vendredi 26 avril 2024
AccueilActualitésRégis Bergonzi : « Le métier d’avocat a une vocation sociale »

Régis Bergonzi : « Le métier d’avocat a une vocation sociale »

Publié le

Le bâtonnier de l’ordre des avocats de Monaco, Me Régis Bergonzi, se félicite de la signature de cette charte signée avec l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales (Avip), et espère désormais la création d’un fonds d’indemnisation des victimes, en cas d’insolvabilité des auteurs. Interview.

À quand remonte ce projet de charte ?

Ce projet a démarré il y a pratiquement un an et demi. La problématique de l’accès au droit a été posée au sein de l’Ordre des avocats. Car de nombreux avocats ont une fibre sociale vivace, peut-être plus marquée chez certains que d’autres. Des réflexions ont été menées et, petit à petit, ce projet s’est façonné. Nous sommes passés par un système de volontariat qui est tout à fait susceptible d’évoluer. Nous avons fait appel à l’ensemble des membres de l’ordre et nous leur avons demandé qui était prêt à se joindre à ce projet qui consisterait à faire une action sociale plus concrète et plus collective.

Qu’est-ce qui a été décidé ?

Nous avons dans un premier temps décidé de nous mettre derrière l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales (AVIP) et de l’assister parce que l’association reçoit des justiciables de tous types. Les victimes de violences, notamment conjugales, peuvent être de tous les milieux sociaux. Il peut y avoir des violences conjugales chez des personnes richissimes, comme chez des personnes qui n’ont rien du tout. L’Avip dispose de ses propres moyens, qui ne sont pas illimités. Les avocats sont donc extrêmement précieux pour l’aider dans ses actions.

« Les victimes de violences, notamment conjugales, peuvent être de tous les milieux sociaux. Il peut y avoir des violences conjugales chez des personnes richissimes, comme chez des personnes qui n’ont rien du tout »

Me Régis Bergonzi, bâtonnier de l’ordre des avocats de Monaco

Pourquoi avoir opté pour le volontariat ?

Le volontariat nous permet d’éviter une bonne action, qui n’est pas vraiment consentie par tout le monde. Car vous risqueriez d’avoir des victimes qui vont prendre contact avec un avocat qui n’est pas si sensible que ça à la question et qui, du coup, va y mettre de la mauvaise volonté. Les volontaires ont quand même eu cette démarche de venir rejoindre le mouvement. Donc c’est un gage d’engagement. Il ne s’agit pas juste de moduler ses honoraires. Ce qui est important, c’est que la victime bénéficie du meilleur conseil et aussi d’une écoute. Le métier d’avocat a une vocation sociale.

À quoi s’engagent les avocats signataires ?

Ça va être justement de faire preuve de plus d’écoute vis-à-vis de ces victimes. Si, et seulement si, elles sont envoyées par l’Avip. Car nous ne pouvons pas nous occuper de toutes les personnes de Monaco qui ont besoin d’assistance judiciaire. Nous nous sommes donc placés derrière l’Avip, qui représente le premier filtre. Si l’Avip estime que ces personnes doivent consulter un avocat, elle pourra les adresser à un avocat (signataire). Et selon l’analyse de l’avocat, si ces personnes ont les moyens de faire face aux frais d’une consultation, elles paieront le prix de la consultation. Si elles ont droit à l’assistance judiciaire, elles seront envoyées à l’assistance judiciaire. Enfin, si les personnes sont dans un entre-deux, l’avocat peut décider de faire un effort financier pour faciliter l’accès à un conseil de qualité.

Dans la charte, il est mentionné que les avocats signataires devront « renforcer leur écoute » : qu’entendez-vous par là ?

Les avocats sont généralement très occupés. Beaucoup d’entre eux travaillent au temps passé et donc nécessairement, ça minute un peu le temps d’échange. Maintenant, pour les victimes d’infractions pénales, on peut prendre plus de temps. Ou alors donner des conditions financières plus douces pour justement avoir plus de temps à consacrer à un dossier. Ensuite, un avocat peut aussi envisager une action forfaitaire si le dossier lui plaît.

Comment la rémunération d’un avocat est-elle fixée, en général ?

C’est l’avocat qui choisit sa rémunération. Il n’est pas obligatoire d’avoir un mandat écrit et signé en principauté de Monaco. En revanche, en France, cela est obligatoire. À Monaco, non. Mais, en pratique, c’est très souvent le cas. Les conditions financières sont posées par écrit au début de la relation avec le client. Mais l’avocat a une très grande liberté de fixer le taux horaire, selon aussi son succès dans telle ou telle matière. C’est un métier où on ne peut pas démultiplier son temps. L’ancienneté de l’avocat, son expertise dans la matière vont aussi rentrer en jeu. Les honoraires sont fixées librement.

