vendredi 19 avril 2024
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Valérie Campora-Lucas : « L’AVIP est devenue un acteur incontournable »

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Devenue au fil du temps un interlocuteur privilégié des femmes victimes de violences, conjugale ou harcèlement, en principauté, l’association d’Aide aux Victimes d’Infractions Pénales (AVIP) propose un accompagnement multiforme à la soixantaine de personnes qui poussent sa porte chaque année. À la veille de la journée internationale des droits des femmes, sa directrice Valérie Campora-Lucas a accepté pour Monaco Hebdo de dresser un bilan de son action.

Quel bilan dressez-vous de l’action de l’AVIP, depuis sa création, en 2014 ?

L’association a vraiment pris son essor à partir de 2017-2018 parce que, jusqu’à cette date, l’AVIP n’avait ni local, ni subvention. Aujourd’hui, nous sommes devenus un acteur incontournable. Depuis que nous avons une possibilité d’accueil, plus le mouvement #MeToo et la libération de la parole des femmes, environ 60-70 nouvelles victimes poussent chaque année les portes de l’AVIP. Une grande majorité vient pour des violences conjugales, sexuelles ou du harcèlement. Nous enregistrons une évolution assez importante du harcèlement, notamment sexuel, dans le monde du travail. La parole s’est véritablement libérée, parce que des lois ont été votées. Et elles permettent aujourd’hui à une victime de pouvoir être entendue par la justice.

Comment expliquez-vous cette hausse des cas de harcèlement sexuel au travail ?

Je ne sais pas s’il y a plus de harcèlement sexuel aujourd’hui qu’avant mais je pense que les personnes victimes de ce type de harcèlement se rendent compte qu’elles n’ont plus à le subir.

« Depuis que nous avons une possibilité d’accueil, plus le mouvement #MeToo et la libération de la parole des femmes, environ 60-70 nouvelles victimes poussent chaque année les portes de l’AVIP »

Les mouvements #MeToo et #Balancetonporc ont aussi contribué à cette libération de la parole ?

Énormément, car les victimes se sentent moins seules. Quand on reçoit des victimes, une des premières choses qu’elles nous disent c’est : « Je suis désolée de vous déranger, excusez-moi » ou « je ne sais pas, je ne suis pas sûr que ce soit… ». Mais non. Ces mouvements ont fait prendre conscience aux personnes qu’elles étaient victimes. Cela les a moins isolées, et ça a facilité la libération de la parole.

Comment l’AVIP prend-elle en charge ces victimes ?

C’est d’abord un premier accueil pour voir avec elle ce qu’elle subit, et ce dont elle a besoin. Ensuite, nous avons différents thérapeutes qui interviennent un peu à la carte pour la victime. Le but, c’est qu’elle se sente bien avec le thérapeute qui va l’accompagner. Nous n’avons pas de nombre de séances préétabli, c’est vraiment en fonction de ses besoins et c’est entièrement pris en charge par l’AVIP. Nous essayons aussi de les accompagner au niveau juridique. Nous leur donnons des conseils, nous les aidons à faire des papiers si elles ont besoin de l’aide judiciaire, à contacter certains avocats parce que nous avons signé un protocole avec l’ordre des avocats de Monaco pour que les personnes qui ont des revenus très légèrement supérieurs pour l’assistance judiciaire puissent quand même bénéficier d’un avocat sans forcément être obligées de payer très cher.

« Nous pouvons aider ces femmes dans le cadre d’un hébergement d’urgence. Nous pouvons, par exemple, les héberger provisoirement dans un hôtel. Ensuite, si la victime est d’accord, nous entrons en contact avec les services sociaux de manière à ce qu’elle puisse, plus tard, être prise en charge dans des appartements de la direction de l’action et de l’aide sociales »

Quoi d’autres ?

Nous pouvons aussi les aider dans le cadre d’un hébergement d’urgence. Nous pouvons, par exemple, les héberger provisoirement dans un hôtel. Ensuite, si la victime est d’accord, nous entrons en contact avec les services sociaux de manière à ce qu’elle puisse, plus tard, être prise en charge dans des appartements de la direction de l’action et de l’aide sociales (DASO). La prise en charge est donc globale puisque nous les suivons également au niveau administratif et social. Très souvent, quand on vit une période comme celle-ci, il y a une perte de confiance totale.

« La parole s’est véritablement libérée, parce que des lois ont été votées. Et elles permettent aujourd’hui à une victime de pouvoir être entendue par la justice »

Souhaiteriez-vous disposer d’appartements pour loger les femmes victimes de violences ?

