vendredi 19 avril 2024
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Philippe Ortelli : « Sans sa liberté économique, Monaco ne serait qu’un petit pays pauvre et enclavé »

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Politique vaccinale, dialogue social, aides en entreprises ou encore politique de prévention du blanchiment de capitaux, Philippe Ortelli, président de la Fédération des entreprises monégasques (Fedem), répond aux questions de Monaco Hebdo sur les grands thèmes de cette rentrée sociale, qui animent la vie politique et économique de la principauté.

Quelle est la situation économique et sociale en cette rentrée 2021 ?

La situation économique de la principauté après un an et demi de crise majeure montre la solidité et la pertinence de notre modèle social libéral. Il a en effet permis aux acteurs économiques, tant employeurs que salariés, de s’adapter au mieux pour rebondir. Évidemment, les secteurs liés au tourisme, à l’hôtellerie-restauration, et au commerce, ont été plus fortement impactés, mais les trois grands piliers de l’économie monégasque que sont le BTP, les secteurs bancaires et financiers, et les activités intellectuelles, ont bien résisté. La diversité de notre économie lui permet d’être très résiliente. La situation n’est donc pas encore celle que nous souhaitons, mais nous pouvons rester optimistes.

Pourtant, des voix s’opposent et tous ne sont pas optimistes ?

Bien sûr, certains, par idéologie, ou par peur, voudraient remettre en question ce modèle, et nous devons y faire très attention pour pérenniser la réussite économique du pays, au bénéfice de tous. Comme dans bon nombre d’autres pays, la question de la vaccination a, hélas, provoqué quelques crispations, et même une manifestation dans la rue contre le passe sanitaire et l’obligation vaccinale, qui semblent être liées à une incompréhension de la gestion des risques, tant sanitaires qu’économiques.

« La situation n’est donc pas encore celle que nous souhaitons, mais nous pouvons rester optimistes »

Philippe Ortelli

Quelle est votre position sur la politique vaccinale ?

Cette pandémie impose à nos sociétés occidentales le défi de la liberté individuelle face à la responsabilité collective. Nous ne devons pas nous tromper de combat ! L’ennemi, c’est le virus, non le vaccin qui nous aide à le combattre ! Nous savons que si, en effet, le vaccin peut quelques rares fois provoquer des effets indésirables, il est beaucoup moins dangereux que le virus, dont il protège très bien, en évitant plus particulièrement les formes graves de la maladie conduisant à des hospitalisations en soins intensifs, souvent lourdes de conséquences, ou à des décès. Par exemple en Israël, pays à la fois très vacciné et très touché par la vague pandémique, ils ont pu constater qu’une personne non-vaccinée présente 15 fois plus de risque qu’une personne vaccinée de devoir être hospitalisée. À ce niveau, comme je l’avais expliqué dans mon éditorial publié cet été dans Monaco Business News, il ne faut pas hésiter à se faire vacciner, car c’est la seule solution dont nous disposons actuellement pour retrouver une vie normale. C’est pourquoi la Fédération des entreprises monégasques (Fedem) soutient la campagne vaccinale accessible gratuitement depuis août 2021 à l’ensemble des salariés de la principauté, sans conditions d’âge.

Faut-il en faire plus ?

Un peu de courage et faisons comme le président américain, en imposant aux fonctionnaires et à 80 % du secteur privé la vaccination. Plus près de chez nous, Mario Draghi va l’imposer à toute son éducation nationale aussi. Monaco se doit d’être “Covid Free”, comme nous l’avions fait l’an dernier. Le seul moyen d’y arriver, c’est de tous se vacciner, et de respecter les gestes barrières. Par contre, les contrôles à l’entrée de Monaco nous paraissent peu à propos, eu égard à l’obligation en extérieur du masque vérifiée par la police, et aux contrôles aux entrées de cafés-restaurants du pass sanitaire. Notre clientèle étrangère n’aime pas ce type de mesure désagréable psychologiquement. Il serait temps d’y renoncer…

Quels sont les dossiers brûlants de cette rentrée ?

Le sujet de cette rentrée, qui peut avoir les plus graves conséquences sur l’attractivité du pays, est celui de la transposition en droit monégasque de la 5ème directive de l’Union européenne (UE) en matière de prévention du blanchiment de capitaux, du financement du terrorisme et de la corruption.

Pourquoi ?