« Tout le monde ne peut pas avoir accès à la justice à Monaco, mais en France et en Italie non plus. Cette question de l’accès à la justice est vraie partout en Europe »

Me Régis Bergonzi, bâtonnier de l’ordre des avocats de Monaco

Dans la charte, aucun plafond n’est défini : comment la rémunération de l’avocat sera-t-elle déterminée ?

Si vous voulez entrer dans une extrême précision, il faudrait qu’il y ait des moyens d’enquête. L’avocat aura la possibilité, s’il le souhaite, de demander des justificatifs. Et si le client ne les lui donne pas, l’avocat ne prendra pas le dossier. Le bureau d’assistance judiciaire dispose, lui, de moyens d’investigation légalement établis. Le client doit remplir un dossier. Je ne pense pas que l’on va rentrer dans un degré de minutie pareil parce que ça prendrait beaucoup de temps. Et l’objectif, ce n’est pas de perdre du temps en formalités administratives. Les grandes lignes peuvent être établies par l’entretien.

Est-il difficile pour un avocat de moduler sa rémunération ?

Chaque avocat est libre d’agir à sa guise, en fonction aussi de ses charges. La profession est très diverse à Monaco. Il y a des cabinets qui sont bien connus et de taille très importante. Mais vous avez aussi des études quasi-individuelles ou individuelles et des études intermédiaires. C’est un peu fonction aussi des possibilités des uns et des autres.

L’avocat signataire peut-il représenter une victime à titre gracieux ?

On peut l’imaginer. Mais il faut qu’il y ait vraiment une cause particulière parce que les avocats, comme tout professionnel, ont aussi des charges auxquelles ils doivent faire face. Ils ont des employés à payer, des loyers monégasques à acquitter… Ça ne peut donc être qu’exceptionnel selon la cause considérée.

Est-il plus difficile de se faire représenter à Monaco qu’ailleurs ?

Si vous allez en France ou en Italie, on vous dira aussi que les avocats sont chers. Un avocat est cher, ou apparaîtra cher, pour beaucoup de personnes qui sont entre l’assistance judiciaire et juste au-dessus de l’assistance judiciaire [revenus supérieurs à 20 000 euros par an – NDLR]. Et dans cette optique, un projet d’assistant judiciaire partiel est sur le point d’être adopté par le Conseil national dans le cadre d’une loi de réforme de la procédure civile. Ce projet va étendre les possibilités d’une aide, mais partielle. Un peu sur le modèle de ce qui existe déjà en France.

Pourquoi l’accès à la justice coûte-t-il si cher ?

Il s’agit de professions libérales donc ça a un coût dont le justiciable doit se soucier, surtout au moment de l’entame de la relation avec un avocat. Il est très important de clarifier les choses et de se projeter. Plus le justiciable se tournera vers la star ou l’avocat le plus renommé dans la matière considérée, plus les honoraires seront importants tout simplement parce que l’avocat considéré sera beaucoup plus sollicité qu’un inconnu.

« Tous les avocats ne sont pas tournés vers les matières qui concernent l’AVIP qui touchent essentiellement au droit pénal, droit de la famille ou parfois aux questions satellitaires comme la question des baux. Ceux qui étaient davantage tournés droit des affaires étaient peut-être moins concernés par le sujet »

Me Régis Bergonzi, bâtonnier de l’ordre des avocats de Monaco

Aujourd’hui, tout le monde peut-il avoir accès à la justice à Monaco ?

Tout le monde ne peut pas avoir accès à la justice, mais en France et en Italie non plus. Cette question de l’accès à la justice est vraie partout en Europe. Je ne dis pas que nous avons trouvé une solution idéale avec cette charte. Nous avons pour l’instant ouvert la voilure uniquement aux victimes d’infractions pénales pour des raisons de bon sens. Nous ne pouvons pas, nous volontaires, nous retrouver écrasés par la volonté de bien faire et avoir en retour une charge à laquelle nous ne pouvons pas faire face. La question de l’accès au droit est très importante à Monaco comme partout ailleurs.

Ce dispositif peut-il, à l’avenir, être étendu ?

Au sein de l’ordre, nous souhaitions d’abord faire cette première étape. Ensuite, nous ferons un bilan dans quelque temps et nous verrons s’il doit être étendu. Mais nous devons déjà évaluer quelles sont les conséquences de cette démarche, qui est vraiment spécifique à Monaco. La plus saine des choses à faire, c’est d’abord de voir comment ça marche, qu’est-ce que ça représente concrètement en termes de masse de travail et ensuite, on avisera.

Il aura fallu un an pour établir cette charte : pourquoi un délai aussi long ?

