mardi 23 avril 2024
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Gravir les 1 600 marches de la Tour Eiffel

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Il y a 2 ans, il a relié Le Havre à Menton, soit un parcours de 1 304 kilomètres, à la seule force de ses bras. A 53 ans, Joe Kals, paraplégique, se prépare à un nouveau grand défi. Le 21 septembre, il gravira les 1 665 marches de la Tour Eiffel à Paris. Son objectif : témoigner du quotidien douloureux des paraplégiques et faire avancer la recherche.

Monaco hebdo : Comment êtes-vous devenu paraplégique ?
Joe Kals : Un accident de moto à l’âge de 20 ans. L’insouciance. L’inconscience… Je roulais trop vite en ville et j’ai perdu le contrôle de ma machine. Je me suis réveillé à l’hôpital, sur le ventre. Les médecins m’ont indiqué que ma douzième vertèbre s’est déplacée et que ma moelle épinière était sectionnée.

M.H. : On vous annonce d’emblée que vous ne pourrez plus marcher ?
J.K. : Pas tout à fait. Les médecins m’annoncent que j’allais avoir une perte de sensibilité au niveau des jambes, jusqu’à la taille, mais qu’il était possible que je récupère une mobilité pendant les 6 premiers mois. Cela n’a donc pas été une coupure nette dans ma vie car on m’a donné une fenêtre d’espoir. Je suis resté 13 mois dans un centre de rééducation à Bruxelles car je voulais absolument ressortir debout. Je ne me voyais pas du tout rester paralyser. Matin et soir, pendant 4 ans, je regardais mes doigts de pied, espérant les voir bouger. Pendant ces 4 années, mon obsession était de récupérer mon corps…

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M.H. : Votre état a-t-il évolué ?
J.K. : Non, rien n’a évolué. C’était une frustration extrême. Désirer quelque chose ardemment qui s’avère impossible à obtenir. Je me suis rendu compte que cette obsession me faisait passer à côté de ma vie. Je ne vivais plus rien… J’ai donc dû apprendre à exister avec ce corps et ses dysfonctionnements. Psychologiquement et physiquement, cela a été une épreuve redoutable.

M.H. : Dans votre quotidien, qu’est-ce qui est le plus dur à gérer ?
J.K. : L’incontinence, les escarres, les problèmes rénaux, les infections urinaires, ne plus avoir de sexualité… Le handicap, ce n’est pas que le fauteuil roulant et les difficultés à se déplacer. Le plus éprouvant est de voir et de vivre avec ce corps cassé. La vie est conditionnée par ce corps cassé. Il y a aussi évidemment les douleurs. Je souffrais de décalcification osseuse au niveau des hanches. Pendant 28 ans, j’ai eu des douleurs atroces à me taper la tête contre les murs. En 2009, j’ai subi une opération qui m’a heureusement libéré de ces souffrances. Le rapport au temps aussi n’est pas le même. Tous les gestes du quotidien sont quasiment des épreuves. Se doucher, aller aux toilettes…

M.H. : Socialement, professionnellement, quelles ont été les conséquences de votre paralysie ?
J.K. : A 20 ans, je voulais être joueur de hockey sur glace et aller vivre au Canada. J’ai eu cet accident deux mois avant d’y partir… Au centre de rééducation, on me disait que même si j’étais paraplégique, j’allais avoir droit à une vie normale. Pouvoir me marier, avoir des enfants, m’insérer socialement dans un travail, faire du sport. La réalité est malheureusement toute autre.

M.H. : C’est-à-dire ?
J.K. : Sentimentalement, j’ai été en amour pendant 10 ans. Cela s’est détérioré au moment où il a été question de faire un enfant. Mon niveau de lésion est trop grave. Malheureusement, je ne peux pas en avoir. Une histoire d’amour pour vivre quelque chose d’égoïste entre un homme et une femme, ça ne tient pas.

