samedi 27 avril 2024
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Olivier Joyard : « Les cheerleaders incarnent l’ambiguïté américaine »

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Journaliste aux Inrockuptibles, Olivier Joyard est aussi l’auteur du documentaire Cheerleaders : un mythe américain(1). Pour Monaco Hebdo, il raconte l’origine et la symbolique de celles que l’on appelle aussi les pom-pom girls. Interview.

Pourquoi avoir réalisé ce documentaire ?

La cheerleader est avant tout une icône américaine. C’est donc mon intérêt pour l’Amérique et le fonctionnement de la société américaine qui ont guidé ce choix de sujet. Ce thème relève aussi de la culture populaire ancrée dans la société. L’objectif, c’était d’essayer de comprendre comment une cheerleader peut parvenir à quasiment incarner un pays.

À quels symboles sont rattachées les pom-pom girls ?

À un certain conservatisme américain. L’idée, c’est que lors- que les femmes encouragent les hommes quand ils font du sport, elles sont à leur place. C’est un cliché sexiste de base.

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C’est aussi ce que vous avez pu constater lors de votre voyage aux Etats-Unis ?

Là-bas, les pom-pom girls sont pour la plupart des adolescentes. Elles vivent cette expérience comme quelque chose d’extrêmement épanouissant. À ce sujet, les Américains parlent d’empowerment.

Comment expliquer ce qu’est l’empowerment ?

C’est une façon de se réapproprier leurs corps d’abord du point de vue sportif, car elles sont aussi des athlètes. Et aussi du point de vue de la séduction, puisqu’il s’agit aussi d’une manière de s’émanciper. La plupart sont des gymnastes et elles sont en tout cas entraînées comme telles. Ce qu’elles font est loin d’être facile.

Qui est la cheerleader de base aux Etats-Unis ?

C’est une jeune femme qui est au lycée et qui fait partie d’une équipe sportive, que l’on appelle équipe de cheerleading. Elle passe beaucoup de temps à s’entraîner. Certaines participent à des compétitions de cheerleading qui durent des week-ends entiers.

En quoi consistent ces compétitions ?

Ce sont des démonstrations pendant lesquelles elles font des pyramides, des sauts… Tout est chorégraphié. Elles travaillent d’ailleurs avec des coachs et des chorégraphes. C’est un vrai boulot.

On est loin de l’image que l’on peut avoir des pom-pom girls ?

On s’éloigne en effet assez vite de l’image de la femme passive et soumise au pouvoir masculin qui existe dans l’imaginaire collectif. Il faut dire que la pornographie s’est réappropriée l’image de la cheerleader. Dans les films X, elle est un peu ce qu’est le plombier pour les femmes.

être cheerleader peut devenir un métier ?

Même si c’est plutôt un rite de passage adolescent, le cheerleading peut devenir un véritable métier. Mais souvent, lorsque cette activité devient un métier, la dénomination change : on parle alors de danseuses. Elles ont d’ailleurs des formations de danseuse. Leur profil se rapproche donc du profil que l’on retrouve en Europe. C’est-à-dire des jeunes femmes d’une vingtaine d’années qui ne font pas qu’agiter des pom-pom, mais qui haranguent aussi la foule.

A quand remontent les premières pom-pom girls professionnelles ?

Aux années 70, avec les Dallas Cowboys Cheerleaders. En faisant passer le cheerleading dans une autre dimension, elles sont devenues de véritables icônes nationales. Ce qui est arrivé n’est pas un hasard, puisque Texie Waterman qui a décidé de relooker ces jeunes femmes, était une chorégraphe de Broadway. Tout cela provient du music-hall et de l’entertainment américain. Lorsque le cheerleading devient professionnel, cela devient un spectacle, avec certains codes à respecter.

L’origine du cheerleading ?

Le cheerleading a été inventé au XIXème siècle, dans les grandes facultés américaines de la côte est. C’était exclusivement réservé aux hommes. À la faculté, être un cheerleader au bord du terrain représentait une marque de pouvoir. Ils étaient équipés de porte-voix et ils exécutaient des sortes de chorégraphie. On disait même que si on parvenait à haranguer une foule, on pouvait espérer devenir un capitaine d’industrie.

Des hommes célèbres ont été des cheerleaders ?

Bien sûr. On peut citer James Stewart (1908-1997) ou George W. Bush. Mais à partir de la Seconde Guerre mondiale, comme les jeunes garçons partaient à la guerre, ils ont commencé à être remplacés par des femmes. On est alors dans les années 40-50. Au fil du temps, la cheerleader est devenue une icône féminine absolue. Et on a du mal à croire aujourd’hui que c’était encore réservé aux hommes au début du siècle dernier.

Quels sports sont accompagnés par le cheerleading aux Etats-Unis ?

Pour celles qui exercent cette activité de façon professionnelle, le cheerleading se limite aux sports principaux que sont le football américain et le basket. Aller voir un match de football américain aux Etats-Unis, c’est goûter l’expérience américaine dans toute sa splendeur, avec tous les rituels qui vont avec. Dont les pom-pom girls.

Et chez les pom-pom girls amateurs ?

Je suis allé filmer dans des lycées de Los Angeles. Dans tous les lycées, il y a des cheerleaders. Souvent elles passent leur samedi à soutenir l’équipe de volley ou l’équipe de basket. Car souvent, les cheerleaders suivent plusieurs équipes à la fois.

En 2015, Lauren Herrington, danseuse des Milwaukee Bucks lors de la saison 2013-2014, a déposé plainte contre cette franchise pour avoir été rémunérée en dessous du salaire horaire minimum (6,56 euros) ?