Si vous m’aviez posé la question en 2019, je vous aurais répondu « oui », car nous avions eu un souci avec deux personnes que nous n’arrivions pas à reloger. Une subvention supplémentaire nous a été accordée justement pour pouvoir gérer les urgences dans des hôtels. Nous avions bien envisagé à l’époque de louer un appartement pour pouvoir accueillir une ou plusieurs victimes en même temps mais aujourd’hui la direction de l’action et de l’aide sociales (DASO) répond parfaitement à nos demandes, quand nous en avons.

Quel est le profil des victimes ?

Pour les violences conjugales, il s’agit de personnes de 30-35 ans jusqu’à 55 ans environ, issues de toutes classes sociales. En ce qui concerne les viols, les victimes sont des jeunes femmes entre 15 et 25 ans. Enfin, pour le harcèlement à caractère sexuel, les victimes ont entre 20 et 40 ans. Les violences faites aux femmes touchent donc toutes les catégories sociales et toutes les nationalités.

Combien de personnes œuvrent au sein de l’AVIP ?

Nous sommes deux à plein temps. Ensuite, nous avons 4 thérapeutes différents qui interviennent en fonction des besoins des victimes. Deux d’entre eux sont présents quasiment toutes les semaines, au moins un jour par semaine chacune.

« Nous avons une subvention accordée par le gouvernement qui s’élève à 165 000 euros par an. Nous sommes partis, fin 2017-début 2018, d’une subvention d’environ 40 000 euros et nous sommes montés jusqu’à 180 000 euros »

Quel est votre budget ?

Nous avons une subvention accordée par le gouvernement qui s’élève à 165 000 euros par an. Nous sommes partis, fin 2017-début 2018, d’une subvention d’environ 40 000 euros et nous sommes montés jusqu’à 180 000 euros. Ensuite, nous avons eu beaucoup de frais d’installation pour acheter le matériel… Et maintenant, pour la troisième année consécutive, nous avons demandé 165 000 euros.

Cette subvention est-elle suffisante ?

Aujourd’hui, ce budget est suffisant. Il nous permet de pouvoir prendre en charge tous nos loyers, tous nos frais de bureau, et de payer nos thérapeutes. À l’heure actuelle, nous travaillons aussi beaucoup en prévention. L’année dernière, nous avions créé une pièce de théâtre en collaboration avec l’Union des femmes monégasques et Action Innocence pour la lutte contre le harcèlement. À l’occasion du 8 mars, nous avions aussi acheté un certain nombre de places au théâtre des Muses pour la pièce Les maux bleus, en partenariat avec le comité du droit des femmes. Et cette année, à l’occasion des 16, 17, 18 et 19 mars, nous avons acheté toutes les places pour les quatre représentations d’une pièce de théâtre sur les violences conjugales. Toutes les personnes qui souhaitent voir cette pièce n’ont qu’à appeler le théâtre des Muses et ils auront droit à un certain nombre d’invitations.

AVIP Aides aux victimes d'infractions pénales
« Notre budget est suffisant. Il nous permet de pouvoir prendre en charge tous nos loyers, tous nos frais de bureau, et de payer nos thérapeutes. » Valérie Campora. Directrice de l’association d’Aide aux Victimes d’Infractions Pénales (AVIP). © Photo Monaco Hebdo

Quel est votre objectif derrière ces actions ?

Le but, c’est de communiquer de manière différente par le biais des loisirs avec des pièces de théâtre magnifiquement interprétées par des gens qui n’interprètent plus uniquement un rôle, mais sont allés à la recherche de ce que sont les violences pour pouvoir les retranscrire par le biais de la pièce.

Les victimes portent-elles plus facilement plainte aujourd’hui ?

Oui, il y a plus de dépôts de plainte. Malheureusement, ils ne sont pas systématiquement suivis. Ce n’est ni la faute de la police, ni celle de la justice bien entendu. Mais quand on porte plainte, il faut avoir des éléments de preuve. La justice ne peut pas incriminer quelqu’un juste sur une parole, donc il faut un certain nombre d’éléments. À l’AVIP, nous travaillons beaucoup avec les victimes sur les éléments qu’elles peuvent réunir.

Les services de police sont-ils suffisamment à l’écoute des victimes ?

