jeudi 25 avril 2024
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Couac législatif autour des pratiques de soins non conventionnelles

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La séance publique législative du 2 décembre 2021 a été marquée par le renvoi en commission du projet de loi n° 1032, relatif à la protection des personnes sur lesquelles sont mises en œuvre des pratiques présentées comme pouvant contribuer à leur mieux-être. Un événement législatif rare ces derniers temps, sur lequel revient Monaco Hebdo.

Source de bien-être pour les uns, charlatanisme pour les autres… Les médecines non conventionnelles également appelées médecines « alternatives », « naturelles » ou « douces » sont aujourd’hui autant plébiscitées que décriées. Il faut dire que ces pratiques, qui ne reposent sur aucun fondement scientifique, ont le vent en poupe après avoir longtemps été délaissées au profit de la médecine dite « conventionnelle », dont l’efficacité est prouvée scientifiquement. De l’acupuncture à la sophrologie, en passant par la naturopathie et la réflexologie, une multitude de disciplines sont apparues au fil du temps attirant de plus en plus d’adeptes, à la recherche de procédés naturels pour soulager leurs peines et leurs maux. Face à cet arsenal de disciplines très diverses et variées, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver et de distinguer celles qui apportent un vrai bien-être physique et/ou psychique et celles qui relèvent parfois du charlatanisme. Car ces pratiques peuvent aussi être source de dérives. Certains praticiens, mal intentionnés, n’hésitant pas à profiter de l’état de vulnérabilité et de faiblesse de leurs clients, bien souvent malades, pour leur vendre leur « thérapie » supposée miracle. D’où l’importance de les encadrer au mieux, surtout sur un territoire où abondent autant de richesses. C’est ce débat qui devait s’ouvrir dans l’hémicycle, ce jeudi 2 décembre 2021, à l’initiative de la benjamine des élus Marine Grisoul (Priorité Monaco, Primo !) qui avait soutenu la proposition de loi n° 247 adoptée par ses pairs il y a tout juste deux ans, le 2 décembre 2019.

« Que ce soit pour préserver sa santé, soulager certains maux ou réduire le stress, de nombreuses pratiques complémentaires à la médecine classique semblent aujourd’hui satisfaire les usagers, si l’on en croit le recours grandissant à ces disciplines »

Marine Grisoul. Rapporteur de ce texte et élue Primo !

Des pratiques en plein essor

Cette proposition de loi avait pour objet « d’inscrire la principauté dans une démarche de reconnaissance des pratiques de soins non conventionnelles ». En d’autres termes, l’idée était de donner enfin une existence et un cadre légal à ces pratiques qui connaissent un essor important depuis quelques années. « Que ce soit pour préserver sa santé, soulager certains maux ou réduire le stress, de nombreuses pratiques complémentaires à la médecine classique semblent aujourd’hui satisfaire les usagers, si l’on en croit le recours grandissant à ces disciplines », rappelle ainsi la rapporteur du texte, diététicienne-nutritionniste de profession, ajoutant que « disposer d’une réglementation visant à encadrer ces pratiques, serait le signe d’une politique plus ouverte aux ressentis et aux besoins de la population ». Cet encadrement se traduisait, dans la proposition de loi, par diverses dispositions et notamment par l’obtention d’une autorisation délivrée, « après avis d’une commission ad hoc, soit par le ministre d’État pour un exercice à titre libéral, soit par le directeur de l’établissement de santé, lorsque la pratique est exercée par un personnel dudit établissement ». De cette manière, l’État gardait le contrôle sur les praticiens et les disciplines dispensées sur son territoire et se prémunissait d’éventuelles dérives. Estimant ce texte équilibré entre le besoin d’encadrement de pratiques devenues incontournables et la nécessité de protéger la population, les élus appelaient donc de leurs vœux la transformation de la proposition de loi en projet de loi.

