vendredi 29 mars 2024
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« Catastrophique
pour tout le monde »

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Jean-Claude Guibal, 74 ans, député-maire Les Républicains de Menton, réagit à l’afflux de migrants à la frontière de Vintimille, aux portes de sa ville. En estimant qu’il faut revoir les accords de Schengen et même la Constitution française. Interview.

 

Quelles sont les dernières nouvelles des migrants bloqués à Vintimille (1) ?

Les migrants sont toujours là. Ils sont 90 à 100. Ce sont plutôt de jeunes gens qui viennent d’Erythrée, du sud du Soudan et du Darfour, c’est-à-dire de l’ouest du Soudan. Le ramadan a commencé. Mais la situation n’a pas évolué. Elle est toujours bloquée.

 

Il se passe quoi sur le terrain ?

Du côté français, la police aux frontières (PAF) les empêche de franchir la frontière sur instruction du gouvernement. Le gouvernement n’a pas eu à utiliser la procédure mise en œuvre en 2011 lors du Printemps arabe en Tunisie. C’est-à-dire les mesures dérogatoires envisagées par Schengen.

 

Comment vous jugez cette situation ?

Ce gouvernement, que je ne soutiens pas, a l’attitude qui convient. Celle qui consiste à empêcher le franchissement des frontières intérieures de Schengen. Les accords de Schengen, qui remontent à 1990, ont été signés à un moment où ces flux migratoires massifs n’existaient pas. Ces accords facilitent la libre circulation à l’intérieur de l’espace Schengen des ressortissants des différents pays européens. Ils laissent aussi aux pays qui ont des frontières extérieures, comme la Grèce ou l’Italie, la totalité de la charge liée à des mouvements.

 

Mais il n’y a pas que Schengen qui s’applique !

Non, il y a aussi la convention de Dublin qui demande à ce que les dossiers soient étudiés pour déterminer qui peut bénéficier du droit d’asile. Je compatis avec l’Italie. Mais laisser passer la frontière en France ou en Autriche à ces migrants reviendrait à donner le signal à ces peuples qu’ils peuvent se mettre en route. Et que l’Europe leur sera ouverte, qu’ils auront un avenir sur place. Ce qui serait catastrophique pour tout le monde.

 

Comment en est-on arrivé là ?

C’est un phénomène assez récent. Les prémices remontent au Printemps arabe, en 2011. Ces mouvements de population sont dûs au fait qu’en Méditerranée orientale, au Moyen-Orient, la région est à feu et à sang. En particulier en Syrie (2). Alors qu’en Erythrée, le pouvoir dictatorial impose des conditions de vie surréalistes. Au Darfour, il y a des tensions ethniques entre ceux qui veulent l’indépendance de ce territoire et ceux qui refusent.

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D’autres raisons expliquent ces flux migratoires ?

Il y a aussi le développement de Daech, entre l’Irak et la Syrie. Ce territoire qui est à cheval sur plusieurs frontières est devenu un territoire de guerre. L’insécurité est donc maximale pour les gens sur place qui cherchent à sauver leur peau et celle de leurs familles. Ces agitations du monde d’aujourd’hui ne sont pas prêtes de se terminer.

 

Qui est vraiment responsable de cette situation ?

Il n’y a pas de responsable. Dans l’histoire des hommes, il y a des situations tragiques.

 

Comment sortir de cette impasse ?

Cette situation risque de durer. Ces jeunes gens sont déterminés. Ils ont fait des centaines de kilomètres en courant tous les risques. Notamment ceux que leur font prendre les trafiquants et les passeurs mafieux, des mafieux érythréens pour la plupart. Du coup, on comprend qu’arrivés en Italie, ils se disent : « Encore un effort, on est presque arrivé ! »

 

Que faire ?

Je trouve indispensable que les gouvernements, et le nôtre en particulier, tiennent bon. Un certain nombre d’organisations humanitaires et d’ONG (3) considèrent que laisser ces migrants de l’autre côté de la frontière est une attitude inhumaine. Mais l’enfer est pavé de bonne intentions. Pour dire les choses de façon un peu littéraire, moi aussi je préfère Antigone à Créon. Les bons sentiments, la révolte, le goût de l’idéal…

 

Mais dans sa constitution, la France sacralise le droit d’asile, notamment dans des situations de guerre ou d’oppression ?