À Monaco, la police a été parfaitement formée et sensibilisée. Aujourd’hui, nous n’avons plus du tout de problème d’accueil. Depuis trois ou quatre ans, la police propose des formations. Nous travaillons très régulièrement, et très bien, avec la sûreté publique. Dès qu’une personne se présente pour des faits de violence, ils donnent systématiquement notre plaquette. Je ne pense pas aujourd’hui qu’il y ait une victime qui puisse dire qu’elle a été mal reçue par la sûreté.

Le fait que certaines plaintes n’aboutissent pas a quel impact sur les victimes ?

Ne pas être reconnue en tant que victime est un deuxième effet négatif pour elle. Malheureusement, c’est la loi et on ne peut pas la changer. Si on modifiait la loi sur les preuves, on pourrait avoir des abus de l’autre côté. Il n’y a pas de justice sans preuve. Et ces preuves protègent tout le monde, la victime comme les auteurs s’il n’y en a pas. La justice repose sur des faits et sur des preuves.

Valérie Campora-Lucas AVIP
« À Monaco, la police a été parfaitement formée et sensibilisée. Aujourd’hui, nous n’avons plus du tout de problème d’accueil. Depuis trois ou quatre ans, la police propose des formations. Nous travaillons très régulièrement, et très bien, avec la sûreté publique. » Valérie Campora. Directrice de l’association d’Aide aux Victimes d’Infractions Pénales (AVIP). © Photo Monaco Hebdo

Comment travaillez-vous avec le comité pour la promotion et la protection des droits des femmes et quelles actions menez-vous conjointement ?

Nous collaborons en leur donnant nos chiffres, en étant présents sur certaines manifestations comme la journée du 8 mars ou la journée de lutte contre les violences internationales au mois de novembre. Nous avons été en collaboration sur la pièce de théâtre du 8 mars 2022. Nous travaillons ensemble régulièrement puisque le comité organise des petites réunions sur différents thèmes. Notre collaboration est donc très régulière.

Quel regard portez-vous sur l’action du comité ?

C’est un comité qui communique beaucoup. Et dans ces domaines-là, plus on communique, mieux c’est. Il est très important de pouvoir communiquer que ce soit entre les institutions ou avec le grand public. Il y a une très bonne complémentarité entre nous.

Ce comité a choisi trois ambassadeurs masculins [Hassan de Monaco, Cédric Biscay et Hugo Micallef — NDLR] pour représenter la cause des femmes : le déplorez-vous ?

Non, au contraire. S’ils ont vraiment envie de s’investir, je trouve ça très bien. Plus il y aura d’ambassadeurs ou d’ambassadrices, mieux ce sera. Au contraire, avoir des hommes peut interpeller. Je trouve ça bien. En plus, il y a un sportif de haut niveau, un boxeur [Hugo Micallef — NDLR] dont ça interpelle encore plus de manière positive, et un humoriste [Hassan de Monaco — NDLR]. Peut-être qu’il pourra utiliser certains de ses sketchs pour faire passer le message qu’un homme ne doit pas frapper une femme.

La boxe renvoie pourtant une image de violence ?

Oui, il y a de la violence dans la boxe, mais elle est totalement contrôlée. Un boxeur sait se servir de ses poings, et il s’en sert uniquement sur un ring. La boxe est un sport qui est canalisé, et je crois qu’un sportif de haut niveau sait à quel moment il se sert de sa force.

Mardi 21 février 2023 a eu lieu la quatrième réunion plénière du comité, à laquelle vous avez participé : quel bilan faites-vous de ce rendez-vous ?

Ça a été très positif, car nous avons pu voir que des travaux majeurs sont menés. Avoir une communication importante, c’est très bien mais il y a eu aussi certaines législations qui ont changé, notamment pour protéger les victimes. Le vote de la loi relative à la protection des droits des femmes et à l’abrogation des dispositions obsolètes et inégalitaires est important. Car certaines lois étaient un peu ancestrales et avaient besoin d’être revues. Ça permet de travailler sur certains points encore sensibles.

Lors de cette réunion, la déléguée interministérielle Céline Cottalorda a évoqué « un plafond de verre qui commence à se fissurer » : partagez-vous son constat ?

Je crois que ce plafond s’est déjà fissuré depuis un bon moment. Depuis trois ou quatre ans maintenant, ça fonctionne plutôt très bien. Il me semble qu’elle parlait aussi beaucoup de l’égalité homme-femme et de l’égalité salariale, pour lesquelles il y a une vraie prise de conscience. Bien entendu, elle a raison quand elle dit que ce plafond de verre est en train de se fissurer et il ne fera que s’agrandir à partir du moment où on communique dessus.

