mercredi 24 avril 2024
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Eric Elena :
« C’est inacceptable ! »

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L’élu du groupe politique Renaissance, Eric Elena, estime que le statut unique mis en place à la Société des Bains de Mer pour les salariés des jeux est dangereux pour les générations futures. Interview.

 

Pourquoi le statut unique pour les salariés des jeux ne vous convient pas ?

Depuis 1982, les jeux sont gérés par un avenant : l’avenant n° 2. Or, depuis 1982, la Société des Bains de Mer (SBM) ne l’applique pas dans sa totalité. Ce qui a débouché sur des situations inacceptables, voire ubuesques, notamment en termes du respect de l’avancement. Ce qui a fini par provoquer des guerres de services. Chez Renaissance, on a toujours dit qu’il fallait créer un statut unique qui permette d’encadrer la profession de salariés des jeux. Donc on est pour un statut unique. Mais pas celui qui a été mis en place.

 

Pourquoi ?

Si la SBM met 18 millions d’euros sur la table pour financer ce statut unique, ce n’est pas un hasard. Car la SBM n’a jamais fait de cadeaux. Elle va donc récupérer ces 18 millions.

 

Comment ?

En faisant des économies sur les effectifs qui vont passer de 420 à 340 postes d’ici 10 ou 15 ans.

 

Il y a aura des licenciements ?

Non. Pour cela, un départ à la retraite sur deux ne sera pas remplacé. Donc je n’ai pas changé d’avis : c’est un plan social déguisé. Il y a 10 ans, on était près de 500 salariés dans les jeux. Il y a donc une véritable volonté de la part de la SBM de limiter l’activité des jeux. Résultat, on continue à faire perdre des emplois aux Monégasques. C’est inacceptable !

 

L’emploi des Monégasques est vraiment menacé ?

Lorsque le nombre de postes pour les cadres baisse dans le secteur des jeux, d’autres postes sont créés dans des secteurs qui ne sont pas forcément réservés aux Monégasques. Or, défendre l’emploi des Monégasques, c’est le rôle d’un conseiller national.

 

S’il s’agit d’un « plan social déguisé », pourquoi environ 75 % des salariés ont voté en faveur de ce statut unique ?

Parce qu’ils se sont fait acheter. Ce sont les employés des jeux qui vont récupérer ces 18 millions d’euros. C’était tentant, bien sûr. En gros, selon les postes, on va gagner de 1000 à 2500 euros de plus par mois.

 

Vous avez voté contre ?

Oui. Aux jeux européens, je fais partie des 33 salariés sur un total d’environ 150 qui ont voté contre.

 

Mais dire que des salariés se sont « fait acheter », c’est violent ?

C’est la réalité. Si la direction avait mis 5 millions de plus sur la table des négociations, ils auraient obtenu 100 % de votes favorables ! Je suis chef de table au casino. Il me reste 7 ans à faire. Et je vais me battre pour que les jeunes puissent à leur tour travailler dans les jeux. Car aujourd’hui, le conseil d’administration de la SBM ne veut pas développer l’offre jeux. En fait, depuis le départ du directeur des jeux Francis Palmaro en 2003, on sent une volonté de limiter le secteur des jeux.

 

Les conséquences de ce statut unique pour les jeunes ?

Il y aura quelques effets positifs. Ça mettra une vingtaine d’années, mais on va arriver à ce que les différences salariales soient moins grandes. Un jeune qui entre à la SBM aura 9 ans pour passer par tous les jeux : black-jack, roulette américaine, punto banco… Ensuite, s’il est bon, il passera sous-chef de table « tous jeux. » Du coup, ça va aplanir un peu les discordes entre nos différents métiers. Mais ce qui est pénalisant, c’est que l’on réduit les effectifs de 80 postes. Ce qui est énorme.

 

Ce que vous attendez de la SBM aujourd’hui ?

La SBM dispose d’un monopole sur les jeux à Monaco. De plus, elle bénéficie d’une redevance qu’elle reverse à l’Etat qui est de seulement 13 %, contre 10 à 80 % de prélèvement par l’Etat en France sur le produit brut des jeux (1). En échange, la SBM a un rôle social à remplir. J’attends donc qu’elle tienne ce rôle. Or, aujourd’hui, la SBM limite ce rôle social.

 

Les salariés des jeux étaient trop nombreux ?

Aujourd’hui, pour l’activité que l’on nous donne à faire, le nombre de salariés est suffisant. Une hausse n’est pas nécessaire. Mais, visiblement, on cherche à limiter le secteur des jeux, tout en développant au contraire d’autres activités, comme l’immobilier par exemple.

 

Vous avez des exemples ?

Oui. On a fermé le Café de Paris, on a fermé le Sporting d’Eté… Or, ces deux activités n’étaient pas déficitaires. Cela rapportait de l’argent.

 

Le secteur des jeux ne tourne pas à 100 % de sa capacité ?