Dans la mesure où la cheerleader est intégrée au corps social américain, ce genre d’affaire n’est pas étonnant. D’ailleurs, depuis les années 60, on ne voit pas beaucoup de cheerleading chez les Noirs. Dans quelques lycées, on voit malgré tout des jeunes femmes noires se réapproprier cet héritage culturel qui reste très lié à la grande blonde texane aux dents blanches. Mais la réalité est plus complexe.

C’est vrai qu’il y a aussi ce fameux sourire affiché par les cheerleaders ?

Les pom-pom girls ont une manière un peu figée de représenter une sorte de joie un peu factice. Pour expliquer ça, un interviewé m’a rappelé que les Etats-Unis est le seul pays où la poursuite du bonheur est inscrite dans la Constitution. Les cheerleaders incarnent une sorte de rêve américain.

La cheerleader est aussi un personnage un peu ambivalent : avec une dimension sexuelle forte et en même temps un aspect assez kitsch ?

Mais le kitsch peut être sexuel ! Le kitsch est lié à des rituels que nous Européens on ne comprend pas trop. Pour aller vite, les costumes de certaines pom-pom girls ressemblent un peu à celui de certaines patineuses artistiques. Mais lorsqu’on va voir des adolescentes dans des lycées, elles portent des tenues de sport très classiques. Je ne suis donc pas sûr que l’on puisse parler de kitsch. Même si l’image de la cheerleader est toujours liée à une certaine exagération américaine, pas toujours de bon goût.

Cette dimension kitsch n’existe donc pas pour les Américains ?

Quand on s’adresse à des populations éduquées avec des vues féministes, on ressent un petit blocage. Parce que d’une certaine façon, la cheerleader est l’image du conservatisme américain. En surface, elle est associée à ça.

Aux Etats-Unis, les féministes pensent quoi des cheerleaders ?

La réalisatrice américaine féministe Jamie Babbit a réalisé But I’m a Cheerleader (1999) qui raconte l’histoire de deux cheerleaders lesbiennes qui tombent amoureuse l’une de l’autre. Ce qui démontre que tout le monde peut se les approprier. Et qu’elles dépassent le carcan dans lequel on voudrait les limiter. En fait, on peut penser que l’image des cheerleaders est très conservatrice ou qu’au contraire, c’est une affirmation de la liberté féminine.

Il y a aussi les radical cheerleaders qui reprennent les codes du cheerleading pour défendre notamment la cause féministe ?

J’ai pu en interviewer une dans mon documentaire. Mais cela reste extrêmement confidentiel. Ce sont des activistes new-yorkaises liées au mouvement lesbien, gay, bisexuel et transsexuel (LGBT). Elles étaient surtout présentes pendant le mandat de George W. Bush, entre 2001 et 2009.

Que font ces radical cheerleaders ?

Ces filles détournent les codes du cheerleading, avec par exemple le « A » de « anarchie » sur leur plastron. Quand on sait que George W. Bush a été cheerleader dans sa jeunesse, cela prend une autre résonance… Cet ensemble forme une boucle et nous dit beaucoup de choses sur ce qu’est l’Amérique. Peut-être que l’élection de Donald Trump va relancer ce mouvement des radical cheerleaders.

D’autres exemples ?

En 1991 le clip de Nirvana, Smell like teen spirit détournait aussi l’image des pom-pom girls. On y voit des cheerleaders dans une fête de lycée qui arborent aussi le « A » de « anarchie ».

Finalement, qu’est-ce qu’elles incarnent ?

Elles incarnent l’Amérique, le sourire, l’ambiguïté américaine… Avec à la fois un côté très conservateur et en même temps un côté un peu provocant. Car dans l’imaginaire populaire, elles restent liées à la pornographie. Mais il ne faut pas oublier que la cheerleader est aussi présente dans beaucoup de fictions américaines.

Un exemple ?

Dans l’une des meilleures série jamais faite, Friday night lights, l’un des personnages est une cheerleader qui vit dans une petite ville du Texas. En fait, la cheerleader est partout. Elle se fond dans la masse.

Les cheerleaders permettent donc de raconter les Etats-Unis ?

Elles racontent même plusieurs facettes de ce pays. Il faut savoir qu’elles ne sont pas obligées de répondre aux canons de beauté que l’on voit dans les magazines. Dans la réalité, ce sont des jeunes femmes ordinaires, dans le sens le plus noble du terme. Car le cheerleading n’est absolument pas un concours de Miss.

Et en Europe ?

Les Russes ont été assez avant-gardistes. En Ukraine, il y a les Red Foxes par exemple. Elles sont un peu les stars du cheerleading en Europe. Elles sont d’ailleurs souvent invitées aux All Star Game en France ou à l’Euroligue. Il faut comprendre que la danse et l’entertainement sportif sont finalement assez mineurs aux Etats-Unis et bien plus présents en Europe. Il n’est pas donc pas étonnant que le propriétaire ukrainien de l’AS Monaco Basket, Sergueï Dyadechko, ait souhaité qu’une équipe de cheerleaders anime les matchs en Principauté.

Que reste-t-il de l’idée originelle du cheerleading lorsqu’il est pratiqué en Europe ?

Lorsque le cheerleading arrive en Europe, il n’est plus le même qu’aux Etats-Unis. Il n’est plus lié à un imaginaire social et à un pays. Il est lié à un fantasme, qui est celui de l’entertainment et du spectacle sportif.

Le cheerleading peut s’imposer à Monaco ou ailleurs en Europe ?

Le cheerleading s’imposera ici le jour où il sera pratiqué dans les écoles, comme il peut l’être aux Etats-Unis. Ce qui est vraiment loin d’être le cas.

(1) Cheerleaders : un mythe américain d’Olivier Joyard (FRA, 2011, 51 minutes), 2,99 euros (en VOD sur boutique.arte.tv).