Malgré tout, le dernier rapport sur les violences faites aux femmes à Monaco fait état d’une augmentation des cas en 2022 ?

À l’AVIP, nous avons des chiffres en augmentation, mais ces violences existaient déjà. C’est simplement dû au fait que, désormais, les gens parlent, ce qui est un gros avantage. Il ne faut pas oublier, non plus, que nous sommes dans une période post-Covid, particulièrement anxiogène. Il y a eu bien sûr le Covid avec la crise économique qui en a découlé et il y a actuellement la guerre en Ukraine. Quand vous allumez la télé, si vous n’avez pas le moral, vous l’avez encore moins après les informations. Il y a quand même aussi une grande inquiétude des gens en règle générale. Y compris économique. Et cela peut créer des tensions supplémentaires dans une famille ou dans un couple. Le climat dans lequel nous vivons depuis maintenant presque trois ans, n’améliore pas l’ambiance dans les foyers.

Vous l’avez rappelé, en mai 2021 l’AVIP et l’ordre des avocats ont signé une charte qui permet désormais aux victimes d’infractions pénales de bénéficier d’une aide juridique à moindres frais : quel en est le résultat aujourd’hui ?

J’ai peu de chiffres à donner, puisque nous avons les deux extrêmes. C’est-à-dire des gens qui bénéficient de l’aide judiciaire et d’autres qui ont les moyens. Mais l’année dernière, nous avons eu trois cas où nous avons eu l’aide d’avocats, en lien avec ce protocole. Ça peut paraître peu, mais nous avons aussi eu la chance d’avoir pu raccrocher un certain nombre de victimes à l’assistance judiciaire.

« L’année dernière, nous avons eu trois cas où nous avons eu l’aide d’avocats […]. Ça peut paraître peu, mais nous avons aussi eu la chance d’avoir pu raccrocher un certain nombre de victimes à l’assistance judiciaire »

Le coût de la justice en principauté peut représenter un frein pour les victimes ?

Ça peut inquiéter, car elles ne sont pas forcément au courant des protocoles existants. Il y a des victimes qui ne sont pas venues nous voir, et qui ne sont pas au courant qu’elles peuvent avoir droit soit à l’assistance judiciaire, soit au protocole qui permet de négocier le côté financier avec certains avocats.

À l’époque, treize avocats avaient signé cette charte : combien sont-ils, désormais ?

Il n’y a pas eu d’autres signatures depuis. Il faudrait réactualiser, parce que de nouveaux jeunes avocats sont arrivés. Aujourd’hui, ils n’ont pas fait acte de présence sur la liste, mais je pense qu’ils ont été sensibilisés à la cause par l’ordre des avocats.

Quels leviers Monaco doit-il activer pour renforcer les droits des femmes ?

Il faut continuer dans ce sens, et il y a quelque chose qui me touche beaucoup, et nous en avions déjà parlé fin 2017 avec le Conseil national, et en 2020 avec Robert Gelli [alors directeur des services judiciaires — NDLR] : c’est la prise en charge des auteurs. Il faut que Monaco soit précurseur dans ce domaine. Il faut que le pays puisse aller de l’avant sur la prise en charge des auteurs.

Qu’espérez-vous, concrètement ?

Je sais que la secrétaire d’état à la justice, Sylvie Petit-Leclair, œuvre dans ce sens. Je crois qu’un partenariat, mais elle serait plus à même d’en parler, va être fait avec la France pour pouvoir faire certains stages à certains auteurs sur le territoire français. Aujourd’hui, l’accompagnement des victimes est bien entendu indispensable, capital, obligatoire… mais celui des auteurs l’est également, parce que malheureusement, pas tellement sur Monaco mais en France, on voit qu’il y a des récidives.

Avez-vous d’autres projets ?

Nous avons des projets pour toujours accompagner au mieux les victimes, travailler beaucoup sur la prévention, que ce soit au niveau de la jeunesse, et, bien sûr, au niveau des adultes. Nous avons eu ponctuellement des interventions auprès des jeunes. L’éducation nationale est très sollicitée et les programmes sont très chargés, mais nous sommes en contact très étroit pour pouvoir faire des interventions, probablement aussi en collaboration avec d’autres associations. Concernant l’indemnisation des victimes, le projet de loi est enfin déposé au Conseil national. C’est une bataille qui date de presque cinq ans. Il était impératif qu’il y ait une indemnisation aussi en principauté de Monaco. Nous sommes donc contents que ça voit le jour.