jeudi 18 avril 2024
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Négociations Monaco-Union européenne — Régis Bergonzi : « Nous solliciterons du gouvernement des budgets pour faire conduire notre propre étude d’impact »

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Officiellement installés depuis le 16 février 2023 (1), les nouveaux élus du Conseil national ont répété qu’ils ne s’estiment pas suffisamment informés de l’avancée des négociations avec l’Union européenne, pour un éventuel accord d’association. Jugeant que l’étude d’impact lancée par le gouvernement monégasque entre l’éventualité d’un accord et les conséquences d’un non-accord est orientée, les conseillers nationaux réclament au gouvernement un budget, afin de réaliser leur propre enquête. Les explications du président de la commission du Conseil national sur le suivi de la négociation avec l’Union européenne, Régis Bergonzi.

Nommée en janvier 2023 haut commissaire aux affaires européennes, Isabelle Costa a confirmé dans Monaco-Matin le 23 février 2023 qu’elle espérait trouver un accord d’association pour Monaco avec l’Union européenne (UE) d’ici fin 2023 : quelle est votre réaction ?

Tout d’abord, je tiens à adresser mes sincères félicitations à madame Isabelle Costa pour sa nomination, et je lui souhaite beaucoup de succès pour défendre les intérêts de notre pays. Nos interlocuteurs européens aimeraient, en fait, trouver un accord d’étape d’ici le tout début de l’année 2024 sur les points essentiels permettant une finalisation d’un accord ultérieur. C’est donc de se mettre d’accord, ou non, sur les éléments essentiels de la négociation dont il sera question. Il sera déterminé si une convergence s’avère possible, ou non, entre deux régimes difficilement conciliables. D’un côté les quatre libertés fondant un marché commun qui prohibe toute discrimination entre les ressortissants de chaque Etat membre de l’UE. De l’autre, la principauté où le prix au mètre carré empêcherait, sans aide, sa population nationale de vivre, de travailler et d’entreprendre dans ses frontières.

Le prince Albert II et son gouvernement ont évoqué à plusieurs reprises une série de « lignes rouges » qui ne seront pas franchies dans cette négociation : pourquoi cela ne suffit-il pas à totalement rassurer les élus ?

Les lignes rouges sont souvent invoquées et très peu définies. En d’autres termes, la clarté du débat gagnerait à ce que ces lignes rouges soient précisément définies par chacun et dûment défendues. Si celles-ci devaient se limiter à l’accès aux domaines, elles ne répondraient pas aux attentes des Monégasques très attachés, par exemple, à la priorité nationale inscrite dans notre Constitution. De manière plus générale, le régime de contrôle des autorisations d’installation convient à nombre de nos acteurs économiques.

Suite à la campagne électorale, vous avez été en contact avec la population : quel est le ressenti des Monégasques autour de ces négociations ?

L’inquiétude de la population rencontrée est palpable, dans son écrasante majorité. A l’heure de l’invasion ukrainienne, chacun a évidemment conscience que nous appartiendrons toujours au camp des démocraties européennes, que nous adhérons à la paix que le projet européen a globalement apporté depuis la Seconde Guerre mondiale. Notre encrage européen n’est plus à démontrer. Toutefois, sur cette question essentiellement économique, au cœur des préoccupations des sujets monégasques figurent l’avenir de leurs enfants, la possibilité de se loger à Monaco et, j’insiste, d’y travailler. Il faut comprendre que notre modèle économique fonctionne très bien. Le sentiment général pourrait être celui tiré de ce proverbe anglais : « Ne réparez pas quelque chose qui marche ».

Régis Bergonzi
« Le gouvernement doit avoir farouchement à l’esprit l’impératif de préservation de notre modèle social. »
Régis Bergonzi. Président de la commission du Conseil national sur le suivi de la négociation avec l’Union européenne. © Photo L’Union

Logement, priorité nationale, régime d’autorisation pour s’installer à Monaco… Huit ans après le début des négociations, quels sont les sujets qui inquiètent le plus les Monégasques ?

Les Monégasques demeurent soucieux de ce que la prochaine génération puisse vivre et travailler à Monaco. Or, notre critère de la nationalité dans l’attribution de certains droits est antinomique avec les quatre libertés qui fondent le marché commun : libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Je pense également que le rejet de la proposition d’un accord sectoriel a pu donner l’impression que nos interlocuteurs n’avaient aucune flexibilité, en raison de notre taille réduite.

Isabelle Costa a confirmé que le Conseil national serait tenu informé de l’avancée des négociations, comme le gouvernement le fait depuis l’ouverture des négociations, en mars 2015 : le niveau d’information apporté aux élus vous satisfait-il ?