Si l’alignement de Monaco aux exigences européennes nous paraît un point positif, nous sommes en revanche très contrariés d’avoir découvert l’ordonnance souveraine n°8 634 du 29 avril 2021, qui est en contradiction avec la loi n°1 503 du 23 décembre 2020, et qui va beaucoup plus loin que la directive européenne. De plus, deux projets de lois, n°1037 du 17 juin 2021 et n°1041 du 30 juin 2021, très restrictifs, tant pour les libertés individuelles que pour les activités économiques, ont été déposés au Conseil national. Ils sont, eux aussi, beaucoup plus sévères que le texte européen. Pour ne citer qu’un exemple, est-il raisonnable d’obliger les conseils juridiques à déposer un dossier au Service d’Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers (Siccfin) pour chaque montage d’opération « complexe » ? Et comment doit-on qualifier la complexité d’une opération ? Faudra-t-il aller jusqu’au tribunal pour créer de la jurisprudence pour y parvenir ? Peut-on être certain qu’il n’y aura jamais de débordement intrusif remettant en cause le secret professionnel ?

« La Fedem soutient la campagne vaccinale accessible gratuitement depuis août 2021 à l’ensemble des salariés de la principauté, sans conditions d’âge »

Philippe Ortelli

Vous y êtes donc opposés ?

En conséquence, nous sommes fermement opposés à toute interprétation extensive qui rendrait la loi plus contraignante à Monaco qu’ailleurs, engageant la responsabilité pénale des chefs d’entreprises, et portant atteinte à la compétitivité de notre économie, en créant un désavantage concurrentiel pour les entreprises, plus particulièrement dans l’horlogerie-joaillerie, le commerce de gros et le commerce de détail, l’automobile, le yachting…

Observe-t-on déjà des conséquences en principauté ?

Aujourd’hui certains secteurs commencent à ne plus travailler avec les banques monégasques qui demandent beaucoup plus que leurs concurrentes en Europe. Ce n’est pas possible d’en arriver là. C’est pour cela que la Fedem soutient pleinement l’action de plusieurs syndicats patronaux qui ont saisi, en juillet 2021, le tribunal suprême d’un recours en annulation de l’ordonnance souveraine précitée, afin de défendre les intérêts de leurs professions qui sont directement menacées par les nouvelles obligations et restrictions inquisitoires introduites par ce texte d’application. Je le répète : nous sommes favorables à la réglementation, mais à la même que celles imposées à nos concurrents en Europe !

Quel est l’état du dialogue social après l’épisode concernant l’aménagement du temps de travail, qui n’a pas fait l’unanimité, même au Conseil national ?

Comme je le signalais, certains à Monaco voudraient profondément transformer le système social libéral qui fait la force du pays. C’est un grave danger : sans sa liberté économique, Monaco ne serait qu’un petit pays pauvre et enclavé. Et d’ailleurs, beaucoup de ceux qui cherchent à détruire son modèle n’y auraient même pas trouvé de travail. Sans liberté économique, les employeurs ne peuvent pas prendre des risques, ni investir, ni embaucher. La liberté d’entreprendre est la base fondamentale qui permet de financer tout le reste : il faut la protéger.

Qu’est-ce qui coince ?

Sur certains points pourtant, Monaco a conservé des règles plus contraignantes que celles en vigueur chez ses voisins. Ce qui a un impact négatif sur son développement économique, et donc sur l’emploi. C’était le cas notamment avec l’impossibilité d’aménager le temps de travail sur une période supérieure à la semaine, celui-ci étant obligatoirement compté hebdomadairement.

© Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

« Le sujet de cette rentrée, qui peut avoir les plus graves conséquences sur l’attractivité du pays, est celui de la transposition en droit monégasque de la 5ème directive de l’Union européenne (UE) en matière de prévention du blanchiment de capitaux, du financement du terrorisme et de la corruption »

Philippe Ortelli

Quelles ont été les répercussions ?

Une telle restriction représentait un coût important pour les entreprises. Cela les mettait en situation défavorable face à la concurrence, et les gênait dans leurs embauches. La nouvelle loi sur l’aménagement du temps de travail concerté, votée le 17 juin 2021 au Conseil national, ne va, à notre sens, pas assez loin. Mais elle constitue, néanmoins, une avancée majeure dans la bonne direction, en permettant, enfin, aux entreprises de s’adapter à la saisonnalité des marchés, contribuant ainsi à sauvegarder l’activité économique et à maintenir l’emploi.

Vous êtes donc satisfait ?