Il tourne à 30 % de sa capacité. On pourrait travailler plus et gagner beaucoup plus. Au lieu de ça, on ne propose rien à nos clients.

 

Quelle est la clientèle la plus présente ?

La clientèle italienne représente environ 30 % du chiffre d’affaires des jeux à Monaco. Et cette clientèle ne comprend pas le principe de la carte Players qui a été lancée il y a deux ans et demi.

 

Le principe de cette carte Players ?

Cette carte permet aux clients d’obtenir une remise par rapport aux sommes jouées au casino. Notamment pour aller manger dans les restaurants de la SBM. Ce qui est illogique.

 

Pourquoi ?

Quand j’amène mon enfant à la foire et qu’il fait quatre tours de manège, on m’en offre un cinquième. On ne m’offre pas une barbe à papa… Pourquoi ne pas offrir aux joueurs un pourcentage sur leurs pertes ou des jetons barrés ? Donc on se sert encore du secteur des jeux pour gonfler le chiffre d’affaires de l’hôtellerie, de la restauration ou des thermes.

 

Cette carte Players est vraiment inutile ?

Le vrai luxe, c’est le contact avec le client. C’est l’aspect humain. Connaître chacun de ses clients, c’est ça le luxe. Une vraie proximité, c’est autre chose qu’une simple carte… Aujourd’hui, nos clients se sentent délaissés. Et cette carte ne fait qu’amplifier ce ressenti.

 

Vous avez discuté de ce sujet avec les autres élus du Conseil national ?

Non. Comme le dit le président Horizon Monaco (HM) du Conseil national, je suis « isolé. »

 

Aucun élu ne vous soutient ?

Que ce soit dans la majorité HM ou dans l’opposition Union Monégasque (UM), certains élus pensent comme moi. Même s’ils ne le disent pas publiquement. Je le répète : ma crainte, c’est que suite à cet accord sur le statut unique qui entraîne une baisse des effectifs, il n’y ait plus assez de postes pour embaucher de jeunes Monégasques.

 

Vous n’exagérez pas un peu ?

Là, on vient de perdre une place de cadre chez nous. En parallèle, un cadre qui va émarger au même salaire est mis en place au service marketing qui est un service qui ressemble déjà à une armée mexicaine… Laissons des places aux Monégasques !

 

Mais la majorité HM du Conseil national a déjà lancé une cellule et une hotline pour veiller au respect de la priorité d’emploi pour les Monégasques !

Lorsque cette cellule dirigée par Albert Croesi n’arrive pas à obtenir des résultats concrets, c’est au président du Conseil national, Laurent Nouvion, de taper du poing sur la table. Or, ce n’est pas fait. Le moment venu, dans quelques années, il faudra que Laurent Nouvion explique aux jeunes Monégasques qui ne pourront pas rentrer à la SBM pourquoi ils restent à la porte…

 

Mais seul vous n’avez pas le poids suffisant pour faire bouger les choses ?

Lorsque Laurent Nouvion dit que je suis isolé au Conseil national, il a raison. Mais lui, il est président du Conseil national, avec une majorité d’élus derrière lui. Du coup, je ne comprends pas pourquoi il ne défend pas l’emploi à la SBM pour les futures générations de monégasques. Parce que lui a le pouvoir de le faire. Moi, j’ai juste le pouvoir de le dire. Laurent Nouvion ne prend pas ses responsabilités.

 

Le Conseil national a vraiment les moyens de peser sur ce genre de décisions ?

Lorsque le Conseil national a voté la loi de désaffectation pour que la SBM puisse réaliser ses travaux sur la place du casino, nous avions là un moyen de faire pression. En demandant que la SBM assume son rôle social.

 

Une école des jeux pour les Monégasques va bientôt être lancée ?

La dernière école des jeux remonte à 2013. On espère qu’une école des jeux aura lieu d’ici la fin de l’année. Mais elle sera très réduite et portera donc sur peu de postes.

 

L’avenir de la SBM c’est l’immobilier, pas les jeux ?

D’ici 10 ou 15 ans, je pense que les jeux vont devenir un simple secteur d’activité de la SBM. Les jeux ne seront plus la locomotive de la SBM. Tout ça parce qu’on refuse de développer les jeux. Donc comment fera-t-on dans 10 ans lorsqu’on sera 10 000 Monégasques ?

 

Vous avez des pistes ?

Il faut vendre la marque Jimmy’z ou Casino Monte-Carlo à l’étranger. Sauf que, pour l’instant on ne va pas dans cette direction. Et c’est dangereux.

 

D’autres idées ?

Pourquoi ne pas installer une brasserie haut de gamme Alain Ducasse au fond du casino ? Cela permettrait de drainer toute une clientèle qui passerait devant les tables de jeux. Et qui pourrait jouer. C’est du bon sens.

 

(1) Le produit brut des jeux représente ce que gagne le casino après avoir déduit ce qu’ont remporté les joueurs.