Faire un appel au volontariat et trouver des noms n’a pas pris beaucoup de temps. Il fallait d’abord en discuter en assemblée générale de l’ordre parce que ce n’est pas une compétence où le conseil de l’ordre peut décider ce qu’il veut librement. Il a fallu présenter le projet, soumettre la charte et que tout le monde ait la possibilité de dire si les dispositions lui convenaient ou pas. Je ne suis pas d’accord avec vous sur le fait que ça a été long. Quand vous êtes bâtonnier, vous êtes élu un an renouvelable une fois au maximum donc ça fait deux ans. La question m’a intéressé dès la première semaine de mon mandat. Et ce qui comptait, c’est que les choses soient mises en place avant ma deuxième année. Sinon le risque était que le projet reste en jachère.

Comment vos confrères ont accueilli cette charte ?

Favorablement. Après, tous les avocats ne sont pas tournés vers les matières qui concernent l’Avip qui touchent essentiellement au droit pénal, droit de la famille ou parfois aux questions satellitaires comme la question des baux. Ceux qui étaient davantage tournés droit des affaires étaient peut-être moins concernés par le sujet.

Est-ce la raison pour laquelle seulement huit avocats sur 32 ont signé la charte ?

Je n’ai vu cette initiative dans aucun autre barreau de ma connaissance. Cette initiative n’est que positive. En avoir huit est déjà un très bon départ. Cette situation est susceptible d’évoluer. Si ça se passe bien, peut-être que d’autres personnes voudront nous rejoindre.

« L’ordre ne cherche pas à envoyer un signal, il essaie de répondre à une vraie problématique de société et réaffirme sa vocation sociale »

Me Régis Bergonzi, bâtonnier de l’ordre des avocats de Monaco

Pourquoi les autres avocats n’ont-ils pas répondu présents ?

Je pense que cela dépend aussi de la disponibilité des uns et des autres. Si ce projet a pu se faire, c’est aussi grâce au volontariat qui a permis d’éviter des résistances. D’une manière générale, les gens peuvent juste détourner le regard. C’est un lancement. Nous ferons un point dans quelque temps. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas d’avoir 32 avocats sur 32 mais c’est surtout d’avoir ceux qui sont motivés. Nous avons ainsi beaucoup plus d’assurance qu’ils jouent le jeu derrière. Il ne faut pas oublier que l’intégralité du barreau de Monaco répond présent à quelque 1 200 missions par an au titre de l’assistance judiciaire et commissions d’office. Tout le monde supporte donc déjà un poids des missions sociales, sans exception aucune.

Trois femmes seulement sur 13, dont deux avocates stagiaires, ont signé cette charte : pourquoi si peu de femmes ?

Je n’en sais rien du tout. Encore une fois, je préfère qu’il y ait peu d’avocates signataires mais qu’elles soient motivées plutôt que plein de signataires, comme une espèce de déclaration pour la forme ou pour la photo, qui ne suivent pas derrière. l’ordre ne cherche pas à envoyer un signal, il essaie de répondre à une vraie problématique de société, réaffirme sa vocation sociale et fait face à une vraie problématique propre à tous les pays d’Europe qui est que l’accès à un avocat n’est pas gratuit. Les avocats exercent une profession libérale.

Peu d’avocats s’intéressent au pénal à Monaco : quelles en sont les raisons ?

Ce n’est pas si vrai. Cela est en train de changer. Je note plutôt qu’il y a, au contraire, de plus en plus d’avocats qui s’y intéressent, notamment les jeunes. Les plus jeunes doivent par les commissions d’office, l’assistance judiciaire, remplir beaucoup de désignations de commissions d’office, les gardes à vue… Ils travaillent donc beaucoup le pénal.

Le pénal, c’est moins lucratif pour un avocat ?

La matière est réputée être moins lucrative. Mais dans certains dossiers très importants, les sommes en jeu peuvent être extrêmement importantes. Le pénal est une matière particulière. C’est souvent un combat, qui use physiquement et psychiquement plus qu’une autre matière. Et cela ne plaît pas à tout le monde.

Où en est-on dans le projet de fonds d’indemnisation des victimes en cas d’insolvabilité des auteurs ?

Plusieurs personnes m’ont dit que ce projet avançait et que les pouvoirs publics s’en étaient saisis et voulaient avancer. Mais je n’ai pas d’information sur le fait que cela va se matérialiser ou pas. Ce serait certainement en grande partie la solution parce que le fonds a aussi vocation, si l’on prend le modèle français, à offrir une défense aux victimes de telle ou telle infraction considérée.

C’est-à-dire ?

Par exemple en matière de terrorisme, toutes les personnes ont droit à l’assistance judiciaire de plein droit. En matière de violences conjugales ou de divorce, peut-être aussi. Ça met une croix sur le problème du coût de l’avocat, mais c’est une solution de la collectivité. Ce n’est pas juste un ordre des avocats qui va résoudre le problème. C’est à la société de décider si elle veut collectiviser ce risque et la prise en charge de cette problématique. C’est ce qui a été fait en France, et j’espère que Monaco le fera également prochainement.

Pour lire notre article sur la collaboration entre l’Association d’Aide aux Victimes d’Infractions Pénales (AVIP) et l’ordre des avocats monégasques, cliquez ici.