantage de pouvoir donner une substance au culte des Témoins de Jéhovah à Monaco, pour le simple fait d’organiser des offices, par exemple. C’est important également pour les autorités monégasques d’avoir quelqu’un à qui s’adresser, et avec qui parler »

Avant d’être reconnus officiellement à Monaco, comment étaient organisés vos cultes ?

Principalement en France, dans les communes limitrophes. Nous avons nos églises, que l’on appelle les « salles du royaume », comme à Nice, par exemple.

Pourquoi « salle du royaume » ?

Car le royaume, c’est le thème principal de la Bible, celui que l’on apprend quand on récite le Notre Père, « que ton règne vienne ». C’est à ce royaume-là que nous faisons référence. Ce n’est pas le royaume des Témoins de Jéhovah [rire].

Verra-t-on une « salle de royaume » prochainement à Monaco ?

Pour l’instant, il est encore trop tôt pour en parler, pour la simple et bonne raison que nous sommes encore dans les démarches administratives pour faire immatriculer notre association. On est vraiment au tout début, et nous n’avons pas encore abordé cette question là.

En principauté, le prix moyen de l’immobilier au mètre carré était de 52 000 euros en 2021 : vous comptez sur un soutien pour louer une surface, peut-être gratuitement ?

Le foncier à Monaco est quelque chose de particulier. Nos activités sont financées exclusivement par l’intermédiaire d’offrandes volontaires. Quand vous venez à un office des Témoins de Jéhovah, l’entrée est gratuite. Il n’y a aucune collecte, et les membres ne payent pas la dîme. Chacun participe à hauteur de ses moyens, et s’il le souhaite. Et, comme les dons sont anonymes, on ne sait pas qui donne.

Vous allez donc compter sur l’organisation française des Témoins de Jéhovah pour financer vos activités à Monaco ?

Pour l’instant, ce ne sont pas des questions que nous avons eu l’occasion d’aborder.

Quel était l’intérêt d’être reconnus à Monaco ?

La reconnaissance [de l’association du culte des Témoins de Jéhovah — NDLR] a son importance. Je pourrais même retourner le raisonnement dans l’autre sens : y a-t-il une raison pour laquelle on ne devait pas reconnaître les Témoins de Jéhovah, qu’ils soient Monégasques, résidents, ou salariés des communes limitrophes ? Mais il n’y a pas que l’aspect symbolique. Nous avions un réel besoin d’être reconnus pour pouvoir vivre notre foi librement, dans les limites du cadre fixé par la loi monégasque.

Qu’attendent de vous les membres de votre association monégasque ?

L’association est un instrument juridique qui présente l’avantage de pouvoir donner une substance au culte des Témoins de Jéhovah à Monaco, pour le simple fait d’organiser des offices, par exemple. C’est important également pour les autorités monégasques d’avoir quelqu’un à qui s’adresser, et avec qui parler. Avoir une religion implantée, mais avec des représentants avec qui on peut échanger quand c’est nécessaire. Mon rôle est là, tout simplement.

Pourquoi vos trois dernières demandes d’installation en principauté ont-elles été refusées par le gouvernement monégasque (1) ?

Pour les raisons écrites dans la décision du gouvernement, qui nous avait été transmise à l’époque. La première fois parce que le gouvernement se basait sur des « informations fiables, d’autorités étrangères » suggérant que notre culte était sectaire, et qu’il pourrait contrevenir à l’ordre public. Mais, à deux reprises, le tribunal suprême de Monaco a souligné le fait que ce n’était pas motivé. Autant le gouvernement peut prendre des dispositions pour protéger sa population, et c’est tout à fait normal, et même souhaitable. Mais encore faut-il que ce soit motivé. Et c’est ce que le tribunal suprême a expliqué. Ce n’était pas motivé.

Quoi d’autre ?

Ensuite, ils ont pu s’appuyer sur les abondantes décisions de justice qui ont été données en France, notamment au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui, à de nombreuses reprises, ont établi que les Témoins de Jéhovah était une religion connue, et que nos activités ne contreviennent absolument pas à l’ordre public. Et c’est logique, car nous sommes dans la droite file de ce que nous voulons être. Nous voulons être de bons chrétiens. Notre démarche est de partager l’Évangile, la bonne nouvelle, et la rendre accessible. Nous sommes dans une démarche de paix. Le tribunal suprême a donc confirmé que notre démarche était tout simplement légitime.