« Charlatanerie »

Leur volonté sera finalement exaucée le 2 juin 2020, date à laquelle le gouvernement princier a annoncé au Conseil national sa décision d’élaborer un projet de loi dont l’objectif fondamental est « la protection des personnes qui auraient recours aux pratiques visées par cette proposition ». Car l’État « ne saurait promouvoir des pratiques prétendant avoir un effet bénéfique pour la santé sans n’avoir jamais rapporté la moindre preuve de leur efficacité, (ou) des pratiques susceptibles de tromper les personnes sur leur efficacité, voire dangereuses pour leur santé, et qui relèvent souvent de la charlatanerie ou qui sont parfois associées à des dérives sectaires, et ce, quel que soit le degré d’acceptation de ces pratiques au sein de la population ». Pas question donc d’ouvrir la porte à n’importe qui, ni à n’importe quoi. La principauté regorgeant de richesses, la tentation pourrait être grande pour certains malintentionnés de venir profiter de l’aubaine. L’exécutif a donc souhaité, en premier lieu, protéger sa population, avant de « promouvoir » quelconques pratiques, encadrées soient-elles. L’une de ses premières mesures a d’ailleurs été de supprimer purement et simplement la notion de soins et de santé dans le texte, afin d’éviter tout amalgame. « En matière de santé, le mot “soin” désigne toujours, au sein de notre ordonnancement juridique, une action mise en œuvre par un professionnel de santé et conformément aux données acquises de la science », précise le projet de loi. Un certain nombre de modifications, qualifiées de « substantielles » par la rapporteur, ont donc été apportées au texte d’origine. À commencer par la terminologie même de la loi, rebaptisée « protection des personnes sur lesquelles sont mises en œuvre des pratiques présentées comme pouvant contribuer à leur mieux-être ».

Le ministre d’Etat, Pierre Dartout, et le président du Conseil national, Stéphane Valeri.© Photo Conseil National.

« Cette fois-ci [le 15 décembre – NDLR], nous irons au bout. Il n’y aura plus de report d’examen de ce projet de loi de la part du Conseil national »

Stéphane Valeri. Président du Conseil national

Rendez-vous le 15 décembre

C’est donc un projet de loi dénaturant complètement la proposition de loi initiale qui devait être débattu, jeudi 2 décembre 2021, dans l’hémicycle. Pour autant, usant de son droit d’amendement, le Conseil national présentait à son ordre du jour un texte revenant à l’origine de la proposition de loi balayant, à son tour, toutes les modifications apportées par l’exécutif et pratiquement deux ans de travail pour les fonctionnaires du Conseil national et du gouvernement. Une situation rare en principauté, puisqu’habituellement, les textes présentés en séance publique législative sont le fruit d’un consensus entre les deux institutions. Face aux élus, le ministre d’État, Pierre Dartout, a fait valoir des délais trop courts pour remanier le texte présenté, les amendements lui étant parvenus le 26 novembre 2021. Réaffirmant la volonté de l’État de légiférer en la matière, le chef de gouvernement a donc demandé quelques jours de débats supplémentaires en commission des intérêts sociaux et des affaires diverses, afin d’« affiner certaines dispositions » et de trouver des solutions « mutuellement acceptables ». Une demande acceptée par les élus, dont le président a fixé le terme au 15 décembre 2021, date de la prochaine séance publique législative. « Cette fois-ci, nous irons au bout. Il n’y aura plus de report d’examen de ce projet de loi de la part du Conseil national », a d’ores et déjà prévenu Stéphane Valeri, mettant ainsi la pression sur l’exécutif. De son côté, la rapporteur Marine Grisoul a soutenu la nécessité d’un tel texte pour les usagers, autant que pour les praticiens, d’obtenir un cadre légal strict. Un avis largement partagé par le président du Conseil national, Stéphane Valeri : « Ce texte permettra de faire mieux reconnaître certaines pratiques de soins non conventionnelles, qui sont d’ailleurs déjà largement utilisées par les Monégasques et les résidents. Mais tout en donnant aussi à ces derniers l’opportunité de choisir les praticiens de façon plus éclairée qu’aujourd’hui. […] Je souhaite vraiment que nous puissions voter ce texte, qui marquera une avancée attendue pour ces pratiques en principauté ». Réponse le 15 décembre.