samedi 20 avril 2024
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Les Témoins de Jéhovah
pourront s’installer à Monaco

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Le tribunal suprême de Monaco vient d’annuler la décision administrative du ministre d’Etat refusant de délivrer le récépissé de déclaration de l’association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah. Explications.

En Russie, l’association des Témoins de Jéhovah a été interdite en avril dernier (1). En France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) reste extrêmement prudente et réservée par rapport à cette association (lire notre encadré). Alors que, depuis 2011, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) la considère comme une religion. En juillet 2012, la Miviludes réagissait à un arrêt de la CEDH concernant les Témoins de Jéhovah. En précisant que la décision favorable à cette association prise par la CEDH concernait un « contentieux de nature strictement fiscale ». Et que la Miviludes continuerait « d’exercer sa vigilance à l’égard des Témoins de Jéhovah, en raison de signalements de dérives sectaires qu’elle reçoit régulièrement de la part d’anciens membres ou de proches des membres de cette communauté. »

« Floue »

À Monaco, le ministre d’Etat, a décidé de s’aligner sur la position de la France. Sollicité par l’association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah, il a donc refusé de leur donner un récépissé de déclaration. En cause, « un doute sérieux et légitime quant au caractère sectaire du culte des Témoins de Jéhovah que ladite association aurait vocation à représenter à Monaco, ainsi qu’aux atteintes à l’ordre public que l’activité déployée par ses membres pourrait générer en Principauté », a indiqué le ministre d’Etat, cité dans un communiqué de presse du tribunal suprême. Une affirmation trop « floue », a répondu le tribunal suprême de Monaco, qui a donc décidé le 30 juin d’annuler cette décision administrative : « Un refus de délivrance du récépissé doit mentionner des faits précis et circonstanciés permettant d’étayer l’affirmation, par le ministre d’État, du caractère illicite des activités de l’association ou des risques d’atteintes à l’ordre public que ces activités pourraient générer. »

« Légalité »

En Principauté, la loi impose aux associations qui souhaitent être dotées d’une personnalité morale de déposer une déclaration auprès du ministre d’Etat. Ce qui les autorise ensuite à embaucher des salariés et à posséder des biens. C’est le récépissé de cette déclaration que le ministre d’Etat a refusé de donner à l’association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah. Pour justifier sa décision, le tribunal suprême a souligné que « la liberté d’association bénéficie à Monaco d’une garantie juridique particulièrement forte » et qu’un « refus de délivrance du récépissé de déclaration dûment motivé n’est pas nécessairement légal ».

Arguments

En effet, c’est au tribunal suprême de « vérifier la légalité, en fait et en droit, des motifs mentionnés dans la décision de refus. » Pour sa défense, l’association pour le culte des Témoins de Jéhovah a invoqué devant le tribunal une série d’illégalités, notamment celui de la violation de liberté des cultes. Une liberté qui est garantie par l’article 23 de la Constitution et par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (2). En Principauté, « la liberté d’association bénéficie d’une garantie juridique particulièrement forte », souligne le communiqué du tribunal suprême. Pour interdire une association, il faut donc des arguments précis et sérieux. Dans la mesure où il a épuisé ses recours, le ministre d’Etat doit donc désormais exécuter la décision du tribunal suprême. Si leur requête avait été rejetée à Monaco, les Témoins de Jéhovah auraient pu lancer un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ils n’auront donc pas à le faire.

1. Le 20 avril 2017, la Cour suprême russe a interdit les Témoins de Jéhovah, en les qualifiant d’organisation « extrémiste ». La fermeture du siège national de cette organisation, situé près de Saint-Pétersbourg, a aussi été ordonné. Les Témoins de Jéhovah ont décidé de faire appel devant la Cour européenne des droits de l’homme.

2. Selon l’article 9, « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».

 

Témoins de Jéhovah : la Miviludes reste prudente

En France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) reste très prudente vis-à-vis des Témoins de Jéhovah. « Conformément au principe de laïcité, la Miviludes ne porte aucun jugement de valeur sur les doctrines, les théories ou les croyances en tant que telles, explique-t-on à la Miviludes. Son objet est de dénoncer systématiquement les dérives sectaires et de lutter contre elles. » Pour les Témoins de Jéhovah, trois sujets ont attiré l’attention de la Miviludes : le refus de principe de la transfusion sanguine, les conseils des anciens et l’éducation des enfants. « Depuis la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, ce refus de transfusion se traduit pour les personnes majeures par une obligation pour les médecins de respecter la volonté du malade, quand bien même ce refus peut être létal », souligne la Miviludes. En revanche, pour les mineurs, le médecin doit passer outre et tout faire pour sauver son patient. Le recours au conseil des anciens en cas de litige pousse les membres des Témoins de Jéhovah à éviter de faire appel à la justice. « Cette recommandation et le traitement en interne d’une plainte contreviennent aux lois de la République et peuvent conduire à priver certaines victimes vulnérables, les enfants en particulier, d’un traitement adéquat de leurs doléances et à favoriser le renouvellement de faits similaires », estime la Miviludes. Enfin, concernant l’éducation des enfants, « la doctrine apocalyptique des Témoins de Jéhovah peut induire de fortes tensions psychologiques : l’enfant est incité à bien travailler à l’école, alors que dans le même temps l’enseignement reçu est discrédité, certaines activités scolaires et festives, comme certaines amitiés, lui sont refusées et on le décourage de poursuivre des études longues », ajoute la Miviludes, qui évoque aussi des « obstacles » entre l’enfant et les parents qui ne sont pas Témoins de Jéhovah. Mais aussi « l’interdiction » de participer à la vie de la cité par le biais d’élections ou de représentations « ce qui peut contrevenir au droit à l’éducation aux valeurs démocratiques ». Reste enfin d’autres cas rapportés à la Miviludes, comme « l’isolement brutal d’adeptes (très jeunes majeurs, personne handicapée, personne âgée) qui décident de quitter la communauté des Témoins de Jéhovah. Ces personnes sont alors exclues de la communauté, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques sur des individus fragiles. »