Il était essentiel pour moderniser notre droit social d’inscrire, de façon pérenne, la possibilité pour les entreprises d’aménager le temps de travail sur une période supérieure à la semaine, et ne pouvant pas excéder une année, par accord avec les salariés, et sans variation de rémunération pour ces derniers, qui bénéficient en contrepartie d’une compensation de 10 % supplémentaires en rémunération ou en temps récupérateur, au-delà d’une durée moyenne de travail de 39 heures. Enfin, ce texte est équilibré, puisqu’un salarié qui travaillerait, par exemple, 9 heures par jour, aurait droit à 6 semaines supplémentaires de vacances dans l’année.

Jusqu’à quand poursuivre les aides de l’État, comme le chômage total temporaire renforcé (CTTR) ?

Le CTTR a été un élément important de l’action du gouvernement princier depuis le début de la crise sanitaire, et surtout lorsqu’il a fallu stopper net l’économie pendant le confinement. Il a permis de fortement limiter les licenciements, et il a donc facilité la reprise économique. Heureusement, le CTTR concerne aujourd’hui de moins en moins de monde : environ 1 200 salariés en juillet 2021, la majorité de ceux qui en avaient bénéficié ayant pu reprendre leur travail. L’objectif est, bien sûr, d’arriver progressivement à la fin du CTTR.

Certains secteurs restent néanmoins plus affaiblis que d’autres ?

Comme je l’évoquais, la situation n’est cependant pas la même dans tous les secteurs, et certains connaissent encore des temps difficiles. Il faut alors systématiquement se poser la question, certes cruelle, de la survie de certaines entreprises. Ont-elles une chance de rebondir prochainement, ou sont-elles vouées à disparaître ? Le CTTR est une aide provisoire, une solution ponctuelle, pour surmonter la crise le moins douloureusement possible, qui ne peut pas remplacer ad vitam aeternam un manque d’activité économique. Si les chances sont négligeables qu’un salarié en CTTR puisse un jour prochain reprendre son travail, il vaut mieux pour lui être remis en recherche d’emploi, pour qu’il ait la liberté d’évoluer, voire de se reconvertir. Toute autre solution a un coût pour tous et fige le développement économique.

« Il était essentiel pour moderniser notre droit social d’inscrire, de façon pérenne, la possibilité pour les entreprises d’aménager le temps de travail sur une période supérieure à la semaine »

Philippe Ortelli

L’Union des syndicats de Monaco (USM) réclame notamment un salaire minimum monégasque de 2 250 euros brut : est-ce légitime ?

Une telle requête, purement démagogique, est très dangereuse. Et pas seulement parce qu’elle est inadaptée à notre situation économique et provoquerait donc une forte hausse du chômage. Le salaire minimum doit rester un plancher, d’ailleurs très peu atteint à Monaco. L’essentiel n’est pas la valeur de ce salaire minimum, mais celle du salaire médian : combien de personnes ont pu dépasser ce minimum et s’épanouir ? De plus, l’expérience en France a montré qu’une forte hausse du salaire minimum n’a pas provoqué une hausse du salaire général, bien au contraire : énormément de salariés ont été rattrapés par le minimum, et ne l’ont plus jamais dépassé, ce qui a, bien sûr, eu un effet destructeur sur leur moral et leur motivation.

L’USM réclame également un meilleur remboursement des actes médicaux ?

Le régime de santé monégasque est plus généreux qu’en France, puisque les salariés bénéficient d’un remboursement effectué par les Caisses de compensation des services sociaux (CCSS), généralement calculé sur la base du taux de 80 % du ticket modérateur, la seule part de 20 % étant laissée à leur charge. Comparativement, l’assurance maladie française ne rembourse généralement qu’entre 60 % et 70 %, sans oublier la participation forfaitaire de 1 euro qui reste aussi à la charge de l’assuré.

La couverture monégasque est donc plus performante ?

La couverture sociale monégasque est particulièrement avantageuse pour les salariés. D’abord, parce que c’est l’employeur qui paie la totalité des cotisations maladie, maternité, invalidité, et les allocations familiales à la CCSS, ce qui signifie un revenu net meilleur pour les salariés, sans Contribution sociale généralisée (CSG), ni Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Mais aussi parce que, depuis 1978, à Monaco, pour renforcer la protection des salariés, la Caisse de garantie des créances des salariés (CGCS), à laquelle ne cotisent que les employeurs, garantit les salaires lorsqu’une entreprise est déclarée être en « difficultés économiques » par le tribunal. Demander encore davantage, au risque de menacer à terme la stabilité et la viabilité de ce système, ne serait pas donc vraiment pas raisonnable ! En toutes circonstances, et encore plus dans la période incertaine que nous traversons, il faut savoir raison garder.

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