Le niveau d’information apporté aux élus n’était pas satisfaisant car, jusqu’à présent, les comptes-rendus périodiques étaient généraux. Or, c’est sur la base de projets de tout ou partie du texte de l’accord que nous pourrions nous positionner sérieusement. Dans cette optique, notre présidente Brigitte Boccone-Pagès a eu raison de proposer plusieurs idées pour améliorer le niveau d’information des élus. Parmi elles, il y a la création d’un comité mixte de suivi des engagements internationaux, entre le Conseil national et le gouvernement. Ou encore, la création d’une étude d’impact objective qui prendrait en compte les deux hypothèses que seraient la signature d’un accord ou non, et ce, à l’aune de la pérennité du pacte social monégasque, dans un cas comme dans l’autre. Pour le reste, il semble normal que l’Assemblée soit très loyalement informée de l’avancée de ces négociations, puisqu’il lui appartiendra, au final, de ratifier ce texte, ou non.

Le ministre d’Etat, Pierre Dartout, a diligenté une étude pour estimer d’ici le printemps 2023 les conséquences d’un échec des négociations avec l’UE sur les plans politique, économique, et juridique, et les résultats de cette étude seront discutés avec les élus : cela vous satisfait-il ?

Depuis l’année 2015, d’aucuns avaient sollicité une véritable étude d’impact portant sur l’opportunité d’un accord d’association avec l’UE. L’annonce récente de cette décision apparaissait, dès lors, opportune. Toutefois, il est apparu, non sans surprise, que cette étude serait exclusivement ciblée sur les conséquences négatives de la non-signature d’un accord. De nombreux professionnels de la place ont reçu un formulaire les invitant uniquement à détailler ce qui serait négatif pour eux, en cas de non-signature. Logiquement, cette méthode avait pour conséquence de les obliger à se taire sur les points positifs à leurs yeux à ne pas se lier par un tel accord global. En d’autres termes, cette étude à sens unique a été ciselée pour forcer les professionnels à critiquer une absence de signature de l’accord. En définitive, cette manière de procéder tendra moins à enrichir un débat loyal et ouvert, qu’à faciliter un travail ultérieur de conviction de l’opinion publique. Pour sa part, l’Assemblée souhaite que le débat sur l’opportunité de signer, ou non, se fasse sur la base de données objectives, et ne veut pas glisser dans un débat d’argumentaires démagogiques. C’est la raison pour laquelle nous solliciterons du gouvernement des budgets pour faire conduire notre propre étude d’impact, tendant à nous éclairer sur les avantages et les inconvénients à conclure cet accord.

Régis Bergonzi
© Photo Conseil National

Après huit ans de négociations, il est temps que ces négociations aboutissent enfin ?

L’issue de ces négociations sera déterminante pour l’avenir de la principauté de Monaco et de sa population. La précipitation n’est donc pas de mise. Toutefois, au cœur du débat se posera la question de la souplesse éventuelle de nos interlocuteurs européens à s’adapter à notre situation locale très spécifique fondée, notamment, sur un prix au mètre carré le plus élevé de la planète, ou sur une population nationale de seulement 22,5 % de notre population globale. Or, des solutions sectorielles existent : par le passé, des accords ont pu être conclus entre l’UE et certains Etats, comme la Géorgie, l’Ukraine, ou la Moldavie, dans lesquels tout, ou partie, des quatre libertés fondamentales ont pu être écartées. A titre d’exemple, l’accord entre l’Ukraine et l’UE prévoit des restrictions à la libre circulation des travailleurs. Et il faut y insister : Monaco est viscéralement inséré dans ce marché, et chacun aurait intérêt à ce que des accords sectoriels soient conclus. En toute intelligence, la question doit se poser d’une solution dans laquelle l’accord à intervenir ne se ferait pas nécessairement à 360°.

Finalement, qu’attendez-vous concrètement du gouvernement monégasque ?

Nous attendons du gouvernement qu’il ne baisse pas les bras avant l’heure, qu’il fasse preuve d’une transparence renforcée sur l’état de ces négociations. Espérons qu’il revienne à la question de l’opportunité, ou non, de souscrire cet accord, et de négocier en ayant toujours à l’esprit que la communauté nationale devra pouvoir continuer de travailler à Monaco et de s’y loger. A cet égard, il faut conserver à l’esprit que notre population continuera de croître, et devra toujours plus travailler dans le secteur privé, notamment grâce à la priorité nationale. En définitive, nous souhaitons qu’il ait farouchement à l’esprit l’impératif de préservation de notre modèle social.

1) A ce sujet, lire notre article Mandature 2023-2028 : le Conseil national s’organise, dans l’union, publié dans Monaco Hebdo n° 1275.