Là aussi, il y a des choses à revoir. De même qu’il faut repenser Schengen en fonction de ces flux migratoires. Car il y a des époques de l’histoire dans laquelle les masses se mettent en mouvement. Notamment au IVème et au Vème siècle. Puis au XVème siècle, avec une immigration vers l’Amérique.

 

Il faudrait donc revoir la Constitution française ?

Oui. Il y a déjà eu une réforme du droit d’asile qui a réduit l’instruction des dossiers de deux ans à 9 mois. Mais encore faut-il être en mesure les délais prévus par la loi. En France, il y a 65 000 demandeurs d’asile par an. Sur ces 65 000, environ 48 000 sont des migrants économiques. 1 % d’entre eux sont renvoyés dans leurs pays. Je me base sur le rapport de la Cour des comptes. Ce qui signifie qu’il y a 40 000 personnes qui restent sur le territoire français de façon illégale. Ce n’est pas raisonnable. Si on vote des lois, il faut les appliquer. Ou alors si on ne peut pas les appliquer, il faudra se questionner pour savoir si ces lois sont adaptées à la réalité.

 

En meeting, le 18 juin, Nicolas Sarkozy a ironisé à propos des familles de migrants, en les comparant à des « fuites d’eau » que la Commission européenne propose de répartir dans les différentes pièces de la maison européenne : votre réaction ?

C’était un meeting entre gens convaincus. Nicolas Sarkozy a voulu prendre une image immédiatement perceptible. Mais ces migrants sont bien évidemment des êtres humains. Je n’imagine pas que Nicolas Sarkozy ait pu faire cette assimilation. Il n’a pas pris ces humains pour des molécules d’eau. C’est une maladresse.

 

Plus de 3 500 personnes sont mortes noyées en Méditerranée en 2014, près de 2000 depuis le début de l’année et plus de 20 000 en 20 ans : c’est un problème politique ou économique ?

Les deux à la fois. Ce n’est pas que la conséquence de pays en guerre. Ou de situations économiques qui pousseraient ces peuples à chercher un autre avenir ailleurs. C’est un phénomène indissociable de la mondialisation et de la globalisation de la planète. Ce phénomène profond devrait nous occuper pendant plusieurs années et peut-être une bonne décennie.

 

A son échelle, que peut faire la commune de Menton ?

Sur le plan juridique, on n’a aucune compétence. La tenue des frontières est une compétence de l’Etat. Et c’est même aujourd’hui une affaire européenne. C’est Schengen. Pour éviter que les 600 000 à un million de candidats à la migration entre Tobrouk et Tripoli en Lybie ne se mettent à l’eau dans des embarcations tirées par des bateaux mères et ne risquent la noyade ou d’être arrêtés aux frontières, il faut faire savoir à ces gens, dans leurs pays d’origine, qu’il est inutile qu’ils se mettent en route. Il faut leur faire savoir qu’ils n’arriveront pas au but, quelles que soient les souffrances qu’ils endureront. Ce n’est donc pas la peine pour eux de prendre ce risque majeur.

 

Mais plus de 110 000 migrants sont déjà passés par la Libye (4) en 2014 ?

La Libye a deux gouvernements qui ont du mal à s’entendre, malgré les efforts du représentants de l’ONU. D’ailleurs l’ONU préférerait qu’il y ait un gouvernement d’union nationale dans ce pays. En attendant, la Libye refuse que l’Union européenne (UE) intervienne dans le cadre d’une résolution ou d’un mandat de l’ONU pour détruire les bateaux mères. Du coup, pour le moment, une opération de surveillance est en cours avec Frontex, l’agence chargée de la gestion des frontières de l’UE.

 

(1) Cette interview a été réalisée le lundi 29 juin.

(2) La Syrie est en guerre civile, l’Erythrée est sous le joug d’une dictature. Un récent rapport de l’ONU estime que certains abus commis en Erythrée sont « d’une portée et d’une ampleur qui rarement avaient été observées ailleurs » et « pourraient constituer des crimes contre l’humanité. »

(3) Le 29 juin, le Conseil d’Etat a rejeté le recours d’associations qui estimaient que le blocage des migrants contrevenait aux accords de Schengen. Le juge des référés de la plus haute juridiction administrative française a estimé que les contrôles d’identité pratiqués à la frontière franco-italienne « ne reviennent pas à rétablir un contrôle systématique. »

(4) Selon l’ONU, plus de 110 000 migrants sont passés par la Libye en 2014, qui possède 1 770 km de côtes et 5 000 km de frontières terrestres.