M.H. : Et professionnellement ?
J.K. : A 31 ans, pendant 5 ans, j’ai géré une petite entreprise d’habits dans le Nord. Je gagnais très bien ma vie. Mais au bout de 4 ans et demi, j’ai fait une embolie pulmonaire. Je vivais comme tout le monde : mauvaise alimentation, sandwich à midi, manger sur le pouce avec les collègues, le stress et les longues journées de travail, etc… Mais cette alimentation et ce mode de vie, mon organisme ne les a pas supportés. J’ai eu un caillot de sang qui est remonté de mes jambes aux poumons. J’ai recommencé à travailler, et 6 mois après, j’ai fait une deuxième embolie pulmonaire. Le médecin m’a dit qu’il fallait faire un choix. Soit gagner ma vie, soit préserver ma santé. J’ai fait le choix d’arrêter mon activité professionnelle. Je suis maintenu en vie car la médecine a fait des progrès, mais la société ne m’a pas vraiment donné de solutions. Comme au cinéma, je suis un spectateur de ma vie. Mais pas un acteur.

M.H. : Pourquoi avez-vous décidé de réaliser ces défis ?
J.K. : A mes 50 ans, cela a été un tournant. Je me suis demandé ce que j’avais réalisé dans ma vie. Certes, j’ai beaucoup voyagé, j’ai traversé toute l’Algérie en voiture. J’ai été au Niger, au Burkina Faso, au Mali, en Côte d’Ivoire. J’ai réalisé des photos dans des centres de rééducation en Afrique. J’ai voyagé partout en Europe. J’ai tout de même profité de la vie… Mais qu’est-ce que j’ai donné à la vie ? Je n’ai fait que prendre. Arriver à 50 ans, il n’y avait rien de palpable.

M.H. : Quel est donc le message que vous souhaitez faire passer ?
J.K. : A travers ces défis, je veux dénoncer les problèmes que rencontrent les paraplégiques et les tétraplégiques. Faire prendre conscience que ce handicap peut arriver à tout le monde, et surtout, faire avancer la recherche sur la section de la moelle épinière qui est, en France, quasiment inexistante. Certains handicapés affichent des discours que la société attend. Ils affirment qu’ils sont plus heureux en étant handicapé qu’en étant valide car le handicap les force à se dépasser. Mon discours est différent : je ne réalise pas ces exploits sportifs pour le dépassement de soi ou pour prouver que, malgré le handicap, on peut être heureux. J’aurais sans doute eu un écho médiatique plus grand. Je ne veux pas mentir aux gens. Je veux témoigner des difficultés énormes que rencontrent les paraplégiques. Des conséquences de la section de la moelle épinière. Sensibiliser les gens pour faire avancer la recherche. Nous ne sommes pas faits pour vivre assis.

M.H. : Combien de personnes sont touchées en France par la paraplégie ?
J.K. : Il y a 50 000 ou 60 000 paraplégiques en France. 1 500 nouveaux cas tous les ans. La recherche en France s’oriente beaucoup sur l’exosquelette. Il s’agit d’un squelette mécanique extérieur qui permet aux personnes paraplégiques de se tenir debout et de marcher à nouveau. Un peu comme des robots. C’est une démarche intéressante mais pas suffisante. Car l’incontinence, les problèmes rénaux, les escarres, les douleurs… sont toujours notre lot quotidien.

Joe Kals, à la recherche de sponsors

Ce Mentonnais s’y prépare physiquement et psychologiquement depuis des mois. Le 21 septembre, Joe Kals va gravir les 1 665 marches de la Tour Eiffel (escalier nord). Un nouvel exploit personnel après sa traversée de la France accomplie il y a 2 ans. Parti le 10 août 2011 du Havre, Joe Kals a rejoint Menton le 24 mars 2012. Soit un parcours de 1 304 kilomètres accompli sur des béquilles, à la seule force de ses bras et de ses abdominaux, en « marche pendulaire ». « J’ai poussé mon organisme au-delà de l’extrême », se souvient-il. Pour accomplir ce nouveau défi parisien, Joe Kals recherche des sponsors. www.joekals.com.