Des conditions, ou un contrôle de votre culte, seront-ils exercés par le diocèse et par l’État monégasque ?

Pour l’instant, nous n’en sommes encore qu’à la phase d’immatriculation, et nous ne nous sommes pas opposés à un quelconque contrôle. Nous n’avons pas ressenti de difficultés particulières depuis notre officialisation.

La confiance est donc totale ?

Notre démarche est vraiment une démarche de paix. On souhaite pouvoir organiser notre culte dans les meilleures conditions. Le message de l’Évangile n’est pas un message belliqueux, bien au contraire. Nous sommes chrétiens, et nous nous comportons en bons chrétiens.

Où s’organisent les cultes aujourd’hui [Monaco Hebdo bouclait ce numéro le 10 janvier 2023 — NDLR] ?

Pour une bonne partie des Témoins de Jéhovah, les cultes s’organisent entre Nice et Menton. Nous avons des lieux de culte à Nice, un autre à Menton, et un autre également à Saint-Laurent-du-Var.

« Les Témoins de Jéhovah représentent une religion internationale, présente dans 240 pays aujourd’hui avec Monaco. Elle compte 8,6 millions de pratiquants environ. C’est un mouvement religieux qui est minoritaire, et le cas de Monaco ne fait pas exception »

Comment accueillir des nouveaux fidèles à Monaco, où le cadre est un peu plus restrictif qu’en France ?

Nous ne nous sommes pas encore penchés sur la question. Il y a un certain nombre d’éléments que nous devrons prendre en considération. En tout cas, nous ne sommes pas pressés sur le sujet. Aujourd’hui, au XXIème siècle, l’évangélisation se fait en ligne. Nous avons donc notre site Internet publié en 1 070 langues, qui est consultable depuis Monaco. La prédication se fait essentiellement de cette manière. Les personnes qui sont intéressées peuvent consulter ce site. Elles peuvent remplir un formulaire de contact pour qu’on leur rende une visite, si elles le souhaitent, ou démarrer un cours biblique, gratuit.

Un résident installé à Monaco peut donc, par l’intermédiaire de votre site Internet, vous inviter à son domicile ?

Absolument. Sur le formulaire de contact, vous mettez vos disponibilités et vos coordonnées. Maintenant, nous pouvons faire des visites à domicile à Monaco, puisque nous sommes reconnus officiellement.

« Le récent rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), comme il existe de nombreux rapports émis par l’administration française, ne fait pas loi. Par contre, la loi a consacré en France le fait que les Témoins de Jéhovah sont un culte reconnu, et que nos activités ne contreviennent pas à l’ordre public »

Qui organise le culte ?

L’organisation ecclésiale des Jéhovah se calque le plus possible sur l’organisation que l’on retrouve dans le livre des actes des apôtres, d’après les lettres de Paul, qui sont les documents fondateurs du christianisme, et de l’organisation de l’Église en tant qu’entité. Chaque église locale était dirigée par un collège des aînés. Nous reprenons cette organisation des églises primitives. Chaque assemblée de fidèles est donc confiée à la charge pastorale d’un collège d’anciens, qui sont des Témoins qui ont pour vocation de participer à l’enseignement et à l’œuvre pastorale. C’est finalement assez simple.

Ce collège d’anciens sera le même à Monaco qu’à Nice ?

Il faut distinguer l’association juridique, l’instrument qui nous permet d’avoir notre culte reconnu en principauté, et celui d’assemblée de fidèles. Et, là encore, il est trop tôt pour dire comment nous allons organiser notre culte à Monaco. Il y a encore beaucoup de travail, et nous n’en sommes pas encore à cette étape-là.

Il n’y aura donc pas une figure centrale à Monaco, l’équivalent d’un pasteur ou d’un prêtre ?

Les Témoins de Jéhovah n’ont pas de clergé, et tous les Témoins de Jéhovah sont bénévoles. Il n’y a donc pas d’ancien qui est rémunéré pour ce travail-là.

Quels sont vos projets pour les années à venir à Monaco ?

Terminons déjà l’aspect juridique d’enregistrement de cette association. Ensuite, nous verrons quelle sera la meilleure façon d’organiser notre culte en principauté. Ce sera aussi lié à la possibilité de, peut-être, louer quelque chose. Ce sera vraisemblablement une nécessité.

Comment se faire accepter désormais, après avoir essuyé trois refus d’enregistrement de la part de l’État monégasque ?

Monaco n’a pas perdu face à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Monaco a trouvé un accord, et la CEDH n’a fait que valider cet accord. Pourquoi cet accord ? Parce que, on le sait, Monaco est attaché, par l’article 23 de sa Constitution à la liberté de culte, et au respect des droits de l’Homme. Nous avons eu un accord amiable avec la principauté, qui a décidé de reconnaître notre culte. En aucun cas nous n’avons eu besoin d’aller plus loin. Je dois même beaucoup à Monaco, à titre personnel, car ce pays me permet de nourrir ma famille, et d’atteindre mes objectifs personnels.

Vous vous sentez tout de même les bienvenus à Monaco ?

Qu’on ne se sente pas les bienvenus, d’un point de vue religieux, je veux bien l’admettre. Mais les institutions monégasques garantissent la liberté de culte. Et, à ce titre là, on se sent les bienvenus en principauté. Je suis sûr que ça se passera très bien. Encore une fois, le message de l’Évangile est un message de paix, pas un message de guerre. On peut avoir des vues différentes sur la façon dont on comprend les écritures, dont on les met en pratique. Mais, fondamentalement, nous sommes des hommes de paix.

Pourtant, on colle toujours une réputation de secte aux Témoins de Jéhovah ?

Le récent rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), comme il existe de nombreux rapports émis par l’administration française, ne fait pas loi. Par contre, la loi a consacré en France le fait que les Témoins de Jéhovah sont un culte reconnu, et que nos activités ne contreviennent pas à l’ordre public. Faute de quoi, on ne pourrait pas exercer notre culte. Depuis 2013, nous avons même des aumôniers dans les prisons françaises. Du point de vue de la pratique administrative et de la loi, les Témoins de Jéhovah exercent leur culte de manière tout à fait libre.

« Qu’on ne se sente pas les bienvenus, d’un point de vue religieux, je veux bien l’admettre. Mais les institutions monégasques garantissent la liberté de culte. Et, à ce titre là, on se sent les bienvenus en principauté »

Il n’est donc pas question de rassurer, ou de convaincre, les plus sceptiques ?

La Tour de garde a été publié à 42 millions d’exemplaires, et il n’y a jamais eu 42 millions de Témoins de Jéhovah sur Terre. On aurait vraiment été très content, mais ce n’est pas le cas [rire]. Si vous retranchez à peu près les 8,5 millions qui existent, et les 21 millions qui assistent à notre office, cela veut dire qu’il y a autant de personnes qui estiment que notre message est positif. Nous pouvons inviter les Monégasques et les résidents à consulter notre site Internet pour se faire leur propre opinion de ce que sont les Témoins de Jéhovah, et comment ils vivent leur foi et le christianisme. Je suis certain qu’ils comprendront qu’ils n’ont aucun souci à se faire, bien au contraire.

D’autant que des Monégasques sont déjà Témoins de Jéhovah depuis plusieurs années ?

La deuxième décision du tribunal suprême précise la présence de Témoins de Jéhovah depuis de nombreuses années. Et je précise que c’est le cas depuis 50 ans. Et que, au cours de ces nombreuses années, il n’y a jamais eu aucun problème. Pour en connaître certains, je sais qu’ils ont même une très bonne réputation dans leur entourage professionnel, et auprès des personnes qu’ils côtoient. Il n’y a aucune raison pour que cela change.

Pour revenir au début notre dossier « Liberté de culte : mode d’emploi », cliquez ici.

1) Contacté par Monaco Hebdo, le gouvernement monégasque n’avait pas répondu à nos sollicitations avant le bouclage de ce numéro, le 10 